39. Le développement du bourg de Theux aux XVe-XVIe siècles

La première zone bâtie de Theux se situe sur un site surélevé par rapport à la vallée et à la rivière. Sur ce site s’est établie une communauté dès l’époque gallo-romaine, c’est le noyau primitif de Theux qui, au fil du temps, va s’étoffer. Aux VIIe-VIIIe s., Theux et sa forêt sont la propriété du souverain mérovingien. Cet ensemble agricole et d’exploitation de la forêt est doté d’une chapelle qui sert aux besoins de la famille royale et du personnel gérant le domaine. L’habitat est rassemblé autour et en face de l’église, à proximité du Wayot. Sous les Carolingiens, l’habitat s’est accru sur le même site et se caractérise par la concentration des organes du pouvoir : sacré représenté par l’église et le cimetière qui l’entoure où reposent les morts ainsi que le douard, habitation, pré et granges du desservant ; pouvoir politique dont témoigne la résidence du souverain et ses services administratifs établis face à l’église ; pouvoir judiciaire avec la Cour de justice adossée à l’église. On peut ajouter le pouvoir économique avec les carrières et les fours à chaux.

Sur cette photo, on peut identifier l’église et son cimetière ; la Cour de justice et la Boverie à l’arrière de l’église ; au-delà de la Boverie, sous le couvert des arbres, la carrière de marbre noir et les fours à chaux ; sous le rond-point passe le Wayot qui poursuit son cours sous le terrain de tennis (à droite de l’image) et l’impasse de Chinrue (en bas à droite) ; face à l’église, le lieu possible du palais et de ses dépendances.

Au cours des Xe-XIIe siècles, dans nos régions, à côté de l’habitat disséminé autour d’exploitations agricoles, se développe des entités à finalité socio-économique : les villages caractérisés par une concentration de la population sur un espace limité, la présence de bâtiments collectifs, un peuplement permanent reposant sur des maisons construites de manière pérenne, ainsi qu’une organisation socio-économique avec présence d’artisans spécialisés dans un art utile qu’ils font payer : forgeron, maréchal-ferrant, boucher, boulanger, potier, tanneur, sabotier, cordonnier, etc.

L’extension vers la rivière

À partir du noyau primitif de l’habitat situé sur le plateau à distance de la rivière, on a établi un village, mais où ? On sait qu’en 1236, suite à un différend entre l’évêque de Liège et Wallerand de Limbourg-Montjoie, ce dernier attaque Franchimont et brûle le village de Theux, le 21 septembre. On a donc dû reconstruire, mais sur quel site ?

Nous savons qu’en 1337, la chachie (actuelle rue de la Chaussée) est bâtie et qu’en 1500 est mentionnée la halle qui a donc été construite au cours du XVe s. La halle est le siège de l’administration d’une communauté et postule donc l’existence d’une institution, la commune, qui acquiert une certaine autonomie par rapport au seigneur. Cette transformation s’accompagne de l’octroi de privilèges et de libertés symbolisés par le perron qui est érigé à Theux en 1456 sur la place où va s’élever la halle ainsi que le pilori et le puits communal. Cette place devient ainsi le centre du nouveau pouvoir. On est devant un village-place, installé plus bas que le site primitif de l’église et de la Cour de justice, et donc plus proche de la rivière.

Le centre du pouvoir se déplace

Theux, de centre du pouvoir souverain représenté par la Cour de justice, se transforme en communauté villageoise administrée par un conseil de citoyens ; la Cour de justice se confine désormais dans ses fonctions judiciaires.

À l’origine, la place est un terrain en pente douce vers la rivière qui le borde à l’Est, il est longé à son extrémité Nord par le realchemin qui, d’une part, conduit au pont et, d’autre part, court vers le Sud en direction de Marché, le long de la bordure Ouest de la place.

Bâti des deux côtés, le realchemin devient la place, au cours du XVe s., car si le perron y a été érigé en 1456, c’est qu’elle représentait déjà le lieu central de la commune où viendra logiquement se situer la halle.

Comme le montre le croquis ci-dessus, la place n’est pas fermée, et se développe vers le Sud par ce qui deviendra la rue Hovémont, qui n’est que le prolongement du realchemin.

Les trois pôles

Le bourg de Theux sera toujours le résultat d’un équilibre-attraction entre trois pôles : le site de l’église, la rivière et le village-rue que constitue l’essentiel du bourg.

