50Le concile de Trente (1547-1563) engage une réforme de l’Église confrontée alors aux dérives du clergé et au délaissement des fidèles mis en évidence par le succès du mouvement de rénovation suscité par les protestants. Il s’agit pour les réformateurs catholiques de stimuler la connaissance et donc l’enseignement de la vraie foi, mais aussi une vie spirituelle personnelle des fidèles puisée dans les sacrements majeurs que sont la messe et la confession. La pratique liturgique va ainsi connaître de nouveaux accents qui vont se concrétiser dans les aménagements des lieux de culte. Cinq meubles nouveaux font leur entrée dans les églises généralement dès le XVIIe s. Ils matérialisent en quelque sorte les facettes du projet de réforme catholique : le tabernacle, la chaire de vérité, le confessionnal, l’orgue et les images sculptées ou peintes. Ce mobilier témoigne aussi de la réaction catholique aux thèses protestantes.
La messe centre de la vie liturgique
Le nouveau missel promulgué en 1570 met en place deux types de célébration de la messe : la grand-messe chantée et avec l’assistance du diacre et du sous-diacre (à trois prêtres comme on disait) ; la messe basse ou lue, plutôt que chantée, par un seul prêtre avec l’aide d’un ou deux servants. Cette dernière va prendre le pas sur la liturgie solennelle réservée au dimanche et aux grandes fêtes. « La prévalence croissante du rituel simplifié et lu a eu pour effet de réduire les dimensions sensorielles de la liturgie et donc de limiter les moyens de participation méditative et affective des laïcs » [1]. De
plus le maintien de l’usage exclusif du latin va creuser le fossé entre la liturgie célébrée par le prêtre à l’autel et les exercices de dévotion que les laïcs vont utiliser pendant la messe, en particulier la récitation du chapelet et l’usage de livres de prière individuels dont la diffusion ira en s’accroissant grâce à l’imprimerie.
Visant à rendre les fidèles plus proches de Dieu et encourager une participation plus grande à la liturgie, les « jubés opaques séparant le chœur des fidèles disparaissent au profit d’un banc de communion qui convie le peuple à s’approcher de l’autel »[2]. « En 1675, à Theux, le grillage du chœur est remplacé par un banc de communion »[3].
Le maître-autel lieu du sacrifice eucharistique
Face au Protestantisme qui nie le caractère sacrificiel de la messe, les églises dressent des autels monumentaux richement décorés. « Le maître-autel, associé au tabernacle, est la pièce maîtresse du décor d’une église. Il est le point focal de l’espace sacré d’autant plus visible qu’il est dominé par une spectaculaire structure architecturale ordonnée autour d’un retable peint [ci-contre l’autel de Foy Notre-Dame contemporain de celui de Theux disparu] ou sculpté exaltant le mystère eucharistique [mémoire de la mort du Christ] »[4]. Les retables atteignent souvent des dimensions démesurées. Ainsi à Theux, « l’autel, jadis bas et très simple, se développe en hauteur, cache les verrières et est mis en évidence par un éclairage de face ou latéral »[5]. Les autels secondaires sont supprimés ou relégués dans le fond. « Le retable du maître-autel, encadré de colonnes, est orné en 1695 d’une haute peinture représentant le Christ en croix, due au Liégeois Englebert Fisen (1655-1733), et encore conservée »[6]. Cette peinture ressemble fort à celle de l’église Saint-Barthélemy à Liège (photo ci-dessous), considérée comme le chef d’œuvre de Fisen datée de 1684. L’autel de la chapelle Wolff qui date de 1655 porte lui aussi un retable peint représentant la nativité (ci-dessous à droite).
Le tabernacle et la Présence réelle du Christ
Alors que les siècles passés séparaient la réserve eucharistique de l’autel, le concile de Trente place le tabernacle au centre. Il doit être placé au milieu de l’autel et être inamovible ; il doit être construit avec des matériaux résistants comme la pierre ou le métal. Sa forme est celle d’un coffre fermant à clé, revêtu d’une étoffe de soie à l’intérieur et couvert d’un voile au-dehors. Il est surmonté de la niche ou dais d’exposition du Saint-Sacrement. (Ci-contre autel de Polleur). Une lampe doit brûler devant ou à proximité, affirmant la présence réelle du Christ dans le tabernacle.
