« Le patronage de saint Remacle n’apparaît qu’une seule fois dans la paroisse primitive de Theux, c’est à Spa et à une époque tardive ; le saint n’est même pas représenté parmi les 66 peintures du plafond de Theux (XVIIe s.) ; vraiment la lutte des prince-évêques liégeois pour détacher, aux XIe et XIIe s., le pays de Franchimont de Stavelot et le tourner vers Liège, avait réussi. », écrit Paul Bertholet.
En 1464, on trouve, dans les archives, la première mention de ce patronage : « englisse saint remacle de spauz » On possède une statue en bois (voir ci-contre) « de tilleul, polychromée, avec aux pieds du saint, un animal sur l’échine duquel se voient les restes d’un bât : il s’agit du loup bâté qui, avec l’âne, est l’un des attributs iconographiques de saint Remacle ».
Cette statue est estimée antérieure à 1573. On peut supposer, compte tenu de la première mention du patronage, qu’elle se trouvait dans l’église ou chapelle existant avant 1573. Cette dédicace à saint Remacle aurait donné lieu, au début du XVIIe siècle, à une recherche de reliques du saint auprès de l’abbaye de Stavelot à l’occasion de la consécration, vers 1600, de la nouvelle église par Ernest de Bavière.[1] Cette église pourrait être celle représentée par Valdor en 1603 (voir ci-dessous) et alors achevée à partir des travaux en cours depuis 1573.

Les liens avec Stavelot
L’abbaye de Stavelot-Malmedy, fondée vers 658, est à l’origine de la présence chrétienne dans nos régions. Elle est le seul pôle religieux de référence pour toute la région. Depuis la fin du VIIIe siècle, l’abbaye perçoit la dîme et désigne le desservant de la paroisse de Theux. La donation, en 915, du domaine et de la paroisse de Theux à l’évêque de Liège a petit à petit détaché Theux de Stavelot au profit de Liège, la ville épiscopale.
Néanmoins, les relations avec l’abbaye ont perduré. Ainsi, créées probablement au IXe s., les processions des croix banales de Theux à Stavelot vont se maintenir jusqu’à la fin du XVIe s. Cette institution, appelée aussi bancroix, est caractérisée par « une procession annuelle au cours de laquelle la totalité d’une ou plusieurs paroisses — curé, croix et bannière pastorale en tête — se rend au siège d’un évêché, d’une collégiale ou d’une abbaye et y acquitte un droit, en nature et/ou en argent ».
On lit dans un document, rédigé en 1130 par l’abbé Wibald de Stavelot que « chaque foyer des paroisses de Theux, Verviers, Sart et Jalhay devait apporter chaque année, pour la Pentecôte et pour la Saint-Remacle, un pain, un fromage ou un œuf à l’abbaye ». Spa, faisant partie de la paroisse de Theux, puis de Sart, a participé à ces processions avec les dons en nature, accompagnés d’une offrande en argent à saint Remacle.
Cette institution des bancroix manifestait un certain lien de dépendance entre la ou les paroisses concernées et l’abbaye bénéficiaire qui a été partie prenante dans l’évangélisation ou l’origine des paroisses. La procession annuelle est alors un geste de reconnaissance et un signe de filiation.
On comprend qu’à la suite de la consécration de l’église de Spa, « on alla en procession à Stavelot pour obtenir un ossement du corps de saint Remacle, afin de faire la Dédicace qui fut célébrée le 1er dimanche de septembre, après la fête de St Remacle. Actuellement encore, c’est ce dimanche qu’on fait la kermesse au Vieux Spa ». Est cité ici un chroniqueur spadois, Antoine Houyon (1774-1847), tourneur en bois, sacristain à l’église paroissiale après avoir été enfant de chœur chez les Pères Capucins. Il mit par écrit le récit des scènes vécues et raconta les souvenirs recueillis auprès des Capucins comme du clergé paroissial. Selon Albin Body, le Mémorial de Houyon comprend deux cahiers, l’un de 182, l’autre de 64 pages.
L’évangélisation de la région spadoise par saint Remacle ou ses moines
Moine formé à Luxeuil, Rimaglius est appelé, en 632, par saint Eloi comme abbé de Solignac. En 647-648, le roi d’Austrasie Sigebert III décide de faire construire un monastère à Cugnon, sur le cours de la Semois, dans la forêt d’Ardenne. Le projet est confié à Remacle. Après les grandes invasions, la christianisation en profondeur de l’Ardenne restait à faire. Ce territoire est entamé une première fois avec la fondation de saint Remacle.
