Bonne et grande nouvelle
Bonne et grande nouvelle : « Il guérit les cœurs brisés et soigne leurs blessures » (Ps 146). Il est dès lors juste et bon de le louer. « Il est bon de fêter notre Dieu. Il est beau de chanter sa louange. » Au moins, celles et ceux qui ont fait une expérience charismatique de la prière savent que la louange libère en toute circonstance même les plus pénibles. Oser la louange, c’est faire de notre vie, une liturgie, une eucharistie. Chaque messe, chaque célébration ne commence-t-elle pas par un chant ? C’est pour nous rassembler, dit-on. Oui, mais ce rassemblement est déjà une réponse à l’appel de quelqu’un qui nous aime et ne nous veut que du bien. D’ailleurs le Gloria arrive très vite dans la liturgie pour nous recentrer sur Celui qui est le Seigneur !
Les Écritures de ce dimanche nous montrent combien Dieu en Jésus déteste le mal et aime les blessés et les malades de la vie. Dans l’Évangile de Marc (1. 29-39), Jésus qui enseignait avec autorité à la synagogue ne cesse de bouger et d’agir pour le bien, la santé de ceux qu’on lui amène ou qu’il veut rencontrer. Dès le soir venu, la fin du sabbat, il guérit et exorcise à tour de bras. Le lendemain, le dimanche, après une longue prière, il met en route. « Allons ailleurs, dans les villages voisins, pour que là aussi je proclame la bonne nouvelle… »
Nous retrouvons la même ardeur, le même feu chez Paul (1Co 9. 16-23). « Annoncer l’Évangile… C’est une nécessité qui s’impose à moi. » L’apôtre ne dit pas d’où vient cette nécessité mais il précise qu’il a reçu une mission. En fait, il a fait l’expérience du « feu qui brûle et qui ne consume pas » (expérience de Damas). Le feu de Dieu nous réchauffe et nous met en mouvement. L’Évangile ne conduit pas dans un paradis artificiel. L’Église, qui est à son service, ne saurait être une serre chaude. Elle est comme un hôpital de campagne pour reprendre l’image de François. Un hôpital de campagne n’est jamais loin du front et il déploie des efforts pour aller chercher les blessés et les estropiés… Un hôpital de campagne répond à l’urgence et est aussi généraliste… Dans un hôpital de campagne, même les traumatisés des combats sont accueillis.
En ce début d’année, dans une gestion bien compliquée de la crise, de plus en plus de voix s’élèvent pour la prise en compte du mental, de l’impact psychologique de la pandémie sur bien des personnes. De fait, si les vaccins vont nous permettre de revenir à terme à une vie à peu près normale en ayant consenti de grands efforts pour notre sauvegarde physique, il y a gros à parier que de nombreuses séquelles de « l’âme et de l’esprit » seront mises en lumière. Elles sont déjà là et s’ajoutent aux drames économiques qui frappent bon nombre de nos contemporains.
Le Livre de Job (7. 1-7) peut, je pense, nous donner des clés pour entrer en empathie et compassion avec nos prochains en difficulté. Souvenons-nous que Job était bien nanti. Grande famille, bonne santé, aisance sociale et voilà que tout cela disparaît l’une après l’autre. « Vraiment la vie de l’homme sur la terre est une corvée. Il fait des journées de manœuvre. » Ceci n’est pas une pure réflexion philosophique ; il s’agit d’un retour sur soi d’un riche qui a tout perdu ! « Comme l’esclave qui désire un peu d’ombre, comme le manœuvre qui attend sa paye. » Sa comparaison n’en est que plus saisissante. Dans sa déchéance, Job appréhende dans le concret ce que bien de ses serviteurs et de ses contemporains vivaient dans l’ordinaire. Ici, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. La souffrance est et reste un mal. Comme Dieu, nous avons à la combattre par tous les moyens. Heureusement, il ne faut pas nécessairement passer par ce mal pour être bon et compatissant : regardons bien l’exemple de Jésus. Toutefois, ce drame qui s’impose peut être l’occasion d’une renaissance s’il est assumé et traversé avec le Seigneur. Job est au début de ce chemin : « Souviens-toi, Seigneur : ma vie n’est qu’un souffle, mes yeux ne verront plus le bonheur ». Job est dans la désespérance alors qu’il intègre la fragilité et la brièveté inhérentes à la condition humaine. « Mes jours sont plus rapides que la navette du tisserand, ils s’achèvent faute de fil. » Mais nous savons qu’il fera preuve de résilience. Les dialogues avec ses amis ne vont pas l’enfermer dans des explications rationnelles ou culpabilisantes.
