La tour fortifiée de l’église (1275)
Longtemps, on a cru que la tour forte était un donjon, un élément fortifié, servant de refuge et de défense du bourg auquel, par la suite, on aurait ajouté l’église. C’est le contraire qui s’avère en réalité : la tour a été accolée à l’église dans le troisième quart du XIIIe siècle. En effet, « adossée au vaisseau roman, sans liaison, la tour ne compte que trois murs en propre » (clairement visibles sur le croquis ci-contre) jusqu’à son deuxième étage. Le troisième a nécessité la construction d’un quatrième mur, lié aux trois autres.

Si on construit une nouvelle tour, où est passée celle de l’église romane de 1091 qui était bâtie à l’ouest, dans le corps même de la nef ? L’étude des bâtiments conduit à une hypothèse : sa disparition accidentelle, autrement dit son écroulement, ou volontaire, sa démolition. Mais pourquoi ? Trois facteurs d’explication. Le poids trop lourd de la tour aurait provoqué, par pression sur les murs porteurs, une sorte d’évasement des murs et un risque grave d’écroulement. Les mouvements des murs peuvent aussi être dus à l’instabilité de la masse de remblais successifs sur lesquels l’église a été élevée. Enfin, Theux est sur une faille terrestre qui entraîne des tremblements de terre ; ainsi celui de 1692 dévasta la région, provoqua entre autres l’écroulement des plafonds des deux chapelles latérales du chœur de l’église de Theux ; ce fut aussi l’occasion du miracle de Notre-Dame des Récollets à Verviers.

Démolie ou écroulée, la tour devait être remplacée par une nouvelle. Ce qui fut fait. Cela pose néanmoins deux questions : pourquoi au nord et pourquoi fortifiée ?
Pourquoi l’édifier au nord ? Cet emplacement est inhabituel pour une église romane mosane. Il s’agissait peut-être de protéger la porte d’entrée ouverte, de façon aussi inhabituelle, au nord. Surtout, on a constaté dans le collatéral nord du vaisseau, à l’emplacement de la tour, une boursouflure, indice « d’un déversement accidentel vers l’extérieur de l’église », menaçant ainsi sa stabilité. On peut donc conclure que la tour a servi surtout de contrefort, ce qui dictait son emplacement.
Cette tour fortifiée à trois étages est faite de blocs de quartzite, à la patine jaune-beige, extraits des carrières du bois de Staneux. Elle s’élève à 17,50 m jusqu’à la base des hourds et l’épaisseur des murs est de 1,65 à 1,80 m. Sur les trois faces, on peut observer des meurtrières, trois par niveau ; celle au nord du deuxième étage est cachée actuellement par le cadran de l’horloge. Au rez-de-chaussée, à l’ouest, celle qui défendait l’entrée a été condamnée au XVIIe s., quand on a édifié le parvis. « On y a suppléé par deux meurtrières de fusillade jumelées, taillées dans un bloc calcaire. ». Les onze autres meurtrières sont des archères, c’est-à-dire destinées au tir à l’arbalète plutôt qu’à l’arc. L’arbalète est une arme redoutable en raison de la puissance de pénétration des carreaux tirés ; en sus, elle tire plus loin et avec une plus grande précision que l’arc. « Son point faible était sa lenteur : l’arbalétrier devant bander l’arc des deux mains, en une minute, il ne pouvait tirer que deux coups alors que, dans le même laps de temps, l’archer décochait une douzaine de flèches. »
La sécurité de l’ensemble est assurée par les murailles du cimetière et l’absence d’ouverture extérieure à la tour. Pour y accéder, il fallait entrer dans le vaisseau où on trouvait dans le mur nord, au niveau du premier étage, une entrée étroite (90 x 165 cm) qu’on atteignait par une échelle amovible. Avant d’être couverte des hourds qui forment un quatrième étage en bois, la tour aurait été pourvue d’un beffroi abritant l’une ou l’autre cloche (la plus ancienne connue date de 1382) qui, en donnant l’alarme, contribuaient à la défense du bourg.
Une insécurité grandissante
La tour est conçue comme un dispositif de défense par sa masse, son inaccessibilité et ses meurtrières ; elle est, aussi, couplée à l’église et son grenier, un outil de protection, de refuge pour les habitants, de stockage de vivres nécessaires pour les humains comme les animaux en cas de siège ou de troubles. L’église, son grenier, sa tour forte constituent un ensemble remarquable dont les fonctions sont autant militaires, civiles que religieuses. C’est que, malgré ou plus exactement à cause de l’apparition du château de Franchimont, la situation de Theux est devenue plus exposée dans la mesure où les habitants du bourg sont davantage abandonnés à eux-mêmes, la garnison étant désormais au château (à 1,5 km). D’autre part, leur proximité relative du château entraîne les résidents de Theux à subir les troubles et dégâts dus aux passages de troupes en route vers celui-ci.
La construction de la tour forte, au cours de la deuxième moitié du XIIIe s., est conditionnée, non seulement par la disparition de la tour de l’église romane, mais aussi par les dégâts et l’insécurité engendrés par les troubles sociaux-politiques internes à la Principauté et les guerres aux origines et enjeux extérieurs.
Un fait parmi d’autres. En 1236, un différend éclate entre l’évêque de Liège et Wallerand de Limbourg-Montjoie qui, selon Jean d’Outremeuse, entra en conflit avec Franchimont et brûla toute la ville de Theux, le 21 septembre. « L’église subit de sérieux dommages : les toits furent peut-être brûlés. Est-ce alors que les superstructures de la zone occidentale furent définitivement démolies ? » En tout cas, cela ne fera que renforcer la décision d’accroître les capacités défensives de l’église et du bourg.
Les hourds de la tour et le toit fortifié du vaisseau (1345-1375)

