La politique missionnaire des évêques de Liège (XXe-XXIe s.)

Voici le texte de l’intervention de l’abbé Marcel Villers
lors de la présentation du livre, le vendredi 20 mai 2022

L’appel missionnaire, prêtres et volontaires liégeois, hier, aujourd’hui et demain

  1. Dès avant 1914, le Congo

Dès avant 1914, le Congo, cédé (1909) par Léopold II à la Belgique, ouvre un vaste champ apostolique pour les Belges. Mgr Rutten (1902-1927), qui avait songé à se faire missionnaire, invite ses diocésains à s’engager dans l’action missionnaire au Congo car, écrit-il, « la colonisation apparaît comme un acte collectif de charité. »

Les missions sont alors l’affaire des instituts et congrégations spécialisés. Néanmoins, il ne faudrait pas oublier la participation directe, mais temporaire, du clergé diocésain à l’œuvre missionnaire. Ainsi les Belges au Congo. Deux exemples. En 1891, des prêtres de Gand sont envoyés dans le Bas-Congo lors de la construction du chemin de fer des Cataractes où ils assurèrent la mission d’aumônerie auprès des Blancs et des Noirs. Quelques années plus tard, quatre prêtres répondirent à l’appel du Cardinal Mercier et s’en furent au Katanga aider les moines bénédictins de Saint-André/Bruges. Ces prêtres s’engagèrent temporairement pour une tâche déterminée et, celle-ci accomplie, vinrent reprendre leur place dans leur diocèse d’origine. On est là, à cinquante ans de distance, dans l’esprit des Fidei donum (Pâques 1957).

  1. Dans l’entre-deux guerres, la Chine et l’impact du Père Lebbe

En 1927, Mgr Kerkhofs (1927-1961) accepte d’être le premier supérieur de la SAM, Société des prêtres auxiliaires des missions. Cette création à Liège (1926) est surtout une innovation : des prêtres diocésains se mettent au service d’évêques en pays de mission. On est dans la ligne des Missions étrangères de Paris créées en 1663.

Le missionnaire est un auxiliaire, totalement au service d’un évêque autochtone en tant que prêtre du diocèse au même titre que les prêtres autochtones. On retrouve cette conception dans l’encyclique Fidei donum, trente ans plus tard. C’est ce qu’ont bien compris les membres de la SAM qui, en 1982, décident que la SAM a rempli sa mission car la formule Fidei donum offre aux jeunes désireux de partir en mission, plus de possibilités que la SAM tant au niveau du soutien individuel qu’au niveau de l’échange entre les Églises. La SAM a formé 118 prêtres qui ont servi dans plus de trente diocèses en Asie ou en Afrique.

  1. Au début des années 50, avant la publication de l’encyclique Fidei donum, Rwanda et Amérique latine

Au début des années 50, avant la publication de l’encyclique Fidei donum (1957), Liège est particulièrement en pointe, notamment sur le Rwanda.

Le Rwanda connaît le premier évêque indigène de l’Afrique belge, Mgr Bigirumwami (1952). Liège lance à Banneux l’axe Liège-Nyundo. Mgr Kerkhofs en explicite la signification par la responsabilité collégiale de l’évangélisation et la solidarité entre Églises qui en découle.

En juillet 1953, Mgr Kerkhofs écrit : « La mission d’évangéliser toute la terre persiste et elle incombe solidairement à tout l’épiscopat catholique, et notamment aux Évêques et aux fidèles des diocèses qui depuis de siècles bénéficient des trésors de la foi et de la vie chrétienne. Ils ne peuvent pas garder jalousement pour eux seuls ce précieux patrimoine, mais ils doivent le communiquer à leurs frères moins favorisés. »

Il précédait ainsi les vues développées cinq ans plus tard par l’encyclique Fidei donum.

Ce projet de parrainage d’un diocèse par un autre va susciter un vaste questionnement ecclésiologique qui fera dire au grand missiologue, le jésuite P. Charles : « Si l’initiative de Liège, première en ce genre, trouve des imitateurs, ce sera une date dans l’histoire des missions. » Deux perspectives sont dégagées de cette initiative liégeoise.
– D’abord, encourager le recours au clergé séculier : il s’agit de mettre à disposition pour une durée déterminée, un groupe de volontaires, non de leur confier un territoire de mission. On retrouvera la même perspective dans l’encyclique Fidei donum.
– D’autre part, le parrainage d’un diocèse de mission par un diocèse de chrétienté, inauguré entre Liège et Nyundo, est considéré comme la formule idéale de collaboration entre Églises : elle est concrète, d’application immédiate et favorable au développement spirituel du diocèse parrain comme du diocèse filleul.

