La chronique de notre Curé du 31 janvier 2021

Le Saint de Dieu

« La défense patrimoniale en vogue de nos jours dans les milieux intellectuels et littéraires, est désespérée. Sans relation vivante avec le Dieu vivant, elle est vouée à l’échec » partage le romancier Sébastien Lapaque dans un interview accordé au magazine La Vie *. « Si vous voulez sauver les églises, il faut aller à la messe, vous mettre à genoux, même si vous n’avez pas la foi. »

L’auteur, qui est aussi essayiste et critique littéraire au Figaro, très inspiré par Bernanos, partage aussi quatre pistes pour « trouver la voie de l’intériorité » : dire la vérité, rechercher ce qui dure, réciter les psaumes et être passionné. « Dire la vérité pourrait bien s’avérer un remède salvateur dans un monde où tout est faux et menteur… Le cycle des heures et un « emploi » sacré du temps permet de distinguer ce qui dure de ce qui fait semblant de durer… Mieux que la lecture, la récitation des psaumes. Il est bon d’en savoir des bribes par cœur et de s’en souvenir au hasard et souvent. Les psaumes sont les pierres vivantes des murailles à rebâtir de la vie intérieure… Rester fidèle aux grandes passions de son adolescence. Rien n’est moins stoïcien que la foi chrétienne dans sa version catholique romaine. »

« Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur. » Cette « prière du pèlerin russe » ou prière de Jésus d’origine orthodoxe est psalmodiée régulièrement par un ancien scout lorsqu’il se rend à l’église. Enfin sur l’église ! Il fait partie des quelques rares grimpeurs chrétiens de cathédrales** ! « Moi, je le fais, précise-t-il, dans une louange à la Création et à l’Histoire… c’est une vraie démarche spirituelle de faire corps avec la maison de Dieu. Escalader les églises, c’est une prière. » Le jeune homme qui utilise un pseudo pourrait avoir un échange sans doute intéressant avec Sébastien Lapaque ?! Il poursuit sa passion d’enfance de grimper aux arbres et se justifie de la diffusion de photos prises en hauteur. « Je voulais éveiller les gens à la beauté, pour essayer de les reconnecter avec une certaine réalité du patrimoine mais aussi spirituelle d’une Église un peu morte. »

Deux partages, deux témoignages très différents que je voulais mettre en exergue ce dimanche où Jésus est révélé comme « le Saint de Dieu » par un esprit impur (Mc 1. 21-28). Selon les Écritures, seuls les êtres purement spirituels ont un accès direct à Dieu et à son projet. « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth, es-tu venu pour nous perdre ? » s’écrie le possédé de la synagogue de Capharnaüm. Cette voix venue d’ailleurs fait œuvre de révélation même si elle est dissonante. « Tais-toi ! » ordonne Jésus avec autorité avant de pratiquer un exorcisme. Imposer ce silence montre qu’il veut éviter la renommée, la confusion. Jésus n’est pas le seul à chasser des démons mais quand il le fait, c’est en communion avec le Père qui demeure en lui. « Je mettrai dans sa bouche mes paroles et il dira tout ce que je lui prescrirai » avait annoncé le Seigneur par la voix de Moïse (Dt 18.15-20).

Avec le recul, nous savons que Jésus est et sera plus qu’un porte-voix. Il incarne en lui-même la Parole de Dieu durant toute sa vie jusqu’au don de la croix. C’est bien par un homme, par un prophète unique que Dieu accomplit la révélation. Lui-même a intégré que son peuple, que l’humanité toute entière ne pouvait l’entendre et le rencontrer en direct dans le cadre de la Création. « Je ne veux plus entendre la voix du Seigneur mon Dieu, je ne veux plus voir cette grande flamme, je ne veux pas mourir ! » avait clamé le peuple lors de l’assemblée sur l’Horeb. « Ils ont bien fait de dire cela » confirme Dieu à Moïse en promettant d’envoyer le prophète par excellence.

Encore aujourd’hui, nous avons besoin de médiations et de médiateurs pour nous mettre en présence du Seigneur : l’Écriture, les sacrements et le prochain, les autres. Même si notre parcours terrestre est unique et différencié, il ne peut s’effectuer que dans la communion. Comment vivre et se trouver soi-même sans la présence et l’apport de l’autre ?

Il est nécessaire, je crois, de bien comprendre le propos de ce jour de Paul aux Corinthiens (1 Co 7.32-35). D’abord Paul ne se déclare pas inspiré mais amené à parler de son propre fond. Il conseille, mais avec sa personnalité, ses tripes, je dirais. Cela se sent : en homme entier, il a une approche entière. Il voudrait éviter les soucis du monde aux baptisés pour qu’ils ne soient pas divisés intérieurement et être à Dieu sans partage… devant l’imminence de l’avènement du Royaume. Dans la lecture de la Bible, il y a toujours le texte et le contexte.  Avec le retour imminent du Maître, il faut se donner tout entier à se préparer. Nous sommes dans un autre contexte -même si la durée de notre existence est relative et courte. Alors, à moins que la pandémie et les autres problèmes majeurs soient les prémices de la fin des temps… nous avons quand même un peu de temps devant nous ! Justement et si temps donné à durée inconnue était une occasion unique à saisir ? Mais que faire ? Quelle priorité ? N’est-ce pas en faisant de notre humanité l’occasion de devenir des saints ? Des « Saints de Dieu » ! « L’objet de ces prescriptions (de la foi chrétienne NDLR) n’est pas l’apatheia, la neutralisation des passions, mais leur réorientation dynamique vers la loi qui libère et la grâce qui sauve » dit Sébastien Lapaque.

