Un château, un marché, un bourg, une paroisse, une grande forêt et surtout une population de plus en plus nombreuse, tel apparaît en cette fin du XIe s. la châtellenie de Franchimont, domaine du prince-évêque de Liège[1]. S’ouvre alors une longue période de croissance (XIe-XIIIe s.) démographique et économique dont un des moteurs est ce que l’on appelle habituellement les grands défrichements. Ainsi naissent dans l’immense forêt du domaine de Theux des colonies de peuplement par suite des essartages. Les terres gagnées sur la forêt deviennent la propriété des habitants contre une redevance annuelle au prince-évêque. Sart, mais aussi Jalhay, La Reid, Polleur et bien d’autres communautés rurales trouvent là leur origine ou leur développement.
La cour échevinale
La châtellenie de Franchimont s’organise d’abord (XIIe s.) en trois bans[2] ou communautés : Theux, Sart, Jalhay, puis en cinq avec Spa et enfin Verviers. Chaque ban comporte une cour de justice qui siège au chef-lieu. « La plus importante, jouissant de pouvoirs plus étendus, était celle de Theux, chef-ban. Ces cours étaient composées de sept échevins, d’un mayeur, d’un greffier. L’exécuteur de leurs ordres se nommait sergent. Pendant longtemps, elles rendirent non seulement la justice et traitèrent de toutes les transactions entre particuliers, telles que ventes, locations, échanges, prêts, conventions de mariages, testaments, (notre enregistrement actuel) mais elles réglèrent aussi les intérêts des communautés. »[3] La cour échevinale tient trois fois l’an une audience particulière à laquelle doivent être présents tous les chefs de ménage, c’est l’occasion de prendre connaissance des lois et règlements édictés par l’autorité, et pour la communauté de délibérer sur ses affaires.
Le châtelain
Le château construit à la fin du XIe s., le prince-évêque en confie la responsabilité à une famille puissante capable d’équiper et organiser une milice, un contingent de soldats
fourni par chaque ban, pour assurer la garde et la défense armée de la position. Cette charge devient vite héréditaire, échappant ainsi au prince-évêque qui reprendra la main dès le XIVe s.
On distingue trois fonctions principales exercées par le châtelain : militaire, judiciaire, administrative.[4] Elles sont attestées pour les temps modernes, mais on peut supposer qu’il en était déjà ainsi antérieurement.
Représentant du prince-évêque, le châtelain est d’abord gardien du château dont il commande la garnison, défendant la position et la région. Il est aussi habilité à conduire des opérations militaires offensives. Le châtelain est haut-officier de justice ; à ce titre, il est gardien des lois et veille à leur exécution. Sa charge comporte aussi les fonctions de police. Sous ses ordres, les forestiers veillent à la conservation des forêts, les sergents maintiennent l’ordre dans le bourg et les campagnes. Enfin, il est chargé de transmettre et faire appliquer les ordonnances du prince relatives à l’administration, surtout celle des biens du prince, entre autres la forêt, mais aussi ses droits en matière d’adjudication de moulin banal, d’octrois, de location de chasse et de pêche. Plus tard, il présidera et participera à l’élection des bourgmestres.
Le haut-avoué
Terre de Liège et donc propriété de son prince-évêque et seigneur depuis 915, le domaine de Theux est administré par un avoué choisi par l’évêque dont il est le représentant sur place. « Au nom de ce dernier, il préside le tribunal ; il doit assurer la liberté des chemins et la sûreté des campagnes ; il est le porte-voix des plaintes du peuple et doit proposer les réformes que celui-ci juge utiles ou nécessaires. En retour, il touche le tiers des amendes et compositions (transactions). Au XIe s. les propriétaires de l’avouerie sont les Montaigu alliés aux seigneurs de Harzé. »[5]
Le châtelain et l’avoué
Ces deux institutions exercent des fonctions militaires, judiciaires et administratives qui se recouvrent en grande partie. L’antériorité de la charge d’avoué semble plaider en sa faveur, d’autant que le châtelain doit prêter serment au haut-avoué. Leur lien avec le prince-évêque est différent : l’avouerie est devenue un fief héréditaire et échappe ainsi au contrôle du prince alors que celui-ci place à la tête du château un homme dont il est sûr. On peut donc penser que le prince-évêque cherche à amoindrir les pouvoirs de l’avoué. De fait, la construction du château va réduire puis supprimer les pouvoirs militaires de l’avoué.
