44. La Réforme du clergé aux XVIe-XVIIe siècles

Face au protestantisme, on a pu constater le peu de résistance et surtout la facilité avec laquelle un certain nombre de prêtres, curés ou non, ont succombé au discours de la nouvelle religion. De même, que ce soit en ville ou dans les zones rurales, des quantités de fidèles ont adhéré à la foi réformée. Trois explications sont apparues aux yeux des autorités : le retard des réformes de l’Église et du clergé, l’ignorance des prêtres comme des fidèles, l’étendue des paroisses rendant impossible un contrôle efficace des populations. De là découle la stratégie mise en œuvre dans le diocèse de Liège et qui se situe dans la ligne des décisions du concile de Trente (1545-1563).

La réforme des mœurs du clergé

Une double réforme s’impose à l’Église liégeoise : soumettre les candidats au sacerdoce à des critères stricts de formation comme en matière de mœurs ; assurer une vie digne aux prêtres en les sauvant de la misère comme du luxe.

L’immoralité du clergé est la première cible et la plus ancienne. En 1548, des peines sévères sont promulguées à l’encontre des prêtres concubinaires ; cela va du pèlerinage, de l’amende honorable jusqu’à la suspension ou l’excommunication. Quant aux femmes vivant dans une maison cléricale, elles sont menacées d’excommunication.

Il s’agit aussi de discipliner le clergé en leur imposant une tenue digne de leur état. Ainsi, on rend la tonsure obligatoire et bien visible ce qui permet de distinguer facilement un clerc. Quant au vêtement, il « sera long, fermé, non ajusté ; le rouge et le vert sont interdits ; prend forme peu à peu le vêtement qui deviendra la soutane qui acquiert pour quatre siècles la dignité de costume clérical unique. » (Ci-dessus, Abbé en soutane, gravure, XVIIe s.) Enfin, les clercs ne sont pas autorisés à porter une arme, ni à exercer un métier manuel ou un négoce.

L’action réformatrice est stimulée et contrôlée par les archidiacres et les doyens. Le doyen est élu par les curés du Concile –celui de Saint-Remacle pour Theux- et réside dans la paroisse où il est curé. Il veille sur la vie et l’activité des prêtres desservants les églises locales de sa zone. Il préside les obsèques des curés. Il réunit tous les mois, les prêtres du doyenné afin de régler les affaires pendantes, assurer une formation, rompre l’isolement et prier ensemble. À ces réunions périodiques des curés du secteur, on donnera le nom de conférences ecclésiastiques. La lutte contre l’ignorance et la conversion des prêtres est la priorité. Le doyen est en première ligne pour encourager et faciliter la réforme. Cette responsabilité importante a été assurée, en ce début du XVIIe s., par deux curés de Theux : Jean Raison (1586-1609), Jean Doneux (1609-1636).

La formation des nouveaux prêtres : l’institution du Séminaire

Le constat est bien établi : l’état déplorable du clergé est dû à l’absence de vocation et à une formation plus que lacunaire. En effet, ceux qui veulent devenir prêtre sont le plus souvent choisis par leur curé et formés par lui dans le presbytère local. Mais l’ignorance des curés reste grande. Ainsi, « Michel Poncin qui succède au premier curé de Spa en 1593 est condamné en 1597 par l’archidiacre à étudier pendant trois ans, sa formation laissant sans doute à désirer. C’est que depuis le Concile de Trente, on s’efforce d’avoir des prêtres érudits et dignes de leur mission, surtout dans une localité où séjournent volontiers des étrangers protestants ou anglicans venus prendre les eaux. »

L’instrument de cette nouvelle exigence est la création par le concile de Trente du séminaire. Il a pour missions le discernement des vocations et la formation des candidats à la prêtrise. Il faudra un certain temps pour que soit effective cette institution. Si le concile de Trente est terminé en 1563, il n’est promulgué dans la principauté de Liège qu’en 1581 et le séminaire ne voit le jour qu’en 1592, après bien des péripéties. Ci-dessous, une vue (lithographie de 1881) du premier séminaire installé dans le prieuré ou hôpital de Saint-Mathieu-à-la-Chaîne, à proximité de la cathédrale.

