41. La situation religieuse du Franchimont au XVIe s. – Volonté de réforme et résistance

État des lieux

Le règne d’Érard de la Marck est une époque de grands travaux et de modernisation que le prince-évêque mène notamment à Liège, ainsi le nouveau Palais épiscopal (vue de 1649, ci-contre). La principauté compte alors plus de 200.000 habitants, dont 20.000 à Liège, et 1676 paroisses, soit autant de curés et six mille chanoines disséminés dans les 63 collégiales du diocèse. Érard de la Marck est convaincu qu’une reprise en mains des affaires de son diocèse est indispensable pour sauvegarder l’idéal chrétien. Il veut raffermir « la foi de son peuple, restaurer la moralité du clergé séculier, rétablir la discipline monastique, enfin sauver l’honneur et la gloire de son Église. »

L’idéal de la réforme

Cet idéal de réforme est dans l’air, il vise à retrouver la pureté des origines, ce qui consonne parfaitement avec la quête des humanistes, dont Érasme (portrait de 1617, ci-contre). Ceux-ci veulent plus d’honnêteté, de rigueur et moins d’abus dans le clergé catholique. Ils réclament l’accès de tous au texte de la Bible dans une langue vernaculaire ; un culte simplifié, fondé sur les Écritures et en langue courante. Tous les milieux, surtout intellectuels, diffusent cette aspiration, dans un climat souvent très anticlérical qui manifeste l’importance accordée aux prêtres. Le concile de Latran V (1512) a légiféré sur la résidence des évêques, la formation des prêtres, leur devoir de prêcher l’Évangile, mais l’application de ces décisions tarde.

Un nouveau rapport à Dieu des fidèles laïc

« Le curé apparaît souvent comme un faiseur de cérémonies répétitives en échange d’offrandes tarifées. A cette époque, on multiplie les gestes liturgiques, paraliturgiques et pénitentiels qui provoquent ou appellent des dons et des legs. Cet appât du gain, illustré entre autres par le trafic des indulgences est dénoncé par les Réformateurs protestants. » Une partie des fidèles va prendre une relative autonomie vis-à-vis des clercs, leur laissant les pratiques extérieures de piété. La foi devient pour ces fidèles plus exigeants une affaire d’abord personnelle et intérieure (ci-contre Jeune homme en prière, Memling 1487) Ils pratiquent ainsi « une prière privée, inspirée notamment d’un courant spirituel en vogue, la Devotio moderna. Celle-ci privilégie les thèmes de la vanité du monde et de l’amour du Christ, vante les vertus d’humilité, d’obéissance et de renoncement ». Autre démarche individuelle, la dévotion au Saint-Sacrement. Malgré les abondants témoignages d’une vitalité religieuse, il ne faut pas oublier que, bien souvent, les églises sont désertes, les offices boudés, le clergé conspué et la Bible ignorée.

L’état du clergé dans le diocèse

L’Église de Liège est puissante et possède un clergé très nombreux, des milliers de prêtres, qui souffrent des maux communs au clergé européen de l’époque, que ce soient le cumul des bénéfices, l’ignorance, l’absentéisme ou le goût du lucre. Érard de la Marck, conscient de ces maux, tente d’y remédier. Il dénonce les abus (cumul des bénéfices) et l’immoralité des prêtres, et menace les coupables de peines canoniques. Les deux reproches majeurs faits aux prêtres sont le non-respect du célibat et l’appât du gain. Ces faits révèlent moins une immoralité individuelle que la situation sociale dans laquelle vit le clergé.

« Le recrutement local de la plupart des prêtres n’en fait pas des hommes séparés de leurs ouailles par le caractère sacré de leur état sacerdotal. Ils vivent et partagent les soucis de tous, sans distinction visible. Certains optent tout naturellement pour une vie de famille, avec parfois la complicité des paroissiens. »

Messe aux alentours de 1500

Le système des bénéfices qui régit le financement du clergé explique l’inégalité des conditions de vie parmi le clergé où certains s’enrichissent en cumulant les bénéfices sans vergogne et d’autres errent en quête d’une charge. Un facteur nouveau complique le système : le nombre considérable de prêtres. Le cumul des bénéfices par les uns et l’augmentation du nombre des prêtres engendrent inévitablement la raréfaction des bénéfices disponibles. « Il se forme un prolétariat de clercs sans charge d’âmes, dépourvus de revenus et en errance permanente sur les routes du diocèse. Ils rencontrent parfois la possibilité de remplacer un curé absent, qui leur laisse une portion congrue de son bénéfice en échange des services rendus. Leur zèle pastoral est alors à la mesure de cette maigre rétribution. » D’autres, dénommés chapelains, qui ne sont ni curé, ni vicaire de la paroisse, sont « attachés à des fondations spécifiques avec la charge de célébrer chaque année, chaque semaine, une ou plusieurs messes dans l’église à un autel particulier, doté d’un bénéfice, pour honorer un saint ou un défunt. » À l’époque, les messes pour les défunts se multiplient. Enfin, sous l’épiscopat d’Érard de la Marck, l’absentéisme des titulaires progresse. Ainsi, dans l’archidiaconé de Hesbaye, on constate l’absence d’un quart des curés en 1501 et d’un tiers en 1523.

