HISTOIRE DES MISSIONS : 22. Inculturation

22. Inculturation, naissance d’un concept

Dès la fin du XIXe s., les anthropologues utilisent le terme d’acculturation pour désigner les interactions entre cultures. Dans les années 1930, ils lient « acculturation » et « inculturation » qui met l’accent sur l’aspect d’intégration par un individu de la culture de son groupe. En missiologie, puis dans les textes officiels, les deux termes sont utilisés, mais finalement, « inculturation » s’impose, en référence à incarnation, pour souligner que la rencontre entre Évangile et cultures veut faire de la Bonne Nouvelle un ferment de transformation et d’enrichissement de la culture. En 1962, le jésuite belge J. Masson forge l’expression « catholicisme inculturé » qui devient fréquente dans les productions jésuites sous la forme « inculturation ».

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HISTOIRE DES MISSIONS : 21. Fidei donum 1957

21. Fidei donum, nouvel élan missionnaire

Le jour de Pâques 1957, Pie XII publie une encyclique qui marque une nouvelle étape dans la vie missionnaire de l’Église. « Les incomparables richesses que Dieu dépose en nos âmes avec le don de la foi sont le motif d’une inépuisable gratitude… Pour ce don divin, qu’offrir au Seigneur, outre notre propre fidélité, sinon notre zèle à répandre parmi les hommes les lumières de la vérité divine ? L’esprit missionnaire, qu’anime le feu de la charité, est en quelque sorte la première réponse de notre gratitude envers Dieu : pour la foi que nous avons reçue de vous, voici que nous vous offrons, Seigneur, la foi de nos frères ! » Le but est clairement affirmé par le pape : « soutenir la cause sacrée de l’expansion de l’Église dans le monde ». L’attention se porte particulièrement sur la situation en Afrique où la décolonisation et les luttes pour l’indépendance sont en cours.

L’abbé FX Jacques au Mali (Ségué 2005)

Les jeunes chrétientés d’Afrique ne peuvent, avec leurs ressources propres, suffire à la tâche missionnaire qui leur incombe. En effet, écrit le pape, « il ne suffit pas d’annoncer l’Évangile : dans la conjoncture sociale et politique que traverse l’Afrique, il faut très tôt former une élite chrétienne au sein d’un peuple encore néophyte. » Pour former cette élite, il faut « développer sans retard les œuvres indispensables à l’expansion et au rayonnement du catholicisme » : fonder des collèges, créer des organismes d’action sociale, développer la presse et les médias catholiques, promouvoir l’Action catholique, nourrir la foi et la culture des chrétiens. Et l’encyclique de tirer la conclusion : « C’est de toute l’Église que, sous l’impulsion de ce Siège apostolique, doit venir la réponse fraternelle à tant de besoins. »

Fidei Donum promeut la communion ecclésiale et de la solidarité entre Églises particulières. Elle favorise le passage de ce que l’on appelait « les missions », à l’état d’Églises particulières, sous l’autorité d’un évêque diocésain et non plus d’un vicaire ou d’un préfet apostolique représentant du pape, lequel était considéré comme évêque universel. Fidei Donum annonce l’ecclésiologie de Vatican II et crée une nouvelle catégorie de missionnaires (clercs, religieux et laïcs) désignés comme fidei donum, autorisés par leur évêque « à partir se mettre, pour une durée limitée, à la disposition des Ordinaires d’Afrique. » Ils seront des milliers, les prêtres diocésains d’Europe et d’Amérique du Nord, à répondre à l’appel du pape et à quitter leur pays pour se mettre au service des Églises d’Afrique et d’Amérique latine.

Abbé Marcel Villers

Histoire des missions : 20. Au coeur des masses

20. Au cœur des masses

L’élan missionnaire de la fin des années 1940 pousse à inventer des formes d’apostolat adaptées à un milieu indifférent ou hostile au christianisme. Le fondateur des Petits Frères de Jésus, René Voillaume (1905-2003), propose en 1951, dans « Au cœur des masses », une nouvelle approche de la mission. Ce livre a eu une influence considérable dans la mesure où il a été lu et médité par quasi tout le clergé francophone des années 50 et 60. Le message spirituel qu’il délivre, dans le sillage de Charles de Foucauld, promeut l’idée d’une mission modeste, ramenée à un témoignage discret, voire silencieux, qui accepte l’enfouissement dans l’anonymat, au cœur des masses, et recourt d’abord à la prière. Le partage de la vie des plus pauvres prend le pas aussi bien sur la mission « par le haut », c’est-à-dire la formation et la conversion des élites, que sur la mission « par le bas », à force d’œuvres et de démonstrations publiques.