Cela se concrétise par l’adoption des postes (18) de mission de Nyundo par des doyennés du diocèse de Liège-Limbourg. Envoi de prêtres spécialistes (professeurs surtout), 6 liégeois s’y succéderont, un y est toujours. Création en 1956 du collège du Christ-Roi par le chanoine Ernotte envoyé par Mgr Kerkhofs ; 18 prêtres liégeois s’y suivront jusqu’en 1982.

De ces professeurs, deux vont se distinguer en créant l’un, l’abbé Fraipont, une institution pour les handicapés (Home de la Vierge des Pauvres, Gatagara en 1959). Il écrivait à Mgr Kerkhofs : « il faut qu’on s’occupe ici des pauvres et des malheureux. Nous nous occupons d’une centaine d’étudiants : c’est très bien et très nécessaire, mais à côté du collège, il y a des milliers de déshérités qui nous attendent : pouvons-nous les décevoir ? »

L’autre est Pierre Simons qui, dans le même esprit, fonde le Home Don Bosco, un orphelinat et un refuge pour jeunes abandonnés.

L’Amérique latine. Dès le début des années 1950, Rome sollicitait les épiscopats européens « pour aider l’Amérique latine en proie « aux avancées communistes, protestantes et spirites », selon le vocabulaire utilisé par Pie XII. Il s’agit de protéger la citadelle catholique assiégée en Amérique latine. En Belgique, en 1953, est fondé le Collège pour l’Amérique latine de Louvain, séminaire interdiocésain et centre de formation spécifique à l’Amérique latine. Les premiers départs de prêtres s’organisent en 1955 à destination de la Bolivie et du Brésil. Deux Liégeois sont du lot.

  1. A Pâques 1957, Pie XII publie l’encyclique Fidei donum

En 1955, 29 pays d’Afrique et d’Asie tiennent la conférence de Bandung, manifestant l’éveil du tiers-monde et sa volonté de se prendre en main. L’ère des indépendances est à l’horizon. L’encyclique de Pie XII marque la prise de conscience de ces perspectives et fixe son attention sur l’Afrique qui, écrit le pape, « traverse les années les plus graves peut-être de son destin millénaire ». Et d’énumérer les risques : nationalisme exacerbé ; communisme athée ; succès croissant de l’Islam ; l’ébranlement culturel et religieux produit par la civilisation technique et matérialiste. Cette situation peut entraîner la perte de l’Afrique noire pour l’Église catholique. Le clergé local comme les missionnaires ne sont pas en mesure de répondre efficacement à cet état de choses. Et surtout, écrit le pape, « il ne suffit pas d’annoncer l’Évangile, il faut très tôt former une élite chrétienne. » Pour former cette élite, il faut « développer sans retard les œuvres indispensables à l’expansion et au rayonnement du catholicisme » : fonder des collèges, créer des organismes d’action sociale, développer la presse et les médias catholiques, promouvoir l’Action catholique, nourrir la foi et la culture des chrétiens.

En conséquence, Fidei donum engage à envoyer certains prêtres spécialisés, pour une durée limitée, à la disposition des Ordinaires d’Afrique. Pie XII demande aussi de susciter le plus possible de militants laïques prêts à faire bénéficier les jeunes chrétientés de leur expérience dans l’Action catholique ou dans l’Action sociale. 

  1. L’appel de Mgr Van Zuylen (1963) au clergé de Liège

L’encyclique Fidei donum s’attachait particulièrement à l’Afrique. Quatre ans plus tard, en 1961, Jean XXIII demande le même type d’aide pour l’Amérique latine. Puis le concile Vatican se déroule.

« Le décret Ad gentes, promulgué par le concile Vatican II, prolonge et renforce la direction prise par Fidei donum. Désormais, tous les évêques et, avec eux, toutes les Églises sont « collégialement » responsables de l’évangélisation du monde. Cette mutation permet aux missions une plus grande souplesse en mettant en place une structure triangulaire entre Rome, les Églises du Nord et les Églises du Sud. Le bilatéralisme est valorisé plutôt que la centralisation, même si Rome tente de coordonner le mouvement ». La mission, « c’est un évêque, une Église, qui aide un autre évêque, une autre Église. La conception de la mission cesse d’être territoriale pour devenir ecclésiale : seule l’Église peut engendrer l’Église. »[1] Ces échanges vont se développer dans tous les sens : nord-sud, puis sud-nord et enfin sud-sud.

