La chronique du 22 novembre 2020 de notre Curé

Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?

Si certains de nos contemporains s’inquiètent de ce que seront leurs fêtes de fin d’année, nous, chrétiens, sommes plongés comme à Pâques dans la sobriété contrainte et le jeûne forcé. La célébration du Christ-Roi est un peu notre « réveillon » et le premier dimanche de l’Avent, notre « nouvel an ». Or pas de rassemblement en Église possible…Cependant soyons en sûrs comme le dit l’Écriture : « les bontés du Seigneur ne sont pas épuisées ».

La fête de la Toussaint nous avait conduits sur la montagne des Béatitudes, d’ordinaire la fête du Christ-Roi nous amène sur le Golgotha avec la scène de Jésus crucifié avec les deux larrons. (Lc 23.33-43). L’Évangile de ce dimanche nous fait entrevoir le sommet de l’Histoire sainte avec l’épisode du jugement dernier en Mt 25. Il y a là un fil rouge : celui du salut. Fil qui s’est attaché au mont Horeb par le don de la Loi. Le Dieu qui libère des esclavages n’abandonne jamais son peuple et lui offre les moyens de grandir en vie et en liberté. « Je t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude. » « Les 10 paroles s’initient par la promesse tenue » commente Véronique Margron, dominicaine et théologienne. « Dix paroles gravées dans la pierre pour être transmises de génération en génération afin d’offrir la vie et de ne plus se perdre dans d’autres terres de soumission. »

Par l’histoire biblique, nous savons que, depuis les temps immémoriaux, le cœur de l’homme est vite fatigué d’attendre et d’espérer (cf. l’épisode du veau d’or). C’est une histoire et en même temps un mythe, c’est-à-dire une réalité toujours actuelle. Je pense qu’il ne faut pas regarder bien loin pour découvrir les « veaux d’or » d’aujourd’hui. Dans sa colère, Moïse a cassé les tables écrites de la même de Dieu : il y a eu brisure. « Don de brisure avec celui de la libération. S’y dévoile que personne ne pourra alors dire que tout est limpide, définitif » (V. Margron).

Jésus commence sa vie publique par une prise de parole sur une autre montagne, celle des Béatitudes. Ce début en rappelle un autre qui a viré à la catastrophe et que Paul évoque dans sa lettre aux Corinthiens (Gn 3 ; 1 Co 15. 20-28) : « tous les hommes meurent en Adam ». Le premier des esclavages pour l’Humanité est bien la mort et la dynamique qu’elle porte sous bien des facettes. C’est à elle (elles) que Jésus s’attaque d’emblée dans son discours initiatique. Il vise toutes ces situations où nous éprouvons que notre vie nous échappe bien avant que la mort physique nous frappe : la pauvreté, le deuil, l’injustice, la violence,… le début de salut est de reconnaître que nous ne pouvons nous en sortir seuls, la vie est invivable sans les autres et le Tout Autre. La vie qui file entre nos doigts nous provoque à l’humilité. Je ne peux continuer de marcher que si je me tourne vers la source. « Heureux, en marche » dit Jésus de manière provocante. Comment rester en route quand quelque chose dérape, quand il y a une panne ? Pour ma voiture, j’appelle un spécialiste. Pour mon existence, je dois appeler l’autre. « Heureux êtes-vous si vous pleurez car vous serez consolés. » La consolation implique un ailleurs, un autre. Le mot « consolation » est devenu tabou particulièrement dans le monde des soignants. Et pourtant, prendre soin ne rime pas avec le seul agir. Je repense à cet aide-soignant qui a été bouleversé par la réflexion d’une patiente lors d’un soin : « Vous allez trop vite ! » En fait, il était placé dans des conditions où il n’aurait pu faire autrement. Depuis, il a retrouvé l’âme de son métier en travaillant dans une institution pour personnes handicapées où la norme de personnel permet un contact, une disponibilité… La compassion est une présence qui aide par un silence, une disponibilité, par une simple mise en humanité qui partage ses limites.

Tout au long de son chemin terrestre, Jésus ira aux limites et aux périphéries. Géographiques d’abord car Dieu, le libérateur est là où l’on ne l’attend pas. Humaines surtout : les malades, les invalides, les exclus, les prévenus de toute sorte… Sa marche le conduira au nom de l’autre et du Tout Autre sur la colline du Golgotha, la troisième montagne, car Dieu, en lui, voulait manifester combien il accueille et porte en lui nos faiblesses plus que nos péchés. Le simple constat du malfrat crucifié sur sa vie ratée le conduit à s’en remettre à Jésus : «  Souviens-toi de moi ». Cette conversion lui ouvre la vie à venir : « Aujourd’hui tu seras avec moi au paradis ». Le paradis évoque les jardins suspendus de Babylone à l’origine. Ici, il est la montagne ultime… Quand, à longueur de prière eucharistique ou de psaume, nous en appelons au souvenir de Dieu, ce n’est pas parce qu’il y aurait risque qu’il nous oublie. « Souviens-toi » est un signe de notre conversion : « Seigneur, sans toi, nous ne pouvons rien faire, pas moyen de s’en sortir. »

