Envoyés dans le monde
Une fois encore, la violence ensanglante la Terre Sainte. Une fois encore. Devant ce conflit rémanent entre Israël et Palestine, nous pouvons nous sentir fataliste. « Ah quoi bon, ils ne s’entendront jamais !? ». Ou bien nous pouvons nous radicaliser en prenant position pour l’un ou l’autre camp à coups d’arguments jugés décisifs. Mais comment juger d’une situation si complexe ? D’ailleurs, au sein d’une famille déchirée, il n’est jamais bon de prendre parti pour l’un ou l’autre clan ; cela fait rarement avancer les choses. Se placer au milieu est sans doute très inconfortable mais c’est la seule voie qui peut mener au dialogue dans l’écoute et la non-violence…
Cet exemple de l’actualité interroge notre rapport au monde. Pas le monde au sens johannique (cf. l’Évangile de ce dimanche) mais le monde comme création, comme espace de vie voulu par Dieu pour toutes ses créatures dont l’humanité. Déjà, faisons l’expérience de voir si nous sommes encore régulièrement touchés par un fait d’actualité ? Eh oui, nous sommes abreuvés d’informations et de polémiques de toutes sortes, entrecoupées des incontournables pubs. Ceci crée un arrière-fond à notre réel qui nous fait nous sentir très bien dans notre zone de confort. Alors pourquoi sortir de cette bulle pour s’intéresser à des misères qui nous dépassent ?
« Père, je ne te prie pas pour que tu les retires du monde mais pour que tu les gardes du Mauvais » (Jn 17.11b-19). En ce septième dimanche de Pâques, Jésus nous entraîne à demeurer dans sa prière après nous avoir livré son testament spirituel dans les semaines précédentes. Jésus en s’adressant au Père le fait de manière inclusive. Cela correspond au mystère d’unité qu’il vit et partage avec le Seigneur. Cette communion ne saurait être exclusive puisqu’elle est faite d’amour véritable. Les disciples authentiques ne peuvent qu’être joyeux de voir leur Maître retourner auprès de Celui qui l’attend pour son accomplissement éternel. « Maintenant que je viens à toi, je parle ainsi dans le monde, pour qu’ils aient en eux ma joie et qu’ils en soient comblés ». Cette joie n’est pas une simple émotion : elle est un don de Jésus, une communion avec lui ! Ceci me paraît important à appréhender en ce jour qui peut nous paraître un peu vide. Nous venons de célébrer l’Ascension, le départ effectif de Jésus, et nous ne sommes pas encore dans la mémoire de la Pentecôte. Si la nature a horreur du vide, en termes spirituels, le vide est bon car ils nous décentre de nous-mêmes, nous rend plus disponibles à Dieu et permet à Celui-ci d’agir en respectant notre liberté si nos désirs les plus profonds nous tournent essentiellement vers lui. Jésus présent nous a gardé et a veillé sur nous. Bientôt, l’ami, le guide, le paraclet nous sera donné à nouveau. Dans l’entre-deux, nous avons à faire de nos cœurs et de nos vies un Cénacle, lieu de communion et d’attente…. Au cours de la pandémie que nous vivons, comme en d’autres temps longs d’épreuves, des psychologues conseillent de visualiser, chaque jour, pendant une dizaine de minutes, un futur proche et agréable. « Ces pratiques permettent de redonner l’envie, d’ouvrir des possibles » dit le professeur Lejoyeux. Et si d’ici la Pentecôte, vous et moi, nous nous donnions chaque jour un quart d’heure pour nous laisser habiter par la joie du Seigneur Jésus ? Pour imaginer notre avenir proche avec Lui dans l’Esprit ?
« Voici comment nous reconnaissons que nous demeurons en lui et lui en nous, écrit Saint Jean, il nous a donné part à son Esprit » (1Jn 4.11-16). Nous ne sommes pas dans une relation désincarnée ou une spiritualité de développement personnel. Jean rappelle que c’est l’amour fraternel réciproque qui nous ouvre à la présence de Dieu. « Dieu, personne ne l’a jamais vu. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et en nous, son amour atteint sa perfection. » Vous comprenez pourquoi notre rapport à autrui et au monde est si important. C’est la condition de notre accomplissement en Dieu et en son amour ! C’est bel et bien l’héritage que Jésus nous léguait la semaine dernière dans son « commandement d’ami » : « Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés ». Aimer son prochain et avoir part à l’Esprit nous amène à recevoir trois grâces qui nous sont insufflées ! Attester que Jésus est bien l’envoyé du Père pour sauver le monde, le confesser comme Fils de Dieu et croire tout en reconnaissant l’amour de Dieu (v. 14-16 de notre seconde lecture).
