Dès le début du Xe s., le domaine de Theux appartient à l’évêque de Liège qui, depuis Notger (972-1008), est à la tête d’une principauté en voie d’expansion. L’évêque acquiert ainsi la stature d’un vrai prince territorial, doté de moyens politiques, militaires et économiques. Une des tâches des princes-évêques est de protéger le diocèse et le territoire liégeois. Dans ce but, ils vont « acheter ou confisquer des domaines afin d’y installer des places fortes nécessaires à la défense du dominium liégeois dont les territoires sont morcelés. »[1] Cette politique militaire des évêques entraîne l’érection d’une série de forteresses. « Franchimont[2] est une des douze résidences et places fortes de la principauté. »[3]
La situation du domaine de Theux est particulière ; ce territoire est enclavé dans le duché de Limbourg (au nord, aujourd’hui, le pays de Herve), le duché de Luxembourg (à l’ouest, aujourd’hui Remouchamps), la principauté de Stavelot-Malmedy (au sud et un petit territoire à l’ouest, correspondant aujourd’hui à Louveigné).
La forteresse de Franchimont est construite « à 1 km au sud de Theux, au confluent de la Hoëgne, du Wayai et du ruisseau du Pré-l’Évêque, à l’extrémité d’une colline à 270 m d’altitude. Ce site de hauteur correspond au type de l’éperon barré. »[4] L’emplacement choisi assure le contrôle des vallées environnantes ; la vue s’étend sur plusieurs kilomètres. Cette gravure[5] du XVIIIe s. en donne une bonne idée.

On a affaire au type « château-cour ». « Les bâtiments enserrent une cour centrale dominée à l’est par un donjon. Celui-ci est intégré à l’enceinte. Une citerne au milieu de la cour est alimentée par une résurgence des eaux infiltrées dans la partie supérieure de la colline, à l’est du château. Ce phénomène hydrodynamique semble avoir permis aux premiers défenseurs de se passer d’un puits profond et fut peut-être un facteur déterminant lors du choix du site à fortifier. »[6] Une partie des fortifications peut avoir été en bois à l’origine.
« Les deux premières mentions tout à fait sûres du castrum Franchiermontdatent de 1155. Mais il est vraisemblable, d’après le contexte historique, que le château a été construit, fin du XIe s., à l’initiative de l’évêque Henri de Verdun (1075-1091) ou de son successeur Otbert (1091-1119) pour défendre la marche orientale de la jeune principauté liégeoise. »[7] En effet, « l’édification du château de Limbourg à proximité (une quinzaine de km) de l’enclave ou « marche » franchimontoise rendait d’autant plus nécessaire une forteresse dissuasive. »[8] Les ducs de Limbourg cherchaient à agrandir leur domaine en s’emparant de territoires voisins de la forteresse érigée sur l’éperon dominant l’actuel Dolhain. Pour protéger son domaine theutois, l’évêque de Liège « a pris la décision de délimiter, au centre de ce territoire, une portion de celui-ci où serait formé un ensemble constitué d’une forteresse, d’un petit village et de terres cultivables sur lesquelles s’établiraient des agriculteurs. »[9]
L’origine du village de Marché est en relation directe avec la construction du château de Franchimont au cours du XIe s. Au pied du château, le ru du Pré-l’Évêque « avait créé un cône de déjection suffisamment large pour permettre l’établissement d’une petite agglomération délimitée par une place centrale en rectangle autour de laquelle de petites maisons se sont alignées. Le caractère géométrique de la place résulte de la volonté qui présida à la création artificielle d’un ensemble : les maisons sont disposées selon un plan préconçu et non en ordre dispersé comme on les trouvait généralement dans les hameaux de la campagne. »[10]

Les maisons qui fermaient la place du côté de la rivière ont été démolies en 1855 pour faire place au chemin de fer ; la chapelle était jusqu’au XVIIIe s. plus haut vers la colline et hors du quadrilatère que forme la place.
