51. Le programme iconographique des plafonds de l’église de Theux (XVIIe s.)

Plusieurs décrets du concile de Trente concernent l’emploi des images religieuses. L’objectif est d’affermir la foi et éduquer les fidèles les moins instruits. On vise à instruire le peuple en représentant les mystères de la Rédemption par des peintures ou autres moyens semblables. La priorité est à donner au culte des saints et de la Vierge, mais aussi aux scènes montrant la Passion du Christ.

Une originalité de l’église de Theux, ce sont ses plafonds peints à caisson dont en Belgique moins d’une dizaine d’églises en conservent encore. La mode de ce genre de plafond vient de la Renaissance italienne, et s’est répandue notamment dans le diocèse de Liège. Jusqu’en 1629, il semble qu’un simple plancher couvrait la nef de l’église de Theux. Lors d’une visite annuelle, l’archidiacre du Condroz et le doyen ordonnèrent d’accommoder « un plafond raisonnable ». « Alors que les décimateurs payaient les planches et bois nécessaires et la façon du plafond, de riches particuliers étaient sollicités pour financer la peinture des panneaux »[1]. Leurs noms figuraient sur les traverses comme le prieur de l’abbaye de Malmedy, le doyen de Saint-Remacle, des curés et des vice-curés de Theux, le lieutenant-gouverneur de Franchimont, des mayeurs, échevins, greffiers et bourgmestres de Theux, des meuniers et maîtres de forge, parfois avec leur épouse.

Le plafond qui couvre la nef principale, date de 1630 et se compose de 110 caissons : les tableaux de 66 d’entre eux représentent des scènes de la passion du Christ et des portraits de saints et saintes ; les 44 restants figurent des motifs végétaux. Ces scènes prennent place dans un cadre peint circulaire sous lequel le nom du saint est inscrit en lettres blanches. Des motifs végétaux sont peints dans les angles du tableau.

Le plafond peint de la nef centrale couvert par un grand nombre (45) d’images de saints exalte le triomphe de l’Église terrestre et céleste. La réalité céleste prend tangiblement forme lorsque les images figurant au plafond du lieu de culte, suggèrent l’ouverture de l’église sur le Paradis, une sorte de fenêtre ouverte sur le ciel où siègent les saints, nos modèles et nos intercesseurs. Levant les yeux vers le plafond, c’est vers le ciel que nous les tournons.

L’organisation des peintures du plafond révèle le programme théologique sous-jacent. Au centre, la Trinité précédée et prolongée par la Passion du Christ et l’évocation de Marie. Les trois dogmes au cœur de la foi chrétienne sont affirmés : le mystère de Dieu-Trinité, source et but du salut, révélé par l’Incarnation du Fils, né de la Vierge Marie, et la Rédemption réalisée par la mort et résurrection du Christ à laquelle nous avons part dans le sacrement de l’eucharistie comme l’illustre ce médaillon.

Viennent ensuite le cortège des saints et saintes qui encadrent de tous les côtés le centre du plafond : apôtres, martyrs, docteurs de l’Église, papes, évêques et saints patrons de nos Églises locales, missionnaires, propagateurs de la Réforme catholique comme Charles Borromée et Ignace de Loyola, ainsi que les « nouveaux » saints dont le culte se développe avec la Contre-Réforme comme saint Joseph et sainte Anne. Soulignons le nombre de saints romains ou liés à Rome (10), dont spécialement les martyrs mis en évidence par la redécouverte des catacombes à Rome en 1578. La présence de Marie-Madeleine et Antoine l’ermite est liée à la revalorisation du sacrement de pénitence voulu par le Concile contre les critiques des protestants. Les saints et saintes populaires ont aussi leur place, car ils évoquent les prénoms les plus fréquents.

En 1681, un deuxième plafond peint est installé dans le chœur.

Cette œuvre de Johannes Freesingher se compose de quinze grands caissons ornés de tableaux financés par des nobles et des bourgeois de la région. Les scènes représentées illustrent la vie de Marie, mère de Jésus, en quatre séries.

La vie de Marie avant la naissance de Jésus : mariage, annonciation, visitation ; la nativité avec l’adoration des bergers et celle des mages. Marie et le Jésus terrestre (voir ci-dessous) : présentation de Jésus au Temple, fuite en Égypte, Jésus et les docteurs, les noces de Cana, la Cène. Enfin, Marie et Jésus en gloire : le Ressuscité et Marie, Ascension, Pentecôte, Assomption, Marie couronnée par le Christ.