Aujourd’hui et demain, comme hier, nous sommes l’Église. Nous ne pouvons être disciples sans elle. Pour nous, elle est la médiatrice des dons de Jésus : sa parole, son Eucharistie et sa propre mère Marie, donnée à la Croix. Toutefois ces dons même ne sont rien sans l’aide, la présence de Dieu lui-même dans le don intime et ultime de l’Esprit, Souffle Saint, force de vie. Ce n’est pas un hasard si, selon Saint Jean, Jésus souffle sur les disciples dès le premier soir de Pâques, celui de la résurrection. Reconnaissons que nous apportons à l’Église nos faiblesses et parfois nos compromissions avec le Mauvais. Mais l’Église vacille dans son unité, sa sainteté et sa catholicité quand les disciples que nous sommes délaissons l’Esprit par indifférence ou par orgueil. A cela peuvent s’ajouter la surdité à la Parole, l’infidélité à l’Eucharistie voire l’abandon de Marie !
Heureusement, grâce à Dieu, nous pouvons être de la même veine que les disciples et apôtres au commencement de l’aventure ! « Ils n’appartiennent pas au monde de même que moi, je n’appartiens pas au monde. Sanctifie-les dans la vérité : ta parole est vérité. » Il suffit de remettre notre volonté et nos talents au Christ. Il s’agit de laisser l’Esprit consolateur toucher nos blessures et bannir nos peurs. L’Esprit de vérité nous conduira aussi à nous réconcilier avec Dieu, avec notre prochain, avec notre histoire, avec la vie parfois… Après son expérience des camps de concentration, Élie Wiesel écrit : « Il faut croire en les hommes malgré les hommes ». Malgré l’horreur venant d’un monde dévoyé par le Mauvais, des victimes se tournent vers l’espérance. La tradition juive se fonde sur la loi du respect. Et nous, où sont nos fondements ? Dans des idées, des concepts, des rites et des habitudes … ou en Quelqu’un ? Mère Teresa répondait à un journaliste : « Ce qu’il faut changer dans l’Église ? c’est vous et moi ! »
Notre présent et notre avenir en Église passent par notre nécessaire conversion. Elle est un chemin. Aujourd’hui, Jésus veut nous convertir à sa joie. Oserons-nous faire ce pas ? Pour nous préparer au don de l’Esprit ? Car le monde a besoin de la lumière de l’Évangile. Nous avons à être comme les vierges sages de la parabole, celles qui ont pris de l’huile en suffisance pour tenir leur lampe allumée jusqu’à l’arrivée de l’époux.
Paul Valadier, s.j., écrit : « L’espérance, aucun de nous ne se la donne ; elle ne relève pas du sentiment, de l’émotion, du désir humain de réussir. Nous la recevons d’une communauté de croyants, donc d’une Église qui nous fait part de ce qu’elle a elle-même reçu et que nous accueillons comme une parole bénéfique et vivante ». En fait, en Église, tout se reçoit et se partage. C’est normal si elle est lieu authentique de l’Évangile. L’Église, elle-même, n’est Église que lorsque, avec humilité et amour, elle se tourne vers Dieu pour se recevoir de lui ! Dans quelques jours, nous fêterons la naissance de l’Église par le don de l’Esprit. Que nous soyons de grandes ou de petites pierres de l’édifice, n’acceptons pas d’être des objets de patrimoine mais des pierres vivantes ! Ainsi, s’accompliront les Écritures. Ainsi, s’accomplira la prière de Jésus ! « De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux, je me sanctifie moi-même afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité ».
