La chronique de notre Curé du 24 janvier 2021

Aussitôt… ils partirent à sa suite

La semaine dernière, l’appel de Samuel et la désignation de Jésus, l’Agneau de Dieu, par Jean le Baptiste nous invitaient à la rencontre avec le Seigneur. A l’occasion, je nous proposais comme piste, d’approfondir les racines, le terrain que nous sommes pour répondre à l’invitation, à l’appel de Dieu à travers les exemples d’Éli et de Jean. Cette semaine, le thème de l’appel se retrouve en filigrane.

A partir de l’appel des disciples par Jésus (Mc 1.14-20), je voudrais simplement remettre en mémoire un aspect que j’ai déjà évoqué plus d’une fois par ailleurs. Se mettre à la suite de Jésus ou accompagner Jésus ? Marc dans sa présentation des deux appels, celui de Simon et André puis des fils de Zébédée pourrait donner l’impression d’une radicalité qui, me semble-t-il, n’est pas de mise ici. Elle viendra plus tard. En fait Marc met l’accent sur le moment. Les deux « aussitôt » présents dans son texte nous l’indiquent comme tous les autres verbes conjugués au présent dans son Évangile. C’est le moment, c’est l’instant ! Pourquoi ? Pour se mette en route avec Jésus et commencer un chemin « parce que les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche ».

Comment annoncer ce royaume en vérité sinon en l’expérimentant soi-même ? En cheminant avec Jésus. Ceci est une quête, une formation qui ne se termine jamais. Les Évangiles nous le rappellent dans le concret du texte. A la première rencontre, les novices, si je puis dire, se mettent à suivre Jésus. « Venez et voyez ! » dit Jésus. Un jour, viendra la question : « pour vous qui suis-je ? ». Par exemple à la confession de Césarée (Lc 9.20-26) ; à partir de là, les novices sont plus disciples ; ils peuvent commencer à accompagner Jésus d’un même pas, côte à côte. Enfin, presque… nous savons que la question « qui est Jésus » trouve une réponse bouleversante sur la Croix. Bref, il ne sera jamais facile d’être « l’acolyte » (du grec marcher avec) de Jésus !

Répondre à l’appel du Seigneur et vivre de sa présence demande un retournement, une métanoïa, une conversion. Mais qu’est-ce que se convertir ? Changer de vie ? Bouger par peur comme les habitants de Ninive (Jonas 3.1-10) ? Se remettre en question ?

La fable de Jonas nous montre avec humour que la conversion est un chemin. Jonas est engagé par un Dieu terrible qui va punir « les autres ». Pourtant cela ne suffit pas à le mobiliser, il fait tout pour échapper à son devoir ! Ce n’est que ramené sans cesse par les événements à sa mission qu’il l’accomplit. Surprise : son annonce marche ! « Aussitôt les gens de Ninive crurent en Dieu. » Leur conversion ne vient pas de la peur mais d’ailleurs. C’est un donné qui leur parvient à travers la pauvre parole d’un prophète récalcitrant. Prophète qui en viendra à râler du pardon accordé par Dieu : c’est l’épisode du ricin… Donc Dieu pour nous convertir prend le temps et utilise des moyens à notre portée. Un pauvre type, un oracle… et il en profite pour révéler qu’il est le Dieu de la vie. « Le Seigneur dit à Jonas : as-tu raison de te fâcher pour cette plante ? Jonas lui répond : oui, j’ai raison de me fâcher à mort ! Le Seigneur lui dit : Toi, tu as pitié de cette plante pour laquelle tu n’as pas peiné… et moi je n’aurais pas pitié de Ninive la grande ville où il y a plus de 120.000 humains qui ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche et des bêtes sans nombre?! » Comme dans l’histoire des deux fils et de leur père, la finale ne nous dit rien sur la conversion de Jonas. Mais Dieu, comme le père, se montre aimant et source de vie pour tous. Ninive, c’est l’humanité, c’est vous et moi…

Thomas d’Ansembourg, psychothérapeute, écrit pour nous inviter à un virage à 180° : « Les choses ne bougent que parce que les gens s’émeuvent et se meuvent. Les gens c’est nous ! » Le titre de son récent ouvrage est aussi évocateur : « Notre façon d’être adulte fait-elle sens et envie pour les jeunes ? (Ed de l’Homme). Il m’est facile de le paraphraser : notre façon d’être chrétien fait-elle sens et envie pour d’autres ? Autrement dit, est-ce que notre conversion est suffisante pour « parler » de Dieu ? Je note que, dans les Évangiles, Jésus n’attend pas que ses disciples soient des pros pour les envoyer en mission. Celle-ci précède la profession de foi : «  Ayant réuni les Douze, Jésus leur donna puissance et autorité sur les démons et il leur donna de guérir les maladies. Il les envoya proclamer le Règne de Dieu » (Lc 9. 1 et svts).

Si nous voulons nous convertir, il faut nous sentir relié à Dieu et à son projet pour tous.

Comment se mettre au service « tout en se formant » ?

Agnès Charlemagne, artiste, théologienne et pédagogue témoigne dans Dimanche : « Notre éducation a mis l’accent sur la performance et la réussite. L’un des travers de cette éducation est cette idée selon laquelle à chaque question, il y a une réponse… En fait, on transforme ce qui devrait être un dialogue en un quiz ! Pourtant Jésus fait exactement l’inverse. Dans l’Évangile, il demande aux gens : « que veux-tu savoir ? Que veux-tu que je fasse pour toi ? »… Il faut se taire pour apprendre la question de l’autre. Et surtout il ne faut pas y répondre. Y répondre c’est dévier l’autre de sa propre question… c’est le distraire. Sa question est le premier pas d’une promenade… » (Dimanche, 17/01/2021, n°3). Cet auteur parle de l’approche des ados et de la foi. Elle prône le dialogue et surtout de se rendre compte que notre langage chrétien est « une barrière colossale ».

