29. Un trésor de l’art roman : la cuve des fonts baptismaux de l’église de Theux (XIIe siècle)

Des fonts baptismaux de Theux, en pierre calcaire bleu de Meuse, la cuve est romane (XIIe s.), le socle gothique (XVIe s.) et le pilier ressemble à un remploi romain, peut-être une pierre aux quatre dieux. En effet, le pilier montre quatre enfants nus, de sexe masculin. Ils sont montrés de dos, de face, de profil. Ces figures se rapprochent de reliefs gallo-romains. On aurait affaire à une partie d’un monument païen, incorporé dans les fonts baptismaux. On pense aux colonnes au dieu cavalier qui présentaient un cavalier foulant aux pieds un anguipède, c’est-à-dire un géant mi-homme mi-serpent. Le groupe symbolise la victoire de la vie sur la mort. C’est là aussi la signification du baptême, victoire sur le péché et la mort, à la suite du Christ.

À l’origine, les baptêmes chrétiens s’effectuaient en eau courante. Assez vite, ils se firent dans les bains de maisons particulières. Après la reconnaissance de l’Église par Constantin (313), les baptêmes se célébrèrent dans un édifice distinct de l’église épiscopale : le baptistère ou église baptismale. Les baptisés étaient majoritairement des adultes et le baptême s’effectuait par immersion dans une sorte de piscine creusée dans le sol du baptistère. Il y avait une seule église baptismale par diocèse.

La disparition progressive des baptêmes d’adultes amena vers le XIe s. à baptiser les enfants dans toutes les églises paroissiales. Cela entraîna l’aménagement de fonts baptismaux dans une chapelle latérale de l’église, près de l’entrée principale, généralement du côté nord. Le nord signifie dans la symbolique romane la contrée des païens, puisque l’Évangile vient du sud. De plus, la façade nord d’une église est celle que n’éclaire jamais le soleil. Le baptisé quittait donc les ténèbres du pays païen (le nord) pour s’avancer vers la lumière de l’Évangile.

Comme c’était, la plupart du temps, des enfants de quelques jours qu’on baptisait, la piscine fit place à une cuve dans laquelle on immergeait les nouveau-nés horizontalement, et non plus verticalement. Les cuves ne devaient plus être très profondes, ce qui transforma la forme des fonts eux-mêmes.

De cette époque date la cuve des fonts baptismaux de l’église de Theux en lien avec la construction de l’église-halle romane (fin du XIe s.).

Le lieu du baptême était situé près de l’entrée principale. Une tribune semble avoir surmonté les fonts baptismaux. Des chœurs y prenaient-ils place lors de certains offices ? Des reliques de saints y étaient-elles exposées à la vénération des fidèles ? Les catéchumènes s’y tenaient-ils, partiellement à l’écart du culte divin ?

La figure principale des sculptures du pilier central est l’enfant ailé ; il symbolise l’homme nouveau, l’homme céleste qui a triomphé du péché. Le baptême réalise la conversion de l’homme et son accès à la vie divine.

Par ailleurs, les fonts baptismaux de l’église de Theux présentent, comme la plupart des fonts mosans, une cuve flanquée de quatre têtes d’angles saillantes. Elles symbolisent les quatre fleuves jaillissant de la source paradisiaque et coulant dans les quatre directions de l’espace, fertilisant ainsi la terre entière. L’eau baptismale est source de vie pour ceux qui s’y plongent, mais aussi pour l’univers entier.

La cuve contient l’eau bénite dans laquelle l’enfant est plongé trois fois. Cette cuve est de la fin du XIe s., et proche de celle de l’église de Harzé : le seigneur de cette localité était le haut avoué de Franchimont ; il contribua probablement à la réalisation des deux cuves, dont la ressemblance est étonnante (formes, proportions et types de dragons) et peuvent provenir d’un même atelier.

Ce sont les eaux de la mort que la cuve contient et qui font d’elle une figure du tombeau, ce que renforce d’ailleurs sa masse de pierre. Être plongé au cœur de ce gouffre de pierre et en ressortir exprime clairement la mise au tombeau et la résurrection. Les baptisés ne sont-ils pas définis par saint Paul comme des vivants revenus d’entre les morts (Rm 6,13).

Sur les flancs de la cuve, on distingue trois figures animales, étranges et fascinantes à la fois. Les monstres sont nombreux dans la sculpture mosane. Sur la cuve de Theux, un dragon, de facture archaïque, est entouré de deux quadrupèdes qui pourraient être des lions. Si dragons et lions figurent sur les cuves baptismales, c’est qu’ils remplissent une fonction « d’illustration » des prières ou des rites qui conditionnent ou constituent la célébration du baptême. Avant d’être utilisée pour les baptêmes, l’eau devait être consacrée la nuit de Pâques, délivrée du démon et de sa malice.

Les monstres ornant la cuve sont armés pour nuire et effrayer : griffes, gueule ouverte, corps pesant. Ils peuvent marcher, bondir, ramper, mais aussi voler. En s’approchant des fonts baptismaux, tous savent le danger qui guette l’âme du nouveau-né. Sur les fonts baptismaux, le dragon personnifie en quelque sorte le contenu de la cuve : les eaux de la mort. « Sauve-moi de la gueule du lion », tel est le cri, le vœu de celui qu’on baptise. Cette gueule qui cherche à avaler n’est-elle pas alors la cuve elle-même dans laquelle est plongé le baptisé ?

En conclusion, la cuve, son contenu et sa forme de gueule dévoreuse, est en quelque sorte personnifiée par le dragon et les lions aux gueules ouvertes. Descendre dans cette gueule, c’est descendre dans la nuit de la mort ; être délivré de la gueule, c’est accéder à une vie nouvelle. Ainsi ces monstres sculptés sur ses flancs symbolisent la fonction de la cuve, matrice ou gueule dévoreuse d’où naissent les enfants de Dieu. Mystère de mort et d’engendrement, mystère de mort et de résurrection : telle est bien la signification du baptême.