Les Petits Frères ou Petites Sœurs de Jésus décident de renoncer à toute forme de présence trop voyante dès lors qu’elle est ressentie comme agressive et fait obstacle à la rencontre de l’autre. À la mission conquérante succède ainsi l’expérience de l’humilité allant jusqu’à l’acceptation de l’inutilité, « seul, en bleu de travail, perdu au milieu de vos camarades du chantier ou appliqué en mission à d’humbles tâches de service ou de charité ». Le dénuement expérimenté au cœur des masses musulmanes où vivaient Voillaume et les Petits Frères depuis 1933 en Algérie, devient un modèle pour atteindre les masses ouvrières déchristianisées.[1]

« Nous vivons, écrivent les Petits Frères de Jésus, en petites communautés, que nous appelons “fraternités”, insérées dans les quartiers populaires ; nous essayons de partager au plus près la vie des gens simples, par le travail, le logement, des relations d’amitié, l’engagement dans la vie associative. L’Église nous a reconnus comme une Fraternité ayant une vie contemplative qui nous est propre, faite aussi bien du partage de la condition sociale de ceux et celles qui sont « sans nom et sans influence » que de l’adoration du Christ livré en nourriture pour la vie du monde. Comme le disent nos Constitutions, « les frères sont envoyés au milieu des gens non pour en devenir les pasteurs ou les guides, mais simplement pour être leurs frères. Cette communauté de vie est leur témoignage propre, leur participation à la mission de l’Église. »[2]

On va caractériser ce type missionnaire par un de ses traits : l’enfouissement. Cette logique de discrétion et d’immersion au cœur du monde va constituer, jusque dans les années 70, la forme privilégiée de la mission à une époque où l’Église a perdu son impact sur la société et pensait devoir se faire pardonner son triomphalisme d’hier.

Abbé Marcel Villers
Illustration : deux Petits Frères dans la banlieue d’Alger (1964)

[1] Claude Prudhomme, Le grand retour de la mission ?, in Vingtième siècle. Revue d’histoire, 66, avril-juin 2000. [2]https://petitsfreresdejesus.com/nosfraternites/europe/

Histoire des missions : 19. Les prêtres-ouvriers

19. Les prêtres-ouvriers

Dès la fin de la seconde guerre mondiale, la découverte de la déchristianisation de l’Europe va provoquer la transformation missionnaire de la vie de l’Église qui va s’illustrer par le mouvement des prêtres-ouvriers.  Il s’agissait pour eux de « sortir » d’une Église confortable et se déplacer dans le monde du travail. Être au plus près des ouvriers, partager leurs conditions de vie, manifester ainsi leur solidarité au nom de l’Évangile. Missionnaires, ils l’étaient non par une volonté de conquête, mais par le partage de vie, l’être-avec, le déplacement vers les périphéries sociales.

Un Verviétois, Charles Boland (1895-1974), est ordonné prêtre en 1921 et affecté comme professeur à l’Institut technique Saint-Laurent à Liège. Pour perfectionner ses connaissances pratiques, il fait un premier stage dans une usine de textile, ensuite dans une fonderie verviétoise, puis d’autres échelonnés sur dix ans. De ce fait, Charles Boland devient le premier prêtre à faire l’expérience du travail en usine. Il veut aller plus loin et se faire prêtre-ouvrier, partager les conditions de vie du monde ouvrier. Ce n’est qu’en 1942 que l’évêque l’y autorise. Il entre comme tronçonneur à Tubes-Meuse, à Flémalle. En 1946, un autre Verviétois, Armand Jaminet, capucin, que sa captivité en Allemagne a sensibilisé au problème ouvrier, entre au Val Saint Lambert, à Seraing, comme tailleur de cristaux. Le 29 décembre 1946, à Banneux, l’abbé Charles Boland, Damien Reumont et Pierre-Baptiste, capucins, tous trois ouvriers dans des usines de Flémalle, ainsi que quatre laïcs font acte de consécration en tant que « Missionnaires-ouvriers » à Notre-Dame de Banneux. Ils prendront bientôt le nom d’Ouvriers de la Vierge des Pauvres. Ils s’engagent « à revêtir la salopette, à prendre les outils, à descendre dans la bure (puits de mine), bref à vivre à l’usine la même vie que leurs frères ouvriers, à courir les mêmes dangers que lui, à ressentir les mêmes souffrances. » (Revue Banneux-N.D., 1947, janvier-février, n°6, p.12-14).

La signification spirituelle, sacerdotale, de leur présence est bien exprimée par l’abbé Boland : « Je viens à l’usine comme délégué principal de la communauté devant Dieu. Je viens lui offrir toutes les grandeurs du Travail, valoriser ainsi cette immense richesse perdue jusqu’ici. Je viens surtout intercéder et, encore plus, être l’adorateur, porte-parole silencieux de la communauté du travail de mon usine. » L’image ci-joint (Ed. des Ouvriers de la Vierge des Pauvres-Banneux, C.D.L.) illustre bien cette mystique.

En conclusion, « les prêtres au travail, écrit Charles Boland, ne sont pas de simples instruments apostoliques à la manière du sel tombant dans la soupe. Ils pénètrent dans le monde ouvrier avec le plus grand respect ; ils se contentent d’une présence très humble, d’une présence qui est partage complet de la condition ouvrière. Vivre en même temps l’Évangile avec les ouvriers. Pour finir, cette vie avec eux cherche à faire reconnaître que le Christ vit déjà en eux. » (Durée percée, 1968)

Abbé Marcel Villers