Les hourds sont des ouvrages en bois posés en encorbellement au sommet d’une tour, d’une muraille. Ces constructions renforcent « la défense active : d’une part des projectiles (pierres, flèches, etc.) pouvaient être lancés verticalement ou en oblique sur d’éventuels assaillants ; d’autre part [à Theux] le pied des murs de la tour et l’entrée de l’église se trouvaient soumis aux coups des défenseurs, ce qui n’était pas possible à travers les meurtrières ».
Au sommet de la tour, les hourds sont surmontés d’un toit à quatre versants qui abrite la charpente du beffroi, y insérée en 1400-1401 ; la chambre des cloches y est logée. Ces cloches servaient pour les offices, les rassemblements et l’alarme. La plus ancienne connue et la plus grosse, la cloche des décimateurs servant pour les offices, (Marie), datait de 1382 et a été enlevée en 1943 par les Allemands. Le même sort fut subi par la petite cloche, celle de la fabrique (Alexandre) datant de 1471. La troisième, la moyenne, celle du ban, a disparu en 1794, enlevée par les révolutionnaires français. En 1818, on passe à quatre cloches : « Andrée » vient s’ajouter.
Au cours du troisième quart du XIVe s., un aménagement défensif du toit est réalisé. Une nouvelle charpente est construite couvrant d’un coup la halle (15 m de large) et dégageant dans les combles un vaste espace correspondant à la nef principale. Cet énorme espace servait de refuge « tant pour les défenseurs et leurs armes, que pour les biens les plus précieux et les vivres des personnes réfugiées dans l’église, ainsi que pour le fourrage du bétail concentré dans le cimetière [entouré de murailles]. »

On fortifia le toit en l’équipant de cinq tourelles, quatre d’angle en bois, formant hourds et de plan vraisemblablement carré ; une tourelle, apparemment en pierres et partant du sol, protégeait une porte au sud-est ; enfin, « une cinquième tourelle existait au milieu de la façade nord, au-dessus de la porte d’entrée ».
Des temps troublés
Pourquoi, moins d’un siècle après la construction de la tour forte, l’a-t-on équipée, en 1345, de hourds, puis d’un vaisseau au toit fortifié ? On est passé ainsi d’une défense surtout passive à une plus active. C’est que si des fortifications entouraient le noyau urbanisé, des murailles le cimetière, une fois franchies par des assaillants, le refuge constitué par l’ensemble église-tour devenait difficile à défendre. En effet, « le champ de tir se restreignait fortement au fur et à mesure de l’approche de l’ennemi ».
Plus largement, qu’est-ce qui a poussé les gens de Theux à faire de leur église un réduit fortifié à ce point ? Deux explications.
La première, c’est qu’avec le château, l’église était alors un des rares édifices solides. De plus, à Theux, en cas de nécessité, les habitants ne couraient pas se réfugier au château, trop loin, mais à l’église toute proche.
La deuxième raison est l’insécurité grandissante de la région. « Dans la principauté de Liège, la première moitié du XIVe s., est marquée par la guerre entre les Awans et les Waroux (1296-1336), qui décime la noblesse hesbignonne, et les querelles entre le prince-évêque et les Métiers de Liège. » Peu après, en 1345, éclate une deuxième révolte de la Cité de Liège qui s’allie à d’autres villes de la principauté. « Les habitants du Franchimont resteront fidèles au prince [Engelbert de la Marck, 1344-1368] ; sur ordre de celui-ci, des troupes retranchées au château, font des incursions dans le pays de Liège pour punir les révoltés. En 1346, les Liégeois essaient même, mais en vain, de s’emparer de la forteresse. C’est exactement à cette époque que les hourds de la tour sont construits. L’église aurait-elle alors subi des dommages tels qu’un renforcement du système défensif s’imposait ? Ce n’est pas impossible. Le toit des nefs, peut-être couvert de matériaux inflammables, fut-il incendié ? Toujours est-il qu’il fut complètement refait. Tous ces travaux s’étalèrent de 1346 à 1375 environ. »
Abbé Marcel Villers
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Surtout ceci, voir Paul BERTHOLET et Patrick HOFFSUMMER, L’église-halle des saints Hermès et Alexandre à Theux, Dison, 1986.