Cet ensemble de peintures s’inscrit dans la logique de la Réforme catholique qui exalte le rôle de Marie dans l’histoire du salut. La multiplication des scènes (18 sur les 83 peintures de l’église, soit 25 %) où figure la Vierge Marie dans l’église de Theux est significative à cet égard.  Une iconographie nouvelle s’exprime aussi. La Nativité qui était au Moyen-Âge une scène d’humilité, de ferveur autour de l’enfant nu avec Marie et Joseph à genoux devient une scène publique où Marie présente son enfant, non plus nu mais enveloppé de langes et couché dans la paille ; elle le montre aux bergers et aux mages. C’est devenu le moment clé où le Fils de Dieu est présenté et reconnu par l’humanité.

Deux plafonds peints sont installés dans les chapelles latérales entre 1693 et 1696, ornés chacun d’un grand tableau en 1698 : la résurrection et le jugement dernier.

Joannes Freesingher, dans sa représentation de la résurrection, présente un Christ « aérien », planant au-dessus du tombeau ouvert, élevé dans les airs, entouré d’anges ; on est dans le registre de l’ascension.

La vie chrétienne est appelée à la gloire céleste, d’où l’attachement du langage baroque au mouvement ascensionnel et les représentations monumentales de l’Ascension, de l’Assomption et de la Résurrection.

Cette résurrection ascensionnelle qui apparaît dans l’art italien est adoptée au début du XVIe s. par les Écoles germaniques où s’inscrit Freesingher.

Dans l’autre chapelle latérale, le jugement dernier, du même Freesingher. Le Christ trône au centre entouré de la Vierge à sa droite et de la croix de la résurrection à gauche ; les anges réveillent les morts avec leurs trompettes. A partir du XIIIe s., le Christ du Jugement dernier n’est plus représenté en majesté, mais en Jésus de la Passion, montrant ses plaies et accompagné de la croix tenue par des anges. Il est assis et trône sur l’ensemble. Face au Juge des vivants et des morts, siégeant en majesté sur son trône et distribuant les peines et les récompenses, Marie est présentée comme l’avocate intercédant pour les pécheurs, médiation que dénoncent les Luthériens.

EN CONCLUSION

« Avec la Contre-Réforme, l’église-bâtiment acquiert une nouvelle signification. Le sanctuaire devient l’endroit où le chrétien peut percevoir les réalités célestes. Toute la décoration doit concourir à créer des impressions surnaturelles évocatrices d’une réalité céleste. Le chrétien qui entre dans l’église sera transporté dans un nouveau monde » [2]. L’art, les autels immenses, le cérémonial autour de la messe, le confessionnal, la Vierge, les saints couvrant le plafond de la nef, juste au-dessus des fidèles, témoignent du triomphalisme catholique opposé à la modestie et au dépouillement des temples protestants.

La décoration des plafonds de l’église de Theux invite à un itinéraire qui constitue aussi une somme dogmatique. Lieu central de l’église et but de l’action liturgique, le maître-autel, orné alors d’un tableau représentant la crucifixion, est surmonté d’un plafond représentant des scènes évoquant la vie de Marie, mère de Jésus, et ainsi le mystère de l’incarnation avec le rappel des étapes principales de la vie de Jésus, de Bethléem à l’Ascension. Le plafond des deux chapelles latérales donne à voir l’issue du chemin suivi par le Christ pour notre salut, deux scènes triomphales et célestes : la résurrection du Christ montant au ciel d’où il reviendra juger les vivants et les morts comme l’affirme le Credo.

Tel est le but de l’itinéraire chrétien qui s’origine dans le oui de Marie (incarnation), s’accomplit par la douloureuse passion de Jésus (rédemption) représentée au centre du plafond de la nef pour aboutir à la résurrection glorieuse et l’entrée au ciel grâce à l’intercession de Marie lors du dernier jour, celui du jugement dernier.

Sur ce chemin, nous ne sommes pas seuls. Il suffit de lever les yeux vers le plafond de la nef. Nous sommes accompagnés par l’exemple et soutenus par le secours des saints et saintes formant l’֤Église militante et triomphante : apôtres, évangélistes, martyrs, papes et évêques, consacrés et consacrées, docteurs et missionnaires, mystiques et protecteurs, prédicateurs et pénitents.


[1] BERTHOLET-HOFFSUMMER, op. cit., p. 216.

[2] Christian PACCO, Notre Dame de Foy, p. 28.