2. L’Ardenne gallo-romaine et les routes de l’évangélisation (Ier-IVe siècles)

Corrections voir Bertholet Bulletin SVAH2021 : le domaine de Theux à l’époque gallo-romaine

Notre région est couverte d’une forêt profonde et étendue, nommée par César Arduenna silva (domaine de la déesse des Trévires : Arduinna), et, selon lui, « la plus vaste des Gaules »[1]. Elle fut occupée, à partir de 450 avant Jésus-Christ, par des tribus celtes dont témoignent, pour notre région, des toponymes celtiques comme Vesdre, Hoëgne, Poleda. Ces populations s’y installent, peut-être attirées par la présence de minerais de fer et gisements aurifères. On défriche, on cultive, on s’implante.

Au premier siècle avant Jésus-Christ, après la conquête, Rome s’installe et prend possession de la grande forêt ardennaise qui devient fiscus impérial, propriété privée de l’empereur qui en perçoit les revenus.

Atlas d’histoire, De Boeck, 201, carte n°38

Deux grandes voies antiques encadrent l’Ardenne en reliant les capitales provinciales : à l’ouest, la chaussée Boulogne-Cologne (capitale de la province romaine de Germania seconda)[2] qui passe par Tongres et Maastricht ; l’autre relie Reims (capitale de la province Belgica seconda) à Trêves (capitale de la Belgica prima). Notre région se trouve à l’écart de ces grandes voies car la forêt reste dense et s’étend sur tout le massif ardennais. Deux autres routes auraient traversé notre région : Trêves-Tongres (par Malmédy, Tiège, Polleur, Fays, Soiron) et Cologne-Amiens (par Aix, Baelen, Dison, Pepinster, Sprimont, Vervoz)[3].

Très tôt, dès le début du premier siècle de notre ère, les Romains sont à Theux, pourtant « isolé au sein d’une forêt très dense, que n’atteint aucun cours d’eau navigable et sans doute alors aucune route »[4]. C’est que la région est déjà bien mise en valeur par les autochtones : la vallée de la Hoëgne est alors pâturée et cultivée, une industrie métallurgique s’y développe. Il semble, en effet, que « sous l’époque romaine, des fourneaux franchimontois fabriquent déjà des lingots de plomb qui sont exportés : on en a trouvé récemment frappés de la marque TEC ; Theux se disait alors TECTIS » [5].

La présence romaine est attestée par l’existence à Juslenville d’un cimetière, un temple [6], un atelier métallurgique, une villa ou exploitation agricole ; on est sous l’empereur Claude (41-54). Trois autres cimetières gallo-romains ont été repérés autour de Theux ainsi que les traces d’une villa proche de l’actuelle église et de la fameuse carrière de marbre noir exploitée par les Romains [7]. Ce qui témoigne de l’importance de la population installée dans la vallée et formant un ensemble d’habitations ou vicus. Quelques rares vestiges gallo-romains ont été découverts à Spa, mais datent de la fin IIe– début IIIe s. [8]

Si les Romains ont supprimé la caste des druides, les Belgae continuent à adorer leurs dieux, en plus des nouveaux dieux romains. Les cultes gaulois ont lieu en plein air dans des lieux sacrés comme une source, un rocher ou un arbre exceptionnel, le seuil d’une forêt profonde. Ainsi la légendaire bête du Staneux pourrait être une survivance d’un culte à Épona, la déesse gauloise des chevaux et des voyageurs, représentée à cheval [9]. Cela n’a pas empêché la construction d’édifices religieux comme le temple de Juslenville. Ce fanum (nom donné aux petits temples gallo-romains) abritait, dans sa partie centrale (cella) entourée d’un parvis, la statue de la divinité qu’on venait invoquer, à qui on faisait des offrandes ; des sacrifices étaient offerts à côté de l’édifice. « On suppose que les fidèles restaient à l’extérieur de la cella et que le parvis couvert servait à une circumambulation dans le sens solaire. Le Grec Strabon affirmait : « Les Gaulois honorent leurs dieux en tournant autour. » [10]

Sur le territoire de Theux, on a retrouvé des traces de cultes divers : gaulois, germains, romains. Theux n’étant pas loin de Tongres et du Rhin, on peut conjecturer que d’anciens auxiliaires germains de l’armée romaine sont venus y prendre leur retraite. Cela expliquerait la découverte, dans la cella du fanum, d’un petit sanglier en bronze, indice d’un culte germain, mais aussi la dédicace à Mithra figurant sur deux pierres à inscription, datées des IIe s. et IIIe s. Le culte de Mithra, qui connut son apogée au IVe s., était particulièrement pratiqué dans l’armée, car il exaltait la force virile et la discipline morale. « Dès lors, on peut penser que dans la campagne theutoise, peuplée d’abord par des Gaulois agriculteurs, ont été implantés, au IIe s., d’anciens militaires qui ont élevé un petit temple associant les cultes de dieux de diverses origines. Il est possible que les autorités romaines aient décidé d’exproprier les indigènes et de créer dans le terroir une colonie de vétérans[11].

C’est seulement au début du IVes., soit peu après la reconnaissance par l’empereur Constantin de la religion chrétienne (313), que le christianisme apparaît dans nos régions. Cette diffusion tardive s’explique peut-être par la situation géographique de la Belgique au bout du monde romain, mais surtout par son caractère rural : de nombreuses villae mais assez dispersées. La première évangélisation de nos régions touche les villes et est le fait de soldats et de marchands qui répandent la foi chrétienne le long des routes terrestres et fluviales. Le christianisme s’implante dans les agglomérations plus romanisées, mais ne touche pas les campagnes.  Il faudra encore trois siècles pour Theux, éloigné des centres urbains et des grandes voies de circulation.


[1] De bello gallico, VI, 29, 4 : « per Arduennam silvam, quae est totius Galliae maxima ».

[2] La Gallia Belgica est divisée, à partir du IIIe s., en trois provinces.

[3] L’archéologie moderne a fait le ménage, aidée par des procédés de datation scientifique (dendrochronologie). Comme routes romaines sont reconnues Bavay-Maestricht-Cologne et la Reims-Cologne. Serge NEKRASSOFF, Le Pavé Charlemagne, Waimes, 2018, p. 20 ; 63.

[4] Paul BERTHOLET, Cent cinquante ans de fouilles archéologiques dans l’entité de Theux, Theux, 1997, p. 11.

[5] Paul BERTHOLET, Travail du fer et migrations au Franchimont, 2016.

[6] « La période d’usage du temple s’étend du 1er au 3e siècle ». Serge NEKRASSOFF, Le Pavé Charlemagne, Waimes, 2018, p. 64.

[7] Paul BERTHOLET et Patrick HOFFSUMMER, L’église-halle des saints Hermès et Alexandre à Theux, Dison, 1986, p. 59-60.

[8] Les Romains et Spa, in www.sparealites.be, publié le 14 mai 2013, consulté le 16/12/2015.

[9] Alex DOMS, Des dieux gallo-romains à saint Georges… Archéologie et folklore à Theux, in Terre de Franchimont, n°14, décembre 2000, p. 38-39.

[10] Alex DOMS, Des dieux gallo-romains à saint Georges… Archéologie et folklore à Theux, in Terre de Franchimont, n°14, décembre 2000, p. 40.

[11] Alex DOMS, Des dieux gallo-romains à saint Georges… Archéologie et folklore à Theux, in Terre de Franchimont, n°15, juillet 2001, p. 20-24.