Cette conversion est un fondement et elle n’est pas sans lien avec le Jugement dernier (cf. Paradis). Si le Jésus de l’histoire nous a quittés, le Christ continue d’être présent dans tout visage, dans toute existence humaine. De là, il nous appelle à prendre soin de la vie, celle de l’autre et la nôtre. Sans nous prendre pour le sauveur ou un sauveur. Car il n’y a qu’un seul Sauveur comme il n’y a qu’un seul Juge, révèle la parabole : Dieu en Jésus. Regardons de près les exemples : les besoins élémentaires sont pris en charge par le prochain mais pas l’ensemble de sa vie ! Manger, boire, être vêtu… celui qui est malade ou prisonnier est simplement visité, tiré de son isolement, à d’autres les soins ou la libération.

Regardons un instant la finale des propos des uns et des autres dans la parabole des brebis et des boucs: « quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?… quand t’avons-nous vu … sans nous mettre à ton service ? » Il y a une vision, un mouvement qui appelle à la justesse, à la justice dans le service. Il est d’ailleurs révélateur et sans doute heureux que même les bienveillants n’ont pas reconnu Jésus à priori dans leur œuvre de charité. Se recevoir du Père et agir en son nom, aller vers l’autre au nom de la fraternité : voilà ce qui résume l’esprit de la Parole d’aujourd’hui.

Dans le concret, les exemples sont sans plus faciles à trouver que pour les béatitudes qui visent large. « J’étais âgé et tu m’as respecté. J’étais jeune, perdu et tu m’as encouragé. J’étais en deuil et tu es sorti sur ton seuil au passage de la famille. J’étais personne à risque et tu m’as protégé. J’étais isolé et tu m’as téléphoné. J’étais en peine au travail et tu m’as soutenu de ta présence. Je n’avais pas le moral et tu m’as envoyé un mail humoristique… »

Les situations que j’évoque sont circonstancielles. Il y en a une autre qui l’est et qui est aussi récurrente. Les récents attentats déjà évoqués avant risquent de renforcer un certain sentiment anti- musulman. Courant qui n’a pas sa place chez les chrétiens. Malgré les blessures et les erreurs du passé, nous sommes frères et sœurs de tradition. Justement cette semaine, plusieurs articles de quotidiens français faisaient droit aux sources de l’Islam dans le Coran. Ces articles allaient dans le même sens : rien dans le Coran ne justifie les attentats et les revanches sanglantes. Au contraire. Dans Le Nouvel Obs, par exemple, l’historienne et anthropologue Jacqueline Chabbi, spécialiste de l’Islam, relève bien que, dans le texte, le Coran commande de s’en remettre à Dieu seul et à son jugement en cas d’insulte, d’offense par la parole (adha = dommage). Le tourment (= adhâb) est dans la main de Dieu. « Aucun homme n’est en mesure de s’en attribuer l’exécution ». Devant l’injure, les sourates XXXIII, 48 et XIV, 9 demandent de pratiquer la remise à Dieu. En cas de dommage physique (= gisâh), la loi du talion peut s’appliquer si un arrangement n’a pu être trouvé (II, 178-179 & V, 45). La spécialiste insiste sur ces préceptes qui visent surtout à préserver et promouvoir la vie. A cette lecture, nous pouvons croire que nous sommes plus dans l’esprit de notre Ancien testament. C’est peut-être vrai. Mais qu’avons-nous fait ? Que faisons-nous encore avec les Évangiles où la non-violence est plus manifeste ? A méditer. Et peut-être déjà à essayer : « j’étais un  musulman décrié et tu es venu vers moi » ?

Si nous ne pouvons célébrer la liturgie en cette fête du Christ-Roi, nous pouvons, dans la simplicité et la créativité, célébrer et promouvoir la vie avec Dieu, avec le prochain. La joie du Seigneur ne vient pas seulement dans la prière en retrait dans sa chambre ou lors d’immenses assemblées. Je laisse le dernier mot à Véronique Margron : « Oui, soyons dans la joie, non que la vie devienne facile, ce qui n’est nullement le cas. Mais parce que cette joie de pouvoir prendre en compte tous les côtés de la vie, personne ne pourra nous la ravir (Jn 16.22). Ne pas se résigner au mal, mais opter pour l’existence. Cette joie des profondeurs est offerte à qui accepte de traverser avec le Christ les expériences cruciales de la vie : l’abîme, l’excès du mal, le don. La joie de ne mettre ni Dieu ni l’autre de côté. Du nouveau vient. »

Heureuse fête dans le Christ et bonne semaine dans l’espérance !

Jean-Marc,
votre curé

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