- Christianisation de l’espace
Le paysage nous habite autant que nous habitons dans un paysage. Les dieux gallo-romains peuplaient villes et campagnes. L’environnement était saturé de sacré. On connaît la légende de saint Remacle christianisant les fontaines « fécondantes », notamment celle de la Sauvenière à Spa. Des temples et des autels sont dédiés aux dieux. Ces édifices et ces éléments de la nature sacralisés façonnent le paysage urbain ou rural autant que mental. Deux réalisations vont contribuer à dessiner une autre topographie : l’édification d’églises et les cimetières autour d’elles. Cet ensemble église-cimetière devient le centre de la plupart des villages.
- Lieu du culte
La première architecture chrétienne est composée de trois lieux éclatés : le lieu de culte au sens propre du terme, défini par la présence de l’autel ; la chapelle des martyrs, fondée sur les reliques ; le baptistère, centré sur le bassin et la piscine. Sous les Carolingiens, les trois pôles sont réunis dans un même lieu. Reste à les hiérarchiser. L’autel est mis en valeur en le rehaussant de quelques marches ; on le place au-dessus de la crypte abritant les reliques, manifestant ainsi la supériorité du Christ sur les saints ; entre les IXe et XIe siècles, on va installer des fonts baptismaux dans les églises. Désormais, une église se répartit en trois zones : le chœur, la nef et les fonts baptismaux.
Le chœur est séparé de la nef par un chancel (du latin cancelli : barrière) et l’autel est repoussé au fond du chœur.
À Theux, lors des fouilles de 1977-1978, on a constaté les vestiges d’un mur d’époque carolingienne entre les premiers piliers. On peut interpréter ces restes comme les fondations d’un chancel séparant le chœur de la nef dont l’image[1] ci-contre donne une idée.
Pour le décor intérieur de l’église, on sait qu’à l’époque carolingienne, des peintures murales ou fresques ornent les murs de l’église. L’autel peut être décoré de pièces d’orfèvrerie.
Si les fidèles se rendent à l’église pour les besoins du culte, « ils en repartent munis de quoi bénir leur propre espace de vie sous la forme d’eau pour asperger leurs maisons, leurs champs et leurs vignes, ainsi que des fragments de pain eucharistique pour tous ceux qui n’ont pas pu se joindre à l’assemblée. »[2] En plus de la messe et de la réception des sacrements, il est recommandé aux fidèles de venir prier deux fois par jour, matin et soir, à l’église.
- Lieu de l’assemblée chrétienne, reflet de la structure de l’Église
L’organisation de l’espace intérieur de l’église reflète une certaine conception de l’Église. L’espace et la séparation entre le chœur et la nef traduit la distance qui s’élargit entre les prêtres et le peuple chrétien. Les clercs en viennent à constituer un ordre à part. Ainsi « les fidèles se tiennent debout dans la nef, séparés du sanctuaire par le chancel, et de l’autel par les chœurs des clercs. Le célébrant leur tourne le dos et s’adresse à Dieu en leur nom. »[3]
Les Carolingiens ont favorisé la formation d’une caste sacerdotale, séparée du reste du peuple par ses fonctions et son statut, conséquence entre autres d’une relecture vétéro-testamentaire du culte, conçu comme sacrifice, et de l’officiant assimilé au prêtre-sacrificateur exerçant au temple. C’est le spécialiste du sacré qui connaît les rites et les formules efficaces.
- Lieu saint et sacré
L’édifice relève d’un autre ordre que les bâtiments profanes, il devient un lieu saint parce qu’il héberge une relique. La célébration de la messe demande, depuis le Ve s., un autel bâti sur une relique. Le lieu du culte devient le lieu du saint. Chaque église a son saint patron présent par ses reliques, ce qui fait sortir ce lieu de l’espace commun ou profane. Le champ des morts entoure l’église et constitue, lui aussi, une terre sacrée où les chrétiens se font enterrer pour être auprès des saints et de l’église pour bénéficier des prières y récitées.
Lieu saint, l’église est aussi un lieu sacré. En effet, on attribue aux églises le statut d’exception des temples et de leurs autels sacro-saints. Dès 438, le code théodosien fixe le sort de ceux, esclaves ou fugitifs qui se réfugient dans des églises, « espaces inviolables et sortis du droit commun, que l’on dispense de charges, avec interdiction faite aux représentants de la puissance publique de pénétrer dans le ressort ainsi défini. »[4]
- Foyer de civilisation et de socialisation
Les églises, cœur du complexe paroissial, constituent les piliers de la société. Elles marquent l’espace, mais aussi les esprits et les mœurs. Elles contribuent à l’encadrement et à la structuration de la société. Foyer de prescription des normes et des interdits, elles régulent la vie individuelle et sociale selon l’ordre chrétien. Ainsi, on règlemente la vie de chacun, du début à la fin : les mariages avec interdiction du divorce, les naissances avec obligation du baptême, le travail avec le repos du dimanche, la mort avec l’obligation d’enterrer les morts autour de l’église et non en terre païenne.
La croix est large et bordée d’une double ligne. Au-dessus des bras, on aperçoit deux cercles, l’un contient la lune, l’autre le soleil. Le Christ est représenté imberbe, le corps recouvert d’un simple pagne, les jambes jointes sont au-dessus d’un calice qui représente le vase dans lequel fut recueilli son sang du Christ. [5] À gauche, le légionnaire romain (nommé Longin), d’un coup de lance, perce le flanc du Christ. À droite, un spectateur (nommé Valence) tend l’éponge imbibée de vinaigre.
Chauvigny (cité médiévale, arrondissement de Poitiers). Entre 782 et 984.
[1] Le chancel et l’autel d’époque carolingienne de l’église pré-romane de l’abbaye Saint Guilhem-le désert. https://pelerinage-orthodoxe-france.blogspot.com/2016/06/labbaye-de-gellone-saint-guilhem-le.html
[2] Dominique IOGNA-PRAT, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen-Âge, Paris, 2006, p. 242.
[3] André VAUCHEZ, La spiritualité du Moyen Âge occidental. VIIIe – XIIIe siècle, Paris, 1995, p.17.
[4] Dominique IOGNA-PRAT, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen-Âge, Paris, 2006, p. 57.
[5] https://histoiresduniversites.wordpress.com/2018/04/28/fresques-carolingiennes/