Le peu d’espace disponible pour l’extension de l’habitat conduira à construire « sur le flanc de la colline de Chavieumont, puis ils détourneront le cours du ruisseau du Pré-l’Évêque. D’autre part, ils ont eu besoin de terres à mettre en culture qui se trouveront en amont du confluent de la Hoëgne et du Wayai et sur les replats à l’est du château, là où seront construits les hameaux agricoles de Sassor et de Sasserotte. »[11]
Pour amener une population à s’installer au pied d’une forteresse et donc subir les conséquences des guerres, des incursions, des pillages, il fallait accorder un certain nombre d’avantages, de privilèges. Ceux qui s’installent à Marché vont former une communauté, c’est-à-dire un ensemble de personnes jouissant de droits, comme l’exemption de certaines taxes, mais tenues en contrepartie à un certain nombre d’obligations, comme la garde et le ravitaillement du château, d’où vraisemblablement l’octroi d’un marché, bien avant celui octroyé par Erard de La Marck en 1514. « C’est que pour l’évêque souverain, il n’était pas suffisant d’installer des manants qui se consacreraient à l’agriculture, encore fallait-il inciter des marchands à fréquenter l’endroit et ainsi donner de l’expansion à l’économie locale. »[12]
Ainsi « se forma jusqu’en 1712 une communauté indépendante de celle de Theux ; la nécessité d’un édifice du culte se fit bientôt sentir d’autant plus qu’il ne paraît pas avoir eu d’oratoire au château avant le XVIe s. (et sous l’invocation de saint Jean-Baptiste). »[13]
Au XIIe s., au pied de la colline, un premier édifice de culte apparaît, dédié à saint Nicolas (270-343), choisi dès le XIe s. comme patron des marchands. « Ce patronage convenait particulièrement à la chapelle d’un lieu destiné aux échanges commerciaux. Nous retrouvons ici la confirmation de l’affectation donnée à l’endroit : fournir diverses marchandises tant aux habitants du village qu’aux résidents de la forteresse. »[14] C’est le seigneur, c’est-à-dire le prince-évêque, qui est collateur de ce bénéfice. La chapelle primitive est située plus haut que l’actuelle, vers la colline. La proximité du ruisseau Pré-l’Évêque cause bien des dégâts lors des crues et la chapelle doit, à plusieurs reprises, être remise en état. Finalement, au XVIIIe s., elle est reconstruite plus bas, à l’abri des crues.
[1] BERTHOLET-HOFFSUMMER, p. 137.
[2] Le terme « Franchimont » proviendrait du nom de la colline sur laquelle le château est bâti : le mont Frankar.
[3] Patrick HOFFSUMMER, Le château de Franchimont, Carnets du patrimoine, n° 21, 1997, p. 3. Les autres places fortes du pays de Liège sont sur les marches de l’ouest Fosses et Thuin, au sud Bouillon ; Franchimont lui se situe à l’est. À ces places fortes, il faut ajouter les fortifications urbaines de Liège, Dinant, Huy.
[4] Promontoire rocheux (éperon) dont l’isthme a été coupé par un retranchement, dans un but de fortification. C’est une place forte naturelle. La force tactique de l’éperon barré est justement son emplacement, grâce aux défenses naturelles (pentes ou roches) sur la quasi-totalité du site. Les assaillants n’ont que très peu d’autres choix que de chercher l’entrée, elle-même parfaitement défendue et piégée (fosse, etc.).
https://museedupatrimoine.fr/thematique-180/eperon-barre
[5] Gravure extraite de DE SAUMERY, 1743. Les Délices du Pays de Liège, Liège.
[6] HOFFSUMMER, p. 10.
[7] HOFFSUMMER, p. 7.
[8] BERTHOLET-HOFFSUMMER, p. 137.
[9] Alexis DOMS, La communauté de Marché, in Terre de Franchimont, n° 37, juillet 2012, p. 4.
[10] DOMS, p. 6.
[11] DOMS, p. 6.
[12] DOMS, p. 8.
[13] J. de BORCHGRAVE d’ALTENA et Paul BERTHOLET, Trésors d’art religieux au marquisat de Franchimont, Theux, 1971, p. 113-114.
[14] DOMS, p. 9.