Mgr van Zuylen (1961-1986), retour du Concile, en 1963, lance un appel aux prêtres de son diocèse pour des volontaires Fidei donum.[2] Cette longue lettre est à l’origine d’un bel élan missionnaire des prêtres liégeois. 21 d’entre eux, vicaires de paroisse, aumôniers, enseignants quittent le diocèse, les uns pour l’Amérique latine, les autres pour l’Afrique centrale.

Pour Mgr Van Zuylen, « Il faut que les diocèses démunis de prêtres reçoivent une aide passagère de prêtres diocésains capables de susciter chez eux ou de développer un clergé diocésain autochtone : des prêtres qui par leur témoignage de vie, leur collaboration aux universités, aux séminaires, aux structurations apostoliques seront des multiplicateurs de vocations et aideront les diocèses en cause à résoudre eux-mêmes demain leurs problèmes…

Il faudra donc que certains d’entre nous partent là-bas. Ce doivent être des volontaires, n’ayant pas encore atteint 20 années de sacerdoce et disposés à partir pour une période d’au moins 3 ans au service d’un diocèse lointain. Leur départ d’ici n’ira pas sans nous mettre devant de sérieuses difficultés. Alors que notre diocèse souffre depuis la fin de la guerre d’une crise persistante de vocations… Mais ce n’est pas une raison suffisante pour fermer l’oreille à l’appel qui nous vient… Le prêtre diocésain n’a pas ses horizons limités aux frontières de son diocèse. »

  1. Le souci des évêques de Liège pour leurs prêtres Fidei donum en Afrique et en Amérique latine

Mgr van Zuylen (1961-1986) va au Rwanda en janvier 1968. En 1970, il entreprend une visite pastorale auprès des 15 prêtres liégeois en mission en Amérique latine. Il se rend notamment au Guatemala où il visite les paroisses de la mission de Jocotan, parcourant à cheval ces villages de montagne.

Mgr Albert Houssiau (1986-2001). En 1989, pour connaître concrètement les conditions de vie et l’activité pastorale de nos prêtres Fidei donum et pour rencontrer les évêques de leur diocèse, Mgr Houssiau est allé vivre avec six d’entre eux, au Nord Est du Brésil, dans l’État de Sao Paulo, à Lima et à Caracas. Au cours de l’été, il a longuement pu écouter à Liège plusieurs des prêtres, actifs, au Venezuela, au Panama ou au Chili.

Mgr Jousten (2001-2013) visite, en juillet 2005, les prêtres Fidei donum œuvrant en Amérique Latine, notamment le Guatemala et le Brésil. En juillet 2006, il visite le Rwanda, en particulier Nyundo et Nyanza où il célèbre le Jubilé du collège (remis au clergé rwandais depuis 1982).

Aujourd’hui, en 2022, 7 prêtres liégeois sont toujours sur le terrain, 3 en Amérique latine et 3 en Afrique, un en Suisse :

  1. D’ANS Hugues (Brésil) 2. JERUMANIS André-Marie (Suisse) 3. MEYERS Joseph (Burkina Faso) 4. RENAUD Bruno (Venezuela) 5. RIXEN Eugène (évêque émérite de Goiás au Brésil) 6. SCHMETZ Joseph, (incardiné à Nyundo, Rwanda) 7. TRUYENS Marc (Congo) 

Une épopée de 65 ans s’achève, celle qui a conduit 104 prêtres de notre diocèse, en comptant les Limbourgeois, à le quitter pour servir des Églises d’Afrique et d’Amérique latine. Ce bel élan missionnaire a permis l’ouverture de notre Église liégeoise aux dimensions du monde. Cette prise de conscience que l’Église a une dimension universelle nous donne confiance et espérance en ce temps où nous connaissons à notre tour pénurie et doute. Il faut en sortir, comme dit le pape François. Prendre la route, élargir notre horizon, devenir disciples-missionnaires : tel est notre avenir.

Abbé Marcel Villers

[1] Joseph LEVESQUE, De Fidei donum à Redemptor hominis, in Église et mission, n° 226, juin 1982, p. 2-18.

[2] Acta, n° 14, 1963, p. 117-121.