22. Le domaine de Theux devient paroisse (VIIIe-IXe siècle)

L’église

C’est autour de l’église que s’organise le nouveau paysage géographique et social sous les Carolingiens. Construire une église et la doter de moyens pour assurer son entretien, demande des fonds dont seuls les puissants disposent. L’époque voit une véritable floraison d’églises d’autant qu’on assiste à une croissance de la population et des villages dans les campagnes. Ces églises naissent les unes de la volonté de l’évêque, d’autres des propriétaires des grands domaines, quelquefois des habitants eux-mêmes. L’église une fois construite, il faut encore garantir des ressources suffisantes et récurrentes pour la maintenance du bâtiment et l’entretien du prêtre qui la dessert. On recourt alors à une antique tradition, celle de la dîme.

L’institutionnalisation de la dîme

Dès le IIIe siècle, l’usage de verser un dixième de ses revenus à l’Église est courant ; mais cela reste affaire de conscience. Au VIe s., dans un monde rural, la dîme est considérée comme une reconnaissance de la dette due à l’égard du Créateur ; le versement de la dîme est une manière de rendre les bienfaits que la Providence divine prodigue aux hommes. Ne pas le faire expose à la colère de Dieu qui se manifeste par les calamités comme la famine, les catastrophes naturelles, les guerres. Ce n’est pas un hasard si l’obligation de verser la dîme « s’inscrit explicitement dans le contexte des famines qui furent particulièrement nombreuses sous le règne de Charlemagne. »[1] De cas de conscience, la dîme devient une loi positive lorsque son obligation, déjà édictée par Pépin III (765 ?), est reprise dans la législation civile par le capitulaire promulgué à Herstal en 779 par Charlemagne.

De la dîme à la paroisse

La dîme consiste à donner, chaque année, le 10e des récoltes, du croît du bétail et même du produit industriel à l’Église. Impôt de redistribution, l’utilisation des fruits de la dîme est réglementée. Dans le diocèse de Liège, la tripartition est d’usage : un tiers ad ornamentum ecclesiae (l’entretien de l’église), un tiers ad usum pauperum et peregrinorum (à destination des pauvres et des voyageurs), un tiers destiné à l’entretien des prêtres.

La dîme est payée « par chacun des fidèles à l’église locale où il a été baptisé, où il communie, se confesse et auprès de laquelle il sera un jour enseveli. La levée de la dîme crée donc une appartenance à un groupe de coobligés et de bénéficiaires des services d’un prêtre local à sa tête. »[2] Ainsi naît la paroisse : une église, un prêtre, un groupe d’appartenance, des droits (les services pastoraux) et des devoirs (la dîme) qui relient les fidèles au prêtre.

La paroisse

Le terme paroisse est une transcription du grec paroikia qui signifie : « séjour dans un pays étranger ». Paroisse désigne donc à l’origine une installation passagère et sert pour toute circonscription ecclésiastique. Il est employé dans deux sens différents. C’est d’abord le diocèse, mais c’est aussi, à partir du IXe s., l’espace centré sur l’église locale d’où le desservant tire le produit de la dîme, autrement dit la paroisse au sens actuel. En même temps que la paroisse naissent les paroissiens qui sont attachés à « leur » curé comme lui est attaché à « son » église. Le paroissien, c’est « le fidèle attaché à son église, centre de la paroisse et cadre d’accomplissement de tous les temps forts de la biographie du chrétien : le baptême, la confession, l’assistance à la messe et la communion, les obsèques, le paiement de la dîme. »[3]

Theux devient paroisse

« En 814, Louis le Pieux (successeur de Charlemagne) confirme la concession des dîmes de plusieurs églises aux abbayes de Stavelot et Malmedy parmi lesquelles figurent Thommen (au sud) et Theux (au nord). »[4] Qui dit dîme, dit paroisse.

Le domaine de Theux est devenu paroisse avant 814, sans doute déjà au VIIIe s., puisque l’empereur ne fait que « confirmer la donation faite par ses prédécesseurs de la collation (droit de nommer le desservant) et des dîmes de la chapelle du domaine royal de Theux. Ce droit de Stavelot sera confirmé en 950. Si, outre un desservant, des dîmes sont attachées à la capella de Tectis, celles-ci devaient nécessairement être perçues sur un territoire plus ou moins bien délimité »[5] qui correspond à l’étendue du domaine royal. La chapelle de Theux, qui devient une église au cours du IXe s., est celle d’un domaine appartenant au souverain dont il tire tous les revenus.

C’est le souverain qui y a construit la chapelle[6] et dont il désigne le desservant, soit un des prêtres attachés à sa cour, soit un prêtre demandé à l’abbaye de Stavelot-Malmedy qui officie lorsque la cour séjourne hors de Theux, ce qui est le cas la plupart du temps. Ce fait conduit probablement le souverain, Charlemagne ou Pépin le Bref, à concéder la désignation du desservant et la perception de la dîme ; celle-ci permet d’entretenir la chapelle et le prêtre y attaché. La concession est faite à l’abbaye de Stavelot-Malmedy qui a été fondée et dotée par les souverains mérovingiens sur leur domaine. En 810/813, Charlemagne et Louis le Pieux ont décidé « que chaque église doit avoir un territoire délimité à l’intérieur duquel elle perçoit la dîme ».[7] Le domaine de Theux devient d’un bloc le territoire de perception de la dîme et donc celui de la paroisse de Theux.

La carte de la paroisse primitive de Theux[8]

Le territoire de la paroisse primitive de Theux comprend, à l’origine, douze des communes belges qui constituèrent, sous l’ancien  régime, le marquisat de Franchimont divisé en cinq bans, dont les chefs-lieux étaient Theux (chef-ban) avec Oneux, La Reid, Pepinster, Polleur, Jehanster, et peut-être Franchimont ; le ban de Verviers avec Stembert, Ensival et Andrimont ; le ban de Jalhay ; le ban de Sart et le ban de Spa.


[1] Jean-Pierre DEVROEY, L’introduction de la dîme obligatoire en Occident. Entre espaces ecclésiaux et territoires seigneuriaux à l’époque carolingienne, in L’Église, la dîme et la société féodale, Turnhout, 2012, p. 89.

[2] DEVROEY, p. 92.

[3] Dominique IOGNA-PRAT, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen-Âge, Paris, 2006, p. 312.

[4] Micheline JOSSE, Le diplôme d’Arnould de Carinthie du 13 juin 888, in Bailus-Baelen, 888-1988. Mélanges, Baelen 1988, p. 9-14.

[5] BERTHOLET-HOFFSUMMER, p. 80.

[6] Des actes de 820 et 827 sont signés au palais royal de Theux, ce qui prouve que le roi avec sa suite y séjourne, le temps d’épuiser les ressources alimentaires du domaine et de chasser dans la forêt qu’il s’est réservée.

[7] Dominique IOGNA-PRAT, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen-Âge, Paris, 2006, p. 24.

[8] Paul BERTHOLET, L’évolution ecclésiastique depuis le Concile de Trente, in Trésors d’art religieux au marquisat de Franchimont, Theux, 1971, p. 20.