De la villa au village
Depuis la seconde moitié du VIIe s., les grands domaines constitués à l’époque gallo-romaine, appelés communément villa, font « l’objet d’un dépeçage par allotissement au profit de paysans de plus en plus nombreux »[1] suite à une démographie en hausse. En contrepartie, le paysan doit une redevance. La population se regroupe autour du cœur du domaine qui relève du fisc royal, ou de l’Église, ou de grands aristocrates. Ce mouvement aboutit, à l’époque carolingienne, à ce que, le plus souvent, « la villa se compose d’une église, d’un cimetière, des maisons seigneuriales et paysannes, des bâtiments d’exploitation entourés de courtils et de jardins, potagers, vergers, prés ; des ruelles et des chemins menant aux champs, aux pâtures et aux bois répartis dans le finage. Toutes ces constructions étaient relativement concentrées. »[2] Ainsi, de la villa on passe progressivement au village.
À Theux, sous les Mérovingiens, on trouve une villa, création gallo-romane, appartenant au roi, centre d’un domaine rural, à côté d’une forêt. Existent aussi un cimetière, une chapelle et les habitations des personnels chargés du domaine et de la forêt. On y trouve encore des « activités artisanales et peut-être aussi industrielles car le sol du domaine recelait des carrières et des minerais ».[3] La population occupe la vallée (Spixhe, Marché, Theux, Juslenville), sur les Villers et Wislez, comme à l’époque romaine. Au IXe s., Theux va connaître une certaine expansion et devenir une localité importante. Le pouvoir autorise les défrichements, principalement des landes, mais sans toucher à la forêt, réserve des chasses royales. La forêt est une ressource importante pour la construction et le chauffage ; elle apporte, en outre, des produits importants pour le paysan. « On récoltait l’écorce de bouleau et de chêne, qui réduite en poudre fournissait le tanin, indispensable pour le traitement du cuir ; la litière pour le bétail dans les étables, le miel des abeilles sauvages ou de ruches forestières, des plantes médicinales, des champignons, des baies, de la glu faite à base de sève, divers colorants, ainsi que les jeunes brins de sorbier dont on faisait des liens souples et solides. »[4]
De la villa au palais
« Au IXe siècle, dans une charte du roi de Germanie, Arnould de Carinthie, datée de 888[5] apparaissent les noms des villae de Baelen, Walhorn, Waimes, Bullingen, Konzen, Theux et Thommen. » A Theux, la villa comporte une résidence royale dès l’époque mérovingienne. « Les réserves de la villa permettaient de nourrir le souverain et son imposante suite (une centaine de personnes) qui venaient vivre sur les ressources agricoles de la villa et giboyères de la forêt, réserve royale de chasse. »[6] On a relevé 250 résidences royales dans l’Empire carolingien, dont la grande majorité sont établies au centre d’exploitations rurales. Toutes ces résidences ne sont pas des palais. De plus, « les palais sont rares en Ardenne : sur 25 fisci et villae, on n’en compte que six, ceux d’Aix, Herstal, Longlier, Mellier, Theux et Thommen. A Theux, l’existence d’un palais royal est attestée dès 820. On sait aussi qu’en 827, Louis le Pieux (empereur d’Occident de 814 à 840) est présent au palais de Theux, avec son fils Lothaire (empereur de 840 à 855) ; il y arbitre un conflit entre l’abbé de Stavelot et Albéric, receveur du domaine theutois, au sujet du bois de Staneux et des droits d’usage. »[7]
Le centre administratif du domaine royal de Theux forme un ensemble dont la configuration est conforme à l’usage des Carolingiens qui incluaient le complexe palatial dans un « fer à cheval ».
À Theux (voir croquis ci-contre[8]), les deux branches du « fer à cheval » rejoignent la Hoëgne qui constitue ainsi la ligne horizontale de la base du « fer à cheval ».
À l’intérieur de ce « fer à cheval », on trouve l’église (E) et son cimetière, la cour de justice (T), le palais (P) et ses dépendances (probablement face à l’église), une carrière de marbre noir (M), un four à chaux et des habitations pour le personnel et les forestiers ainsi que le presbytère ou doyar (D).
Le tout situé et protégé par la boucle du Wayot le long duquel sinue le chemin royal de Chinrue (C). « Les voies d’accès actuelles dessinent bien ce « fer à cheval » typique, peut-être vestige en négatif d’une enceinte fortifiée ; le site « était au moins fortifié par la tour ouest de l’église (E) et par celle du palais (P), par les murs entourant le cimetière, par la rivière Wayot et le chemin royal (C) serrés entre de hauts murs dont l’implantation est encore visible aujourd’hui dans la rue Chinrue. »[9]
[1] Stéphane LEBECQ, Les origines franques Ve-IXe siècle, 1990, p. 142.
[2] Rémy GUAGAGNIN, Un village en France : Villiers-le-Sec, dans Charlemagne. L’Empire retrouvé, Muséobus du Ministère de la Communauté française, février 1990-août 1991, p. 47.
[3] BERTHOLET-HOFFSUMMER, p. 72.
[4] François LETOCART, L’environnement, dans Charlemagne. L’Empire retrouvé, Muséobus du Ministère de la Communauté française, février 1990-août 1991, p. 45.
[5] Micheline JOSSE, Le diplôme d’Arnould de Carinthie du 13 juin 888, in Bailus-Baelen, 888-1988. Mélanges, Baelen 1988, p. 9-14.
[6] BERTHOLET-HOFFSUMMER, p. 72.
[7] Idem, p. 72.
[8] BERTHOLET-HOFFSUMMER, p. 77.
[9] Idem, p. 79.