Une table ouverte à tous
Ce dimanche, nous serons peut-être un peu surpris d’être plongé par l’Évangile (Mc 14.12-26) dans la Dernière Scène, à l’entrée dans la Passion ! Nous qui venons de sortir du temps pascal ! Cependant, cette année, la fête du Corps et du Sang du Christ arrive à point nommé. Le déconfinement s’amorce et nous y avons sans doute pris des habitudes. Habitudes qui enlèvent de fait beaucoup de force symbolique au mystère que nous célébrons dans l’eucharistie. Par exemple, certains ayant fait valoir la constitution concernant la liberté de culte, nous nous sommes trouvés depuis octobre à pouvoir nous retrouver à 15 personnes. Limitation souvent garantie par des inscriptions. Or l’eucharistie n’est-elle pas par nature une table ouverte à tous ? Je ne m’étendrais pas ici sur les mesures sanitaires qui risquent de nous accompagner encore un temps néanmoins rien qu’avec le port du masque et les distances imposées, ne transforment-elles pas nos assemblées en groupe informe alors que nous sommes là pour être peuple de Dieu rassemblé par son Seigneur ?
« En ces jours-là, Moïse vint rapporter au peuple toutes les paroles du Seigneur et toutes ses ordonnances. Tout le peuple répondit d’une seule voix : toutes ces paroles que le Seigneur a dites, nous les mettrons en pratique… » (Ex 24.3-8). Moïse prend ici, selon les Écritures, le rôle du scribe qui vient transmettre les ordonnances de Dieu, souverain dans l’initiative de faire alliance. Dieu souverain qui s’est déjà manifesté comme le Dieu des Vivants, le Dieu qui sauve et qui libère.
Dans l’Évangile, l’attitude de Jésus est souveraine. Ce ne sont pas les événements qui s’imposent à lui mais lui qui habite les événements. La scène de l’envoi des deux disciples envoyés pour les préparatifs le montre bien. Elle fait suite à une scène similaire d’envoi pour quérir l’ânon de l’entrée messianique… Toutefois, Jésus est plus qu’un intermédiaire. Il est celui qui a l’initiative du don de sa personne. « Ma vie, nul ne me la prend, je la donne de moi-même » (Jn 10.18). Jésus incarne le Seigneur qui agit en premier pour accomplir le don parfait. L’auteur de la Lettre aux Hébreux ne s’y trompe pas : « Par la tente plus grande et plus parfaite, celle qui n’est pas œuvre de mains humaines et n’appartient pas à cette création, il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire, en répandant, …, mais son propre sang » (He 9.11-15).
Auteur, acteur plus qu’intermédiaire, le Christ se présente comme le médiateur par excellence. Sa communion parfaite avec le Père le place en initiateur divin et répondant humain selon le projet de Dieu. La première lecture nous a rappelé que par l’élection d’Israël, commence le dévoilement d’un projet d’alliance ouvert à toute l’humanité. Le Christ Jésus est le médiateur car il est aussi le grand Prêtre et la victime. Unique et ultime. Si le grand prêtre d’Israël entrait une fois par an dans le Saint des Saints (fête du Kippour, fête du grand Pardon) pour obtenir la rémission des péchés de l’année écoulée, ici, en Jésus, tous les sacrifices de réconciliation sont accomplis et donc abolis. « Ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna et ils en burent tous. Et il leur dit : Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. »
Notre eucharistie, enfin celle de l’Église, sacrement du Christ, fait mémoire de ce don unique. Malgré nos incompréhensions, nos doutes ou nos mauvaises habitudes. Le Christ n’est pas dupe, il fait avec. Comme il l’a fait le dernier soir, à la Scène. Le récit de l’institution est encadré des deux « Amen, amen, je vous le dis ». Le premier introduit l’annonce de la trahison de Judas et le second celle du reniement de Pierre. Si le Christ a toujours l’initiative de nous rejoindre dans nos Galilées d’aujourd’hui, il n’en demeure pas moins lucide et décidé. En un temps, de lâches, de traîtres et de renégats, il a fait des disciples. Il continue à faire de même aujourd’hui pour demain. L’Église tient encore à ce que la dignité et la vérité de l’eucharistie ne dépendent pas de la dignité du peuple, célébrant compris ! Heureusement !
Néanmoins, cela ne nous dédouane sûrement pas de venir et d’être n’importe comment à l’eucharistie ! Notre attachement au Seigneur passe par une opération vérité. Le Kyrie nous dispose à faire examen de conscience, à recevoir le pardon toujours disponible et à réparer les dégâts si nécessaire. L’opération vérité implique aussi une intelligence de la foi. Intelligence qui se cultive pendant l’eucharistie et en dehors. Écouter une homélie en regardant le plafond ou ses pieds est un peu court. Encore, l’opération vérité implique de passer aux actes d’espérance et de charité un fois l’envoi accompli et la bénédiction reçue. A l’Eucharistie, nous sommes venus nous nourrir pour la route ! La Parole, le Corps et le Sang du Christ sont dons de vie, don de vie divine, don de vie humaine à partager. Si le Christ ne boit plus de fruit de la vigne et que nous pouvons toujours en boire, c’est qu’il nous a passé le relais. En faisant corps avec lui, nous devenons corps vivant pour le monde et pour la gloire de Dieu (Prière Eucharistique II). L’Église regarde vers l’au-delà mais garde les pieds bien sur terre.
Les communautés monastiques nous le signifient particulièrement en célébrant l’eucharistie chaque jour tout en travaillant en vue du Royaume sans profit. En ajoutant une vie communautaire concrète et régulée… Cet exemple classique me fait penser à l’excellent propos de François Cassingena-Trévedy, osb, publié sur ce blog le 01 juin 2020. Moine de Ligugé, il invitait même les communautés monastiques à être moins systématique sur des messes quotidiennes pour « aller de la messe vers l’eucharistie ». Je vous invite à lire ou relire – comme je viens de le faire – cet article qui est et demeure d’actualité. Ce frère bénédictin rejoint mon souci pastoral ainsi que mon être chrétien.
Dans ma vocation même, je ne me suis jamais senti appelé à dire des messes mais à célébrer l’eucharistie. Ou à tendre vers cette belle célébration. De Dieu et de la vie ! Dans les faits, mes propres fatigues, désillusions voire lâchetés me conduisent trop souvent à collaborer à un système institutionnalisé et à une demande religieuse sans âme évangélique. Je le sais, je le fais mais toujours je me vois m’éloigner du Christ Jésus et de son évangile qui demeure cependant, grâce à Dieu, ma passion ! Je le confesse. Mais toujours, la Parole me rejoint, me déstabilise et me redonne le cap comme une boussole. Et vous ?
Ensemble, en cette fête de l’eucharistie, Corps et Sang du Seigneur, essayons de moins aller la messe que nous laisser rejoindre par Quelqu’un qui donne tout pour nous. « Tu m’as donné un corps et une âme mais tu ne voulais ni offrande ni sacrifice. Alors j’ai dit : Me voici, je viens ! » (He 10.5/ Ps 40/Ps 50). Bonne et sainte Fête avec le Christ Jésus !
Jean-Marc,
votre Curé.
Un commentaire sur « La chronique de notre Curé du 6 juin 2021 »