Alors, que nous soyons mariés ou célibataires, je pense que nous avons à bien intégrer que nous sommes « consacrés » simplement du fait de notre baptême. Ce sacrement nous a faits tout entiers à Dieu… en potentiel. Mais tout le monde sait qu’une énergie potentielle ne sert à pas à grand-chose si elle ne devient dynamique. Pour prendre un domaine concret indiqué par Paul de Tarse, je touche un mot de la vie de couple. Déjà avant le confinement, bien sûr, des tensions conjugales étaient souvent perceptibles de-ci de-là. Mais l’isolement à la maison et l’agenda parfois vide n’ont rien changé ni amélioré. Or, quand on s’est engagé comme on dit « pour le meilleur et pour le pire », il s’agit de ne jamais oublier que c’est cette priorité qui œuvre à notre sainteté. Je dois bien constater, à l’écoute, que le meilleur pour l’un ne l’est pas toujours pour l’autre et inversement. Pourtant, la progression dans le dialogue au fil des événements est le fondement de la vie à deux. C’est une mini-Église qui se forme quand on s’engage dans le mariage et la grâce du sacrement présuppose la nature comme dirait saint Thomas d’Aquin. La fidélité au Christ et au conjoint passe nécessairement, me semble-t-il, par la recherche permanente de mieux communiquer, s’exprimer et s’écouter. Des couples qui prennent cette dimension à bras le corps peuvent ainsi traverser bien des difficultés – éviter le pire, parcourir un chemin riche, créer une histoire lumineuse ; ils peuvent ainsi témoigner envers les autres notamment les plus jeunes que c’est possible et beau même si cela n’est jamais facile !

Des couples, je glisse vers les célibataires contraints et forcés parce que tout humain est appelé à « être de parole ». C’est sans doute le premier respect que l’on se doit et que l’on doit à l’autre. Le passé (?) nous a enseigné que les communautés religieuses (pas seulement de femmes) pouvaient être de grands lieux de souffrance à l’égal des familles. Avec la circonstance aggravante d’être clairement identifiées « de Dieu ». Je ne m’attarde pas au-delà du fait d’insister sur cette dimension et de nous rappeler à tous et toutes que, par la création et l’incarnation, nous demeurons des êtres sexués jusqu’à l’heure de notre mort. Il y a donc toujours du pain sur la planche. Je pense avec d’autres, par exemple, que faire silence ou tabou de la sexualité des aînés est un problème de notre société. L’Église a peut-être là un rôle à jouer en mettant cet aspect en lumière. J’y reviendrai sans doute moi-même un jour…

En conclusion, je dirai que si le temps nous est donné, le premier des cadeaux est d’être un homme, une femme, un être humain avec son esprit, son cœur et son corps. Là est la condition de possibilité d’une belle aventure. L’évangile de Marc ne nous dit rien du vécu de l’homme libéré d’un esprit impur. Mais nul doute qu’il a dû se sentir léger, libre surtout, en découvrant que son mal, le pire, n’était pas une fatalité grâce à Dieu, grâce à Jésus. En tout cas, les assistants l’ont bien perçu : « Voilà un enseignement nouveau donné avec autorité ! ».

En ces jours où on peut avoir le temps long, ne nous serait-il pas profitable humainement et spirituellement d’utiliser ce qui nous est donné pour revenir à nos fondamentaux ? Pourquoi attendre le carême ? Pensons aux « aussitôt » de l’Évangile de Marc ; d’ailleurs, il y en a encore un ce dimanche !

« Tout concourt au bien de ceux qui aiment le Seigneur… en toutes chose, rendons grâce à Dieu » écrit par ailleurs saint Paul.

La louange, la prière de Jésus, les psaumes récités mais aussi le dialogue, l’action passionnée et passionnante, la relecture de son histoire sainte : voilà des pistes à prendre ou à reprendre pour nous « purifier », nous laisser toucher par la grâce en toute circonstance.

« Aujourd’hui, ne fermons pas notre cœur, mais écoutons la voix du Seigneur », antienne du psaume 94 de ce dimanche et de tous les jours. C’est tous les jours que l’Église s’éveille à la prière de Laudes par ce psaume. S’éveille dans tous les sens du mot ! Cette semaine qui s’ouvre nous est donnée. Pas seulement pour attendre des bonnes nouvelles sur la pandémie. La Bonne Nouvelle est déjà là : c’est Jésus lui-même qui, dans les moindres détails de nos vies, vient nous libérer et nous faire vivre. À peine arrivé à Capharnaüm, dès le sabbat, il a enseigné avec autorité, il a agi avec autorité. Pourquoi prendrait-il plus son temps aujourd’hui ? « L’amour n’attend pas. » Bonne et passionnante semaine.

Jean-Marc,
votre Curé

Note* : La Vie, 3934 (**p12-15 & *35-41)

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