L’adoration du Saint-Sacrement
En réaction au protestantisme qui relativise la présence réelle du Christ sous les espèces eucharistiques, les catholiques développent la dévotion au Saint-Sacrement. Des pratiques nouvelles apparaissent : le salut du Saint-Sacrement, le dimanche, associé aux vêpres ; l’adoration continue du Saint-Sacrement exposé sur le maître-autel, particulièrement lors des Quarante Heures (correspondant au nombre d’heures passées par le corps du Christ dans le tombeau) ; les processions solennelles de la Fête-Dieu, préconisées par le concile de Trente. Ces pratiques de l’adoration eucharistique se concrétisent dans la création des ostensoirs à partir des débuts du XVIIe s. La piété baroque confesse ainsi et glorifie de manière ostentatoire la présence réelle et rayonnante du corps du Christ dans l’hostie.

Ci-dessus, un ostensoir-cylindre de l’église de Theux datant des alentours de 1600-1622. Il s’agit d’un ciboire transformé en
ostensoir par l’adjonction, entre la coupe et le couvercle, d’un cylindre en verre flanqué de colonnettes où était exposé le Saint-Sacrement. La partie supérieure (photo à droite) présente une couronne, un édicule où se trouve une Vierge avec au sommet un Christ en croix. Près de la couronne, les patrons de l’église : saint Alexandre, à droite, et saint Hermès.
La chaire de vérité et l’enseignement de la vraie foi
Un des objectifs du concile est de rétablir la vraie foi catholique. La chaire de vérité devient le meuble significatif de cette volonté d’enseignement des fidèles (ci-contre celle de Saint-Barthélemy, Liège). Au Moyen Âge, peu d’églises possèdent une chaire. De plus elle est placée à la limite du chœur et de la nef, et donc en avant des fidèles. Après le concile de Trente, elle se situe dans la nef, au-dessus de la tête des fidèles, ce qui assure une meilleure acoustique. « Cette promotion de la chaire à prêcher peut sembler anodine. En fait, elle brise deux traditions multiséculaires. Longtemps cantonné au chœur, le curé doit désormais, temporairement, se mêler aux fidèles dans la nef. La deuxième rupture est linguistique. Jusque-là, le curé célébrait la messe en latin sans que son public ne comprenne grand-chose. Dans la chaire, il devra prêcher dans la langue locale »[7]. La chaire à prêcher est un outil essentiel de la Contre-Réforme catholique, concurrençant la chaire des protestants jusqu’à devenir un véritable monument et chef d’œuvre d’art baroque.
Le confessionnal et la direction de conscience
Le meuble d’église ou confessionnal, à peine connu au XVIe s., va se répandre partout et devenir l’emblème du rôle accru de la confession dans la vie et la spiritualité catholiques. Ce meuble d’église est inventé dans le nord de l’Italie dans les décennies 1540-1570.
L’instruction de 1577 pour la construction du confessionnal précise que reposant sur un socle bas, le meuble est formé d’une structure en bois qui est ouverte à l’avant et fermée à l’arrière, sur les deux côtés et au-dessus. De part et d’autre d’une cloison centrale sont placés un siège pour le confesseur et un prie-Dieu (ou agenouilloir) pour le pénitent. Une ouverture dans la cloison facilite l’écoute de la confession sans laisser passer les regards. Elle est occultée par une plaque de fer trouée et recouverte d’une toile du côté du confesseur. Un deuxième prie-Dieu est souvent ajouté à la structure de base, ce qui permet d’entendre successivement deux confessions et de gagner du temps pendant les principales fêtes et les jubilés. Le meuble impose le lieu de la confession : « elle doit se dérouler en un lieu déterminé de l’église, au vu et au su du reste des fidèles, et non plus au choix du confesseur, dans une habitation privée ou une cellule. En outre, la séparation des corps est un garde-fou contre la luxure qui, après Trente, prend la première place dans la hiérarchie des péchés, pour les laïcs comme pour les clercs. Enfin, le meuble fait du confesseur un juge, qui siège et surplombe pénitents et pénitentes à genoux, mains jointes sur le prie-Dieu et tête humblement baissée. Le visage du confesseur est caché car c’est la justice divine qui est rendue en ce tribunal »[8].