La situation à Theux

La non-résidence des curés, remplacés par des desservants de fortune, le cumul des bénéfices, l’ignorance et l’incontinence sont des plaies réelles et quasi générales dans l’Église. On les retrouve à Theux.

Le curé en titre du bénéfice est la plupart du temps non-résident à Theux. Un chanoine de Liège était curé et nommait un desserviteur habitant la localité pour remplir ses fonctions. Ainsi « le curé de Theux en 1538 est Jean de Rôle, chanoine de Liège ». Le desserviteur est Bertrand Montpierre de Polleur. Un marguillier, prêtre lui aussi, est chargé de l’assister à l’autel et dans l’administration des sacrements, de chanter avec lui les offices, de fermer l’église et d’instruire les enfants de la paroisse. Enfin, un autre prêtre, dénommé chapelain, célèbre les messes fondées pour les défunts et celles à un autel particulier, doté d’un bénéfice, pour honorer un saint ou un défunt. On célébrait par exemple, de 1586 à 1609, des messes anniversaires fondées pour  « Johan Tomeson, châtelain de Franchimont (1477-1480 ; 1482-1496), et d’Idelette sa femme ; d’Englebert de Presseux, châtelain de Franchimont (1506-1516 ; 1519-1540), et de Marie de Mye, et de Marguerite, ses deux femmes ; de Henry d’Eynaten, gouverneur du Franchimont (1573-1578 ; enfin de Regal de Feche, messire son père et madame sa mère » (Registre d’annonces du curé de Theux, Jean Raison, de 1586 à 1609).

Les revenus de la paroisse de Theux, qui s’étend sur un immense territoire dont les rendements sont en conséquence, constituent un bénéfice appréciable et recherché. On n’en connaît pas le montant pour le XVIe s., mais celui du XVIIIe cité par Ph. de Limbourg donne une bonne idée de son importance. « Le produit de la dîme du pastorat se montait, en 1752, à la somme de 1868 fl, celui du doyart à 116 fl, non compris neufs journaux de terre situés en Chawieumont et une prairie sise en Wayot. Pour établir le revenu de la cure évalué, à la fin du XVIIIe s., à la somme de mille écus (soit autour de 150.000 €), il faut y ajouter les fondations pieuses et le casuel. » Le tout représente donc un montant considérable et attractif.

Dans la première moitié du XVIe s., la cure de Theux connaît deux « titulaires », tous deux originaires de Polleur. Ils ne sont vraisemblablement pas curés en titre, mais engagés par ce dernier dans une sorte de contrat : ils jouissent d’une portion des revenus en échange de quoi, ils exercent la cura animarum des chrétiens du lieu. Bertrand Montpied de Polleur est desserviteur de Theux en 1493 et devient la même année ou en 1497, curé de Saint-Etienne à Huy. Lui succède Jacques de Faber ou de Polleur, desserviteur de Theux de 1499 à 1524. Jacques de Faber eut de sa concubine Jehenne Borger quatre fils naturels et peut être des filles. En 1533, un de ses fils, Henri Faber exerce quelques mois à Theux la même fonction. Un autre de ses fils, Mathy Faber ou Fabry, est, de 1579 à 1581, desserviteur de Theux, puis curé ( ?) de Julémont.

On retrouve Bertrand Montpied desserviteur de Theux en 1529 (quelques mois ?), puis entre 1533 à 1565. Après une interruption en 1566 au profit de Jean de Cos Waremme, chanoine de la cathédrale Saint-Lambert, curé en 1566, Bertrand de Polleur est curé (?) de Theux de 1567 à 1570, il est père d’une fille naturelle.

Abbé Marcel Villers

Sur tout ceci, voir : Ph. de LIMBOURG, Monographie de l’église St-Alexandre et St-Hermès à Theux, 1874 ; Jean-Pierre MASSAUT et Marie-Élisabeth HENNEAU, Réformes, in Liège, Histoire d’une Église, s.d.