Au début, « les aspirants au sacerdoce ne sont pas encore formellement astreints à fréquenter les séminaires et à y demeurer. Les études privées dans des collèges sont acceptées jusqu’en 1700 où la fréquentation du séminaire devient obligatoire… La formation du clergé se trouva ainsi concentrée dans les séminaires. » L’uniformisation du corps clérical est à l’œuvre grâce au séminaire. Cela encourage un modèle du prêtre et la naissance de sociétés de prêtres. Ainsi, « Une confrérie de prêtres vit le jour au Marquisat sous l’invocation de Charles Borromée et François de Sales, apôtres par excellence de la dignité de la fonction pastorale ; les statuts en sont publiés le 13 septembre 1667 et approuvés par l’archidiacre le 4 octobre ; tous les curés du Marquisat, à l’exception de celui de Verviers, en faisaient partie. »

L’ordination et la collation d’une paroisse

Pour être ordonné prêtre, il faut être capable d’enseigner au peuple et donc faire preuve de bonnes connaissances théologiques. L’âge minimum de trente ans est abandonné, à la suite d’une certaine pénurie de ministres, et est fixé à vingt-cinq ans.

Le concile conserve le système bénéficial, à savoir qu’une charge ministérielle doit être liée à des moyens de subsistance stables. « Le but était d’éviter que les prêtres exercent des métiers peu compatibles avec leur mission afin de pouvoir subsister… il s’agissait en pratique d’obtenir un bénéfice avec charge d’âmes, une cure par exemple dont les revenus pouvaient tenir de titre clérical. »

L’ordination (ci-dessus, rite de l’onction des mains par l’évêque, Italie, 1750 ; remarquez la tonsure bien visible de l’ordinand, la soutane du prêtre témoin) intervient ainsi après l’affectation d’un bénéfice lié à une paroisse alors qu’aujourd’hui la nomination à une charge paroissiale est un complément de l’ordination. La collation des paroisses se fait par concours : un jury de trois gradués examine l’âge, les mœurs, la doctrine des candidats proposés par l’évêque ou par le patron pour la responsabilité d’une paroisse.

L’idéal du prêtre

Pour Luther, « ceux que nous appelons prêtres, ce sont des ministres pris d’entre nous pour faire tout en notre nom, et leur sacerdoce n’est rien d’autre qu’un service » (Captivité babylonienne,1520). Ce service est essentiellement celui de la prédication : proclamation et explication de la Bible. Le ministre protestant est en chaire, le prêtre catholique est à l’autel.

Face au protestantisme, le concile de Trente n’a pas élaboré une nouvelle définition du prêtre, mais il a mis l’accent sur son pouvoir majeur en tant que ministre de l’Eucharistie (ci-dessus à gauche : Messe de Saint-Martin, Le Sueur, peinture vers 1675, Le Louvre), ce qui en fait un être à part, une personne sacrée. Médiateur entre les fidèles et Dieu, pour le sacrifice eucharistique et le pardon des péchés, son idéal est l’identification totale au Christ lui-même. Son éminente dignité requiert la sainteté particulière de sa vie. Pour l’Église tridentine, être prêtre reste un état et un pouvoir plus qu’un service.

L’idéal sacerdotal, c’est le culte au nom du peuple chrétien.  Le prêtre est, de ce fait, un séparé. « Il appartient à Dieu qui en retour se donne à lui. Choisi pour Dieu, il est sacrifié pour le monde. Il est consacré et donc séparé du peuple et de l’ensemble des laïcs. Il vivra donc à l’écart des laïcs, même de ses paroissiens, et autrement qu’eux. En propulsant ainsi le prêtre à l’autel, et éventuellement dans la chaire, il l’a isolé des simples fidèles. Dans ce style de vie, le célibat tient une place importante ; le lien constitutif entre sacerdoce et sacrifice impose la pureté et la séparation. »

Abbé Marcel Villers


  • Paul BERTHOLET, Les pasteurs de Spa, in Quatre siècles de vie paroissiale à Spa 1574-1974, 1975.
  • Jean-Pierre MASSAUT, L’idéal sacerdotal d’un précurseur : Josse Clichtove, in Grand Séminaire de Liège 1592-1992, 1992.