L’essai manqué à Cugnon réussit avec la création, en 651, de deux monastères à Malmedy et Stavelot. Saint Remacle meurt entre 671-673. Très populaire dans la région septentrionale de l’Ardenne, des églises lui sont dédiées. De nombreuses légendes à son sujet se sont développées en Haute Ardenne. Voilà qui témoigne du rayonnement du saint, significatif de l’influence de l’abbaye et des moines sur la population.
La légende présente ainsi saint Remacle comme l’évangélisateur de nos régions dont la première tâche fut l’éradication du paganisme et de ses idoles. « C’est le chroniqueur Hériger, vers l’an mil, qui raconte la destruction par saint Remacle des vestiges païens en Ardenne : autels de Diane et culte de fontaines. Jusqu’à présent, selon Ph. George, on a admis ce témoignage comme très postérieur ».
On distingue, en effet, une évangélisation active, directe, et une évangélisation latente, conséquence d’une implantation monastique qui fait pénétrer progressivement la foi chrétienne.
En ce qui concerne l’évangélisation de notre région, quand on l’attribue à saint Remacle, s’agit-il en l’occurrence du saint ou du report sur lui de l’impact des moines de Stavelot sur les populations encore fraichement christianisées, surtout dans cette immense forêt d’Ardenne ?
À côté de leur mission de prière, les moines sont aussi des évangélisateurs par action directe dans la région de leur abbaye et, surtout, par rayonnement sur les populations locales. Ils circulent dans la région et se rendent dans les petites agglomérations. Ils y prêchent, y transforment, le cas échéant, un oratoire païen en une chapelle chrétienne, ou en construisent une nouvelle. Sur cette base s’établiront plus tard les paroisses dont le patronage attribué à saint Remacle pourrait s’expliquer par un lien de dépendance à l’égard de l’abbaye. En effet, les moines qui ont œuvré à l’évangélisation de la région ont induit une certaine dévotion à leur saint fondateur conduisant les fidèles à attribuer à Remacle l’origine de leur christianisation.
Saint Remacle et les eaux de Spa
Selon la tradition, saint Remacle aurait béni les eaux de la bourgade de Spa, en particulier la fontaine de la Sauvenière. « Il faut remarquer que, près de la source minérale de la Sauvenière se trouvait une chapelle aujourd’hui disparue, qui est représentée sur un dessin de 1559. Fontaine où se trouve le célèbre pied de saint Remacle. »
On sait surtout que l’eau sous ses formes de sources, fontaines ou cours d’eau tenait une grande place comme lieux de culte gallo-romains. Ainsi, « aux chrétiens, Césaire d’Arles (VIe s.) défend de s’y rendre pour y faire des vœux, prier et adorer. Les noms de saints chrétiens réputés pour leurs miracles furent substitués à ceux d’Apollon, Diane ou des nymphes, matrones ou déesses associées aux fontaines et à la fécondité. Aussi, il n’est pas étonnant que des sources aient été associées au nom de saint Remacle… La fontaine ou pouhon qui se trouve au centre du bourg porta anciennement le nom de « fontaine de saint Remacle ». « Ortélius, décrivant en 1584 la fontaine située au centre de Spa (appelée Pouhon Pierre-le-Grand au XVIIIe s.) l’appelle la « fontaine acide de Saint Remacle » ce qui peut faire supposer que cette source, dont un poème du XVIIe s. dit que « les femmes stériles, elle les rend fécondes» a pu être une fontaine sacrée. Sur une gravure datant de 1651 représentant le Pouhon, on peut remarquer qu’à cette époque, l’édicule était surmonté d’une grande statue de saint Remacle. »

Abbé Marcel Villers
[1] Ernest de Bavière (1554-1612), prince-évêque de Liège (1581) et prince-abbé de Stavelot. Il contribue largement au développement du thermalisme à Spa et à la croissance de la ville.
- Paul BERTHOLET, Spa, in Trésors d’art religieux au marquisat de Franchimont, Theux, 1971.
- Albert LEMEUNIER (dir.), Saint Remacle l’apôtre de l’Ardenne, Spa, 1995.
- Philippe GEORGE, Saint Remacle de Malmedy et Stavelot. Entre mythe et réalité, in Les moines à Stavelot-Malmedy du VIIe au XXIe siècle, Abbaye de Stavelot, 2003.