Le haut forestier
« Dès que les archives le permettent, c’est-à-dire début XIVe s., on constate au Pays de Franchimont la présence d’un haut forestier et de cinq forestiers, tous héréditaires ; leur foresterie relève alors en fief du prince-évêque de Liège. Chacun est attaché à un territoire bien défini. Quatre possèdent personnellement un fief particulier. Ainsi celui du ban de Theux possède le bois de Fléron à La Reid et le haut-forestier le moulin banal de Spixhe. »[6]
Les paroisses
Deux paroisses existent au XIe s., Theux et Sart. Au XIIe s., une chapelle est attestée à Jalhay, Oneux, Marché. Les paroisses de Theux et de Sart font partie du concile ou doyenné de saint Remacle, dans l’archidiaconé de Condroz.
Le doyen, élu par les curés, veille sur la vie et l’activité des prêtres de sa zone. Il les réunit tous les mois, afin de régler les affaires pendantes, assurer une formation, rompre l’isolement et prier ensemble. Chaque prêtre doit rendre compte au doyen de sa vie, de son enseignement, de sa gestion, de l’état de son église, ses œuvres, son école.
Au XIe s., les doyennés ou conciles font partie d’un archidiaconé. Il y en avait sept présidés chacun par un archidiacre, nommé par l’évêque et membre du chapitre de la cathédrale. L’archidiacre est un agent épiscopal chargé d’administrer son ressort au nom de l’évêque et de veiller au maintien de la discipline ecclésiastique. Il surveille les doyens, visite les paroisses, contrôle leurs comptes, investit les curés de leur charge, leur accorde les permissions d’absence, dispense des bans de mariage. Il préside une fois l’an une réunion synodale à laquelle participent les curés.

Extrait de Jacques STIENNON, Jean-Pierre DELVILLE, Liège Histoire d’une Eglise, volume 2, Strasbourg, s.d., p. 25
Les seigneuries
Dans le Franchimont, dont le seigneur est le prince-évêque, on connaît des seigneuries particulières, c’est-à-dire des domaines et des populations relevant d’un seigneur local avec exercice de la justice sur les biens fonciers mais pas les personnes.
Oneux possède une église ou chapelle dès le XIIe s. fondée par le chevalier Namur, seigneur d’Oneux, afin d’assurer aux habitants une messe tous les dimanches. On a affaire à une église seigneuriale, donc privée.
Le village de Jehanster constitue une seigneurie foncière dès le XIVe s. ; cette seigneurie est liée à la mise en exploitation des mines de fer du Hélivy.
Trois-Fontaines, hameau proche de l’actuel village de Tiège, est le siège d’une seigneurie entre le XIVe s. et le XVIIIe s.
Le village de Surister forme, depuis 1474, une seigneurie qui reste presque jusqu’à la fin du XVIIIe s. dans les mains de la famille Groulart.
Le château de Hautregard est le siège d’une seigneurie résultant d’un octroi du prince-évêque Érard de la Marck, en faveur de la famille de Presseux en 1505. Ces derniers assuraient les fonctions de gouverneurs du marquisat de Franchimont.
[1] « Il n’y eut jamais à la tête de la châtellenie un marquis. Ce titre de marquis de Franchimont apparaîtra à partir de 1551, sous Georges d’Autriche, dans une ordonnance pour la réformation de la cour de l’official. En 1557, Robert de Berghes prend le titre de « marquis de Franchimont ». Pierre DEN DOOVEN, Histoire du château de Franchimont, Dison, 1970. p. 101. « Le titre apparaît dans la titulature du prince sous Ferdinand de Bavière (1581-1612) » selon Sébastien DUBOIS in Les Institutions publiques de la principauté de Liège (980-1794), Bruxelles,2012, Tome I, .36. Cette dénomination peut se comprendre puisque la châtellenie de Franchimont est une « marche », c’est-à-dire une région frontière, de plus enclavée dans les terres du duché de Limbourg.
[2] Le ban désigne ici l’espace sur lequel le souverain ou son délégué exerce le pouvoir de commander et de punir, en particulier la levée des hommes pour la guerre et l’exercice de la justice.
[3] Docteur F. TIHON, La Haute Avouerie de Franchimont, Liège, 1927, p. 6-7.
[4] Pierre DEN DOOVEN, Histoire du château de Franchimont, Dison, 1970. p. 111-151.
[5] BERTHOLET-HOFFSUMMER, p. 114-115.
[6] BERTHOLET-HOFFSUMMER, p. 74-75.
Illustration 2 : église Saint-Remacle-au-Pont de Liège. Gravure XVIIe s.