L’église et le cimetière restent un pôle de sécurité et de refuge pour la population, bâtiments en pierres, entourés de murailles et en hauteur, plus facile donc à défendre. L’église joue aussi un rôle capital d’identité de la communauté locale. L’assistance à la messe dominicale, le baptême des nouveaux nés, l’inhumation des défunts, donnent aux membres de la paroisse une identité sociale et religieuse collective, adossée à un espace propre, celui de la paroisse conçue comme une entité territoriale.

L’autre facteur déterminant pour la conscience d’appartenir à une communauté ou commune tient à la nécessité de se regrouper face au seigneur et ses chargés de pouvoir locaux. Il faut désigner des représentants face au seigneur et pour gérer la commune dans l’intérêt de l’ensemble des habitants. Le tribunal des échevins, institution carolingienne représentative du pouvoir, va désormais se confiner dans ses fonctions judiciaires et permettre l’apparition d’un conseil de jurés présidé par deux maîtres ou bourgmestres, élus pour un an, et chargés de l’administration de la commune.

Le renouveau du Franchimont

Après une épouvantable fin du XVe s., marquée par la répression du Téméraire, la destruction des maisons et usines à fer, le lourd tribut imposé au pays de Franchimont, le conflit entre les partisans du prince et les de la Marck qui ont acquis la châtellenie et acheté l’avouerie de Franchimont, la peste et la famine, enfin une nouvelle prospérité se dessine.

Deux signes évidents. Le premier est la transformation de l’église ; le second, d’ordre économique, est « l’octroi dans le ban de Theux, à partir de 1497, de nombreux biefs ou coups d’eau pour alimenter de nouveaux moulins à fer ». Le règne d’Érard de la Marck (1506-1538), nouveau prince-évêque, commence et va se révéler une véritable renaissance par sa politique de paix et de prospérité pour Liège comme pour le Franchimont.

« Érard de la Marck, qui résidera souvent au château de Franchimont, restaure d’abord la sécurité en reconstruisant et aménageant les forteresses liégeoises qu’il adapte aux progrès de l’artillerie. C’est alors qu’est édifiée à Franchimont l’énorme enceinte polygonale (ci-contre extrait de Patrick Hoffsummer), la tour d’artillerie à l’entrée et les quatre casemates d’angle du château. »

Ces transformations importantes réalisées, entre 1515 et 1522, que ce soit au château et à l’église, semblent avoir coïncidé afin de « profiter des nombreux ouvriers spécialisés amenés sur place, des outils et engins de levage achetés et fabriqués pour l’occasion ». C’est à la même époque que la chapelle de Marché est reconstruite.

« Afin d’assurer le ravitaillement et l’entretien du château, il fallait au pied de celui-ci une population nombreuse et stable, assurée de vivre en paix. Érard concède, le 9 décembre 1513, au village de Marché-sous-Franchimont un marché à tenir le samedi de chaque semaine et deux foires annuelles, l’une à la saint Nicolas d’été (9 mai) et l’autre à la saint Nicolas d’hiver (6 décembre). »

« Les structures économiques du Franchimont paraissent exploser en cette première moitié du XVIe s. » On passe progressivement d’une culture de céréales à l’élevage. « L’extension considérable de la culture herbagère accapara peu à peu toutes les terres autrefois réservées à la culture des céréales et particulièrement de l’avoine, ou conquises sur les déboisements. »

« L’industrie locale prit son plus grand développement sous le règne d’Érard de la Marck, âge heureux qui vit simultanément l’épanouissement de la draperie à Verviers et des platineries à Theux dont le pays de Franchimont semble alors en détenir le monopole. »

« En faveur du commerce franchimontois, le prince prit encore d’autres mesures… Afin d’encourager le commerce intérieur, Erard autorise la création ou la restauration des foires et des marchés… En 1537, il accorde à Theux un marché à tenir le vendredi et une franche foire annuelle le jour de la St-Hubert. »

Abbé Marcel Villers


  • Vinciane DEROUAUX, Theux. Archéologie du bâti, 1998-1999.
  • Patrick HOFFSUMMER, Le château de Franchimont à Theux, 2016.
  • Alex DOMS, Le renouveau du Franchimont sous Erard de la Marck, in Histoire et archéologie spadoises, juin 1980.