La seule chose que je veux vous dire… : au revoir de l’abbé Henri Bastin

Au terme de mon ministère comme curé de notre l’unité pastorale Saint-François-d’Assise-au-pied-des Fagnes, ce message que je vous livre… Il n’est autre que le texte de l’homélie des dernières funérailles que j’ai célébrées à la Cathédrale (Cf. Ap. 21, 1-4 ; Mt 8, 23-27)… N’est-ce pas en effet lorsque nous sommes confrontés à la mort que nous sommes plongés au cœur de notre foi ?… Trouvez dans ces lignes le « noyau dur » de ce qui n’a cessé de m’habiter de plus en plus… par-delà toutes les paroles et tous les engagements qui furent les miens à Malmedy et en bien d’autres lieux, depuis le jour de mon ordination sacerdotale, le 26 août 1973, jusqu’à ce jour.

Si nous sommes ici aujourd’hui dans notre église – notre Cathédrale – en ce moment où nous accompagnons notre sœur qui nous a quittés, c’est pour regarder et écouter Jésus…

Regarder et écouter Jésus : cela d’abord et avant tout… avant tout discours, avant toute parole…

Aussi justes, fraternelles et émouvantes, soient nos paroles humaines, elles restent en définitive pauvres et démunies devant toutes ces détresses qui frappent l’humanité, détresses qui, tôt ou tard, frappent chacun d’entre nous… Et la mort en premier parmi ces détresses !…

D’abord faire silence, et ensuite regarder Jésus, et enfin l’écouter… Voilà, frères et sœurs, pourquoi nous sommes ici…

C’est à cela seul qu’il faut revenir ici en cette église.

Regarder le Christ, regarder Jésus, tel qu’il nous apparaît, dans l’évangile qui vient d’être proclamé…

Regarder le Christ… Et que voyons-nous d’abord, sinon qu’il est dans la barque…

« Il monta dans la barque et ses disciples le suivirent… », nous est-il dit…

Qu’est-ce donc que cette barque, frères et sœurs, sinon le monde et notre vie à chacun…

Ce qui me frappe, c’est qu’on nous dit que Jésus monte le premier… Je vois, là, frères et sœurs, une manière de nous dire que, quelle que soit la situation de la barque, le Seigneur nous y a précédés…

La barque du monde, la barque de nos vies si souvent aux prises avec le vent, les turbulences, la tempête… : Jésus y est déjà… Cela, frères et sœurs, est pour moi profondément consolant…

Pas une seule détresse, pas une seule épreuve, où Jésus ne soit d’abord présent…

Je ne suis pas seul en tout cela… Tu es avec moi, Jésus… Assurément je puis redire avec le psalmiste : «Passerais-je un ravin de ténèbres, je ne crains aucun mal car tu es avec moi ; ton bâton, ta houlette sont là qui me consolent » (Psaume 23, 4)…

Oui, frères et sœurs, prendre conscience que le Seigneur est là en nos pleurs, en nos cris, en nos tristesses (Cf. 1ère lecture : Ap. 21, 4) est profondément consolant… Mais, frères et sœurs, il importe de le dire et de le redire : cette consolation ne devient réalité que si, dans le silence, nous cultivons l’attention, l’attention à la Présence qui toujours sera discrète, qui toujours sera là sans bruit, car étant l’Amour, jamais elle ne s’imposera…

N’est-ce pas ce qui est rendu dans ce même évangile qui vient d’être proclamé ?… Lorsque ce même évangile dit : « Lui (Jésus) cependant dormait. »…

Oui, frères et sœurs, rendons-nous attentifs à cette Présence… à LA PRÉSENCE…

Ouvrons les yeux sur cette Présence sans nous laisser aveugler par toutes les images de mort, en nous et autour de nous… Faisons silence, regardons, et implorons : « Seigneur, au secours ! »…

Sans doute, parce que si vite nous perdons pied, nous dira-t-il comme aux disciples : « Pourquoi avez-vous peur, gens de peu de foi ? »… Mais osons croire que, parce qu’il souffre plus que nous quand nous souffrons, parce qu’il a plus mal que nous quand nous avons mal, sa parole n’attend que de nous libérer promptement de la mer et des flots… : « Alors, s’étant levé, il menaça les vents et la mer, et il se fit un grand calme. »… 

Frères et sœurs, que puis-je dire d’autre, pour que cette expérience devienne vôtre ?…

Vraiment, que puis-je dire d’autre que ma fraternelle invitation ?… La dire et la redire, encore et encore : Faites silence, regardez Jésus, écoutez-le à l’intime de votre cœur, plus profond que le plus profond de vos turbulences… Ecoutez-le dire, pour chacun d’entre vous et pour notre sœur que nous accompagnons dans son dernier passage : « N’aie pas peur, je suis avec toi. »… Ah, si nous pouvions en vivre !

Amen.

Encore quelques lignes du Cardinal Newman…

Comme complément au message que je vous ai livré, je ne résiste pas à reprendre une page combien touchante du Cardinal J-H Newman : Dieu vous considère individuellement, qui que vous soyez. Il vous appelle par votre nom. Il vous voit et vous comprend de même qu’Il vous a faits. Il sait ce qu’il y a en vous, tous vos propres sentiments particuliers et toutes vos pensées, vos dispositions et vos penchants, votre force et votre faiblesse. Il vous voit au jour de votre joie et au jour de votre tristesse. Il sympathise à vos espérances et à vos tentations. Il s’intéresse lui-même à toutes vos inquiétudes et à tous vos souvenirs, à toutes les élévations et les dépressions de votre esprit. Il a compté même les cheveux de votre tête et les coudées de votre taille ; Il vous entoure de compassion et vous porte dans ses bras. Il vous relève et vous repose à terre. Il remarque la manière intime dont vous vous comportez parmi les sourires et les larmes, dans la santé ou la maladie. Il observe tendrement vos mains et vos pieds ; il entend votre voix, le battement de votre cœur et votre respiration même. Vous ne vous aimez pas davantage vous qu’Il ne vous aime Lui. Vous ne pouvez pas avoir plus d’horreur de la douleur qu’Il n’en a Lui-même à vous voire la subir.

Votre curé-doyen,
Henri Bastin

P.S. Textes publiés sous l’appellation Le Mot du Curé, les 11 et 18 août 2018, sur le site de l’Unité Saint-François-d’Assise-au-pied-des-Fagnes.