A Theux, « en 1613, le curé est autorisé à faire exécuter deux chaises pour confesser. Un autre confessionnal sera réalisé en 1683 et deux nouveaux en 1710, ceux vraisemblablement conservés aujourd’hui »[9]. (Photos ci-dessus)
L’orgue et la participation par le chant
Attesté après l’ère carolingienne (1157), l’usage de l’orgue est cependant resté occasionnel à l’intérieur du culte jusqu’au XIe s. qui accrédite uniquement l’orgue comme présence instrumentale dans le cadre des rites.[10] Le concile de Trente va « insister sur ce qu’est une musique appropriée propice à la dévotion et suffisamment simple pour permettre une audibilité et une compréhension claire des textes sacrés »[11].
Dans le sillage de la Contre-Réforme, qui veut rendre la liturgie sensible au cœur et aux sens, l’église de Theux acquiert en 1623 un orgue construit à Liège. « En 1632, grâce à l’aide pécuniaire d’Anne Collette, les deux volets ouvrables » de l’orgue étaient peints. Au-dessus des volets, deux petits panneaux représentant les faces du Sauveur et de Marie »[12]. Après 250 ans de service, l’orgue, irréparable, est démonté le 12 juin 1873. Un nouvel orgue, construit par Arnold Clerinx, de Saint-Trond, est inauguré le 24 mars 1874, et toujours en usage.
Les images et le culte des saints
La Réforme protestante, surtout calviniste, rejette les images de Dieu, de la Vierge Marie et des saints parce qu’elles génèrent une dévotion assimilée à l’idolâtrie. Ce rejet des images interroge la vénération des statues et des reliques des saints, très populaire chez les catholiques. Le concile de Trente réagit en affirmant que « l’honneur qui leur est rendu renvoie aux modèles originaux que ces images représentent. Aussi, à travers les images que nous baisons, devant lesquelles nous nous découvrons et nous prosternons, c’est le Christ que nous adorons et les saints, dont elles portent la ressemblance, que nous vénérons »[13].
Le culte des images et des saints, en particulier de la Vierge Marie, est en conséquence accentué dans les églises catholiques. A Theux, le plafond de la nef se couvre en 1630 de soixante-six médaillons peints représentant le Christ, Marie, entourés d’une multitude (45) de saints et saintes. Les artistes, peintres et sculpteurs, sont appelés à représenter les thèmes chrétiens en éliminant les connotations médiévales, légendaires et merveilleuses, et surtout en veillant à la décence au sens étymologique : la convenance, que ce soit au niveau doctrinal comme des bonnes mœurs. A Theux, « de nouvelles statues (ci-dessous à droite) des saints patrons, Hermès et Alexandre, sont sculptées et peintes à Liège en 1699, les anciennes (ci-dessous à gauche) étant jugés indécentes par l’archidiacre »[14].
[1] UWE MICHAEL LANG, Une brève histoire de la messe dans le rite romain, 2023, p. 134.
[2] BERTHOLET-HOFFSUMMER, op. cit., p. 198.
[3] BERTHOLET-HOFFSUMMER, op. cit., p. 200.
[4] Anne LE PAS DE SÉCHEVAL, L’art sacré au XVIe siècle. Le temps des crises et des réformes, in Histoire générale du christianisme, tome II, p. 231.
[5] BERTHOLET-HOFFSUMMER, op. cit., p. 198.
[6] BERTHOLET-HOFFSUMMER, op. cit., p. 200.
[7] https://decoder-eglises-chateaux.fr/vie-et-mort-de-la-chaire-a-precher/
[8] https://ehne.fr/fr/encyclopedie/
[9] BERTHOLET-HOFFSUMMER, op. cit., p. 200.
[10] Luigi GARBINI, Nouvelle histoire de la musique sacrée, 2009, p. 133.
[11] John W. O’MALLEY, Le concile de Trente. Ce qui s’est vraiment passé, 2013, p. 236.
[12] Paul BERTHOLET, L’orgue de Theux, 1986.
[13] Décret sur l’invocation, la vénération et les reliques des saints et sur les saintes images (3-4 décembre 1563).
[14] BERTHOLET-HOFFSUMMER, op. cit., p. 202