Jean-Marc,
votre curé
+ Addenda : les manifestations en soutien au peuple palestinien et surtout les prises de position simplistes relayées dans les médias me conduisent à donner quelques précisions sans prétendre à avoir une solution toute faite. Le sionisme tant décrié aujourd’hui parce qu’on le fait synonyme d’occupation et d’oppression trouve en fait ses racines au XVIIIème siècle où commence à émerger l’idée d’état-nation ; en résumé à chaque peuple son identité et son territoire. Pendant plus d’un siècle (XIX et début du XXème siècle) les penseurs juifs ont voulu trouver une solution à la discrimination dont les juifs de la diaspora étaient victimes, surtout en Europe (pogroms). Théodore Herzel a même proposé l’inclusion des Juifs dans l’Église catholique pour leur fournir une identité stable et protectrice. Il s’est heurté au « non possumus » de Léon XIII. C’est alors qu’il a commencé à militer pour un territoire où les Juifs pourraient être chez eux (Congrès de Berne). Lors de la guerre de 14-18, la déclaration de Lord Balfour a donné l’espoir que ce territoire pourrait se trouver au Levant alors que beaucoup de sionistes étaient prêts à accepter un autre lieu (en Afrique par exemple, dans l’Ouganda actuel). En fait ce sont les Anglais qui ont une responsabilité majeure dans le brouillage des cartes. D’un côté, ils ont soutenu l’idée d’un retour des Juifs en Palestine (Cisjordanie ou Israël actuel) pour limiter les prétentions arabes et de l’autre, dépositaires d’un mandat international sur la Palestine/Jordanie, ils ont laissé se créer le royaume de Jordanie. Au départ, ils soutenaient les Hachémites qui régnaient sur les lieux saints de l’Islam (La Mecque, Médine) dans la péninsule arabique (Hadj). Il faut dire que le Cherif Hussein, fondateur de la dynastie hachémite avait la légitimité de descendant direct du prophète. Toutefois, piètre politique, ses exigences ont été la source d’un lâchage de la puissance britannique au profit d’Ibn Saoud, prince des tribus du désert arabique. Les Hachémites se sont repliés sur la région du Golfe d’Akaba. Profitant de la déliquescence de l’Empire ottoman, le prince Fayçal, fils d’Hussein, a pris la tête de la révolte de tribus arabes nomades et a fondé le royaume de Jordanie avec le soutien des Anglais (cf. le film Laurence d’Arabie) ce qui montre que dans le jeu au Proche-Orient sont présent les nomades bédouins, les grands oubliés de l’heure actuelle… Du côté juif, ont émergé durant la période d’entre-deux guerres, des penseurs sionistes plus radicaux comme Jacob Jabotinski qui ont voulu un état juif sur l’ensemble de la Cisjordanie (Israël actuel). De cette époque date la théorie du « mur de fer » qui exclut les Arabes palestiniens de ce territoire limité par la mer et le Jourdain. Cette référence demeure prégnante jusque chez les politiques israéliens actuels qu’ils soient de gauche ou de droite (Cf. Ehud Barak ou Ariel Sharon). Pour eux, les Palestiniens n’ont rien à faire dans l’état d’Israël actuel puis qu’ils disposent d’un état : la Jordanie. Ce qui est faut : la Jordanie avec sa monarchie hachémite est un état bédouin où les Palestiniens n’ont d’autre statut que celui de réfugiés. Personnellement, j’en suis donc à penser que toute solution ne peut passer que par la reconnaissance des trois parties : Juifs, Palestiniens et Bédouins. Autre pièce à verser au dossier, Eretz Israël, la terre promise des Juifs ne peut trouver dans la Bible des limites bien définies. L’histoire biblique montre une évolution constante de ce territoire. Le royaume de Dan (frontière du Liban) à Beersheba (Néguev) est une fiction basée sur le territoire où le roi David est supposé avoir régné. Les historiens sérieux supposent que celui-ci était en fait un vassal du royaume de Samarie. Cette piste pourrait amener l’État d’Israël à revoir à terme ses prétentions. Même à l’époque de Jésus, la Galilée était un territoire juif de fraîche date d’où ses démêlés avec les Juifs de Jérusalem… De leur côté, je pense que les Palestiniens commettent une erreur en se voyant comme les descendants des Philistins. Philistins, issus des peuples de la mer d’origine grecque (sans doute) qui ont envahi la région à l’époque de Ramsès III. L’archéologie tend à montrer qu’ils sont bien des sémites comme les Juifs qui ont forgés une identité spécifique en s’isolant dans les montagnes et déserts face à cet envahisseur…. Ceci est donc bien une histoire de famille, pour moi.
Tout ceci pour éveiller au fait qu’il n’y a pas de solution toute faite au Proche-Orient. L’avenir est sans doute dans une réflexion sur l’identité d’un peuple sans faire d’absolu sur un territoire donné.
Je termine : pour moi, reconnaître le sionisme dans ses fondements induit de facto que le peuple palestinien a droit à un territoire et un état digne de ce nom selon le principe du droit des peuples à l’autodétermination. Ce qui vaut pour l’un vaut pour les autres… Juifs, Arabes Palestiniens et Bédouins…. A méditer.
Excellente réflexion sur la situation actuelle Israël/Palestine – merci beaucoup