Ainsi donc pour se convertir et témoigner chemin faisant, il faut entrer en dialogue et se donner les moyens pour y parvenir !

Je viens d’évoquer le terrain de la catéchèse mais il y en d’autres. Prenons celui de l’action sociale. « Faire du bien » cela s’apprend. Une distribution de colis, la rencontre de l’autre « défavorisé » ne s’improvise pas avec la seule bonne volonté. Déjà, il est fondamental de bien se situer : qui suis-je pour prétendre avoir la solution à des problèmes dans lesquels l’autre patauge depuis parfois des années ? Dans l’Évangile, Jésus, s’il est le Sauveur, ne se place jamais en sauveur ! C’est un retour à la question évoquée plus haut. Jésus, c’est aussi de multiples : « ta foi t’a sauvé ». C’est une parole de reconnaissance de la foi élémentaire de l’autre qui a repris contact avec la vie, sa vie. Dans une conférence, un psychiatre témoignait de sa disponibilité pendant des années, le même jour et la même heure avec une jeune femme en décrochage. Puis un jour, déclic, la blessure des exclusions multiples s’était soignée par une simple présence fidèle. « Enfin si je compte pour quelqu’un, je peux croire en moi… » Ainsi, rendre service sur certains terrains est souvent comparable à s’occuper du tonneau de Danaïdes. Être au service demande de continuer à verser plutôt que de vouloir remplir à tout prix un puits sans fond. Servir au nom de l’Évangile est plus une présence qu’une assistance.

Je viens de donner deux exemples qui incluent l’interpersonnel, je vous livre maintenant une réflexion de Jean-Philippe de Limbourg dans sa conclusion d’un article sur les aumôneries hospitalières (Lumen vitae, 2020-4, p. 497) : « (…) L’Église doit s’intégrer dans une société pluraliste où elle est une actrice parmi d’autres. Cela demande répondre positivement aux appels du monde extérieur et de retrouver le vrai sens des hommes et des femmes de bonne volonté. Ces passeurs et ces témoins sont des personnes précieuses pour ouvrir et promouvoir la mission de l’Église dans une institution. Sans leur appui, l’Église va rapidement se dépouiller de ses fonctions sociales et être réduite à une institution repliée sur ses rites et sur sa tradition. Si ces coopérations ne doivent cesser de nous surprendre, il ne faut pas oublier qu’elles sont fragiles. Il est donc nécessaire de reconnaître la valeur de ses liens et d’en prendre soin… ». Le délégué épiscopal a mis en lumière que, sur le terrain, il s’agit d’accepter le relais de personnes bienveillantes qui ne sont pas nécessairement croyantes pour continuer d’avoir une présence chrétienne en hôpital et en maison de soin. Pourquoi ce qui est vrai dans un univers ne le serait-il pas dans d’autres (écoles, …) ? Quand Jésus envoie les disciples en mission, il leur donne un bon positionnement : « en entrant dans la maison, saluez-la : si cette maison en est digne que votre paix vienne sur elle… » (Mt 10. 12-13).

Jésus parle bien de dignité et de paix, condition d’une humanité de communion. Surtout aux premiers contacts. Viendront ensuite les œuvres de santé et les signes du Royaume.

En conclusion, si nous voulons être Église du Christ, c’est le moment favorable. Pourquoi attendre d’autant qu’il y a urgence pour la vie, une vie saine et sainte ? Les « aussitôt » de Marc se retrouvent chez Paul ce dimanche : « Frères, je dois vous le dire : le temps est limité… car il passe ce monde tel que nous le voyons». L’Écriture, depuis le temps de Jonas, montre Dieu à l’œuvre avec nous malgré nos refus et nos pauvretés. Dieu aussi nous précède toujours. Agnès Charlemagne l’a bien compris lorsqu’elle dit : « Il faut faire confiance à l’Esprit Saint qui sait très bien comment répondre à nos quêtes. Mais il est temps de se rendre compte que l’Esprit Saint ne s’adresse pas que dans les églises. Ni seulement aux croyants. Peut-être s’adresse-t-il même davantage à ceux qui ne se disent pas chrétiens… ». Cette parole est audacieuse mais nous convoque, à l’instar des propos de Jean-Philippe de Limbourg, à discerner la présence, en tout lieu et toute situation, d’hommes et femmes de bonne volonté.

La bonne volonté s’exprime dans le respect et le dialogue. Ces deux dernières valeurs sont des pierres d’attente dans notre société. Mises en avant, elles y sont si souvent mises à mal. Les quatre dernières années du mandat d’un certain locataire de la Maison Blanche sont à ce point très symbolique. Comme tout aussi, symbolique, qu’un nouveau président, catholique de surcroît, introduise le buste de Rosa Parks dans le bureau ovale !

Le Royaume a sa logique propre : peut-être n’a-t-il jamais autant avancé ces derniers temps alors que l’Église apparaît sur la touche et au moins barrée dans ses actions habituelles ? De toute façon, ce qui est semé comme bon grain ne peut que porter du bon fruit. Alors que notre conversion, avant d’être morale ou intellectuelle, soit d’abord celle de notre regard. Souvenons-nous du regard de Jean sur l’homme Jésus qui passe et repasse. Souvenons-nous du regard que Jésus pose en premier sur Pierre.

Aujourd’hui, comme hier et comme demain, Jésus pose son regard d’amour sur nous. Que cette fidélité bienveillante nous porte à regarder de même notre prochain.

Jean-Marc,
votre curé

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