Chemin intérieur faisant, Job va creuser sa confiance, sa foi dans le Seigneur. Lui, le juste, grandit encore devant le mal qui le frappe injustement. Voir Jb 31. 24 et suivants. « Si j’ai placé dans l’or ma confiance, si j’ai dit au métal fin ‘tu es ma sécurité’, si j’ai tiré joie de l’abondance de mes biens, (…) si en voyant la lumière et la lune s’avancer radieuse, mon cœur s’est laissé séduire en secret… cela… aurait été un forfait que punit mon juge. » En fait, Job réalise que le bonheur ne l’a pas éloigné de Dieu et qu’à lui seul, il a rendu adoration. « Mes hôtes même n’ont-ils pas dit : qui n’a-t-il pas rassasié de viande ? L’étranger ne passait pas la nuit dehors : j’ouvrais mes portes au voyageur. » Le bonheur n’a pas refermé Job sur lui-même, il est demeuré accueillant et hospitalier envers son prochain. Bien plus, sa vie intérieure, il l’a toujours déployée en vérité devant le Seigneur. « Ai-je comme Adam dissimulé mes révoltes, caché dans mon sein ma faute ? » Non, Job est un juste frappé de manière injuste. « Ma conscience ne me reproche aucun de mes jours » (Jb 27.6a). Personnage fictif, il représente beaucoup d’êtres humains bons et justes. Héros biblique, il préfigure bien sûr le Christ Jésus, l’homme sans péché. Job : « Je sais que tu peux tout et qu’aucun projet n’échappe à tes prises. Qui est celui qui dénigre la Providence sans rien y connaître ? Eh oui ! J’ai abordé sans le savoir des mystères qui me confondent… Je ne te connaissais que par ouï-dire, maintenant mes yeux t’ont vu. Aussi j’ai horreur de moi et me désavoue sur la poussière et sur la cendre » (Jb 42. 2 & svts). Job, sans bien connaître Dieu, par le deuil d’une certaine manière de voir la vie, grandit comme croyant. Il est passé par la dépression, la révolte, il arrive en terre d’humilité et de sainte humanité. Dans l’histoire, Dieu lui rendra dès cette vie ses biens : il reçoit bénédiction sur bénédiction. « Lui qui était en intercession pour son prochain » reçoit en plus la compassion et le soutien de ses proches… et non plus les « bons conseils de ses amis » ! (Job 42, 10 & svts). Le Livre de Job parcouru, ou mieux, médité en ces jours nous détournera sûrement des plaintes et des râleries de notre société riche. Il nous rendra plus attentif à la justice : écouter avec empathie, faire hospitalité avec gratuité, poser des gestes simples et solidaires, tenir notre langue et parler à bon escient. Bref, dans un contexte très difficile, nous recentrer sur nos capacités à être justes et bons. Justes et bons, sans être naïfs, comme Jésus. Que notre seule adoration aille à Dieu et pas aux choses qui passent. Ceci n’exclut pas la tendresse et la bienveillance envers nos proches que du contraire.
Cependant, il est encore à noter que l’Écriture nous parle « d’ailleurs ». Jésus a quitté Nazareth, il a séjourné à Capharnaüm puis va vers d’autres villages. Il repassera « d’ailleurs » à Capharnaüm ; il fera de Béthanie son havre de paix… Alors il ne s’agit pas d’aller revendiquer auprès des autorités de pouvoir faire des voyages essentiels pour aller « ailleurs ». Cet ailleurs du Christ est déjà là : c’est le chemin lui-même. Ce chemin de nos vies avec Jésus qui passe par des hauts et des bas, des fatigues et des joies. Tous, nous sommes d’ici et c’est bien. Seulement « nul n’est prophète en son pays ». Surtout si sa foi fait partie des meubles ou d’un jardin tellement secret que nul ne saurait en supposer l’existence… Vous l’aurez remarqué : encore un grand silence sur les cultes lors du dernier Codeco. La plupart de nos politiciens ont choisi de renvoyer la religion dans la sphère du privé. Même ceux qui la considèrent comme essentielle se font très discrets. À cela s’ajoute une opposition et un déni plus ou moins larvé. Je lisais, dans un journal, l’analyse d’un sociologue qui déclare que les religions n’ont pas ou plus le monopole du sens. L’homme d’aujourd’hui peut légitiment se tourner vers une spiritualité plus ou moins transcendante : une religion, la culture, … le sport et pourquoi pas son coiffeur ? Là j’en rajoute. Néanmoins, je viens de parler d’opposition. Il y a un travail de sape de la part de certains milieux, ne soyons pas naïfs. Mais objectivement, ne nous cachons pas que beaucoup de nos contemporains, donc de nos proches, « vivent très bien sans Dieu ». Ceci n’est pas un jugement mais un constat. Toutefois, nous pourrions espérer que plus de la moitié de Belges qui se disent encore chrétiens, dont il n’y a pas de raison de douter qu’ils soient justes et bons, fassent un bout de chemin comme Job à l’occasion de la triste situation que s’impose à nous tous. De nouveau, il ne s’agit pas de juger ni même d’aller les secouer. C’est en montrant que nous-mêmes sommes « d’ailleurs » et toujours en chemin grâce « au feu qui brûle et ne consume pas » que nous pourrons les interpeller. C’est encore en les rejoignant dans leurs souffrances et aussi dans leurs engagements que nous serons le mieux fidèles au Christ Jésus.
Comme la belle-mère de Simon, notre société a la fièvre, elle est quelque part alitée. Que faire pour qu’elle se relève, se mette au service de tous ? Agir à l’instar de Jésus avec liberté et autorité en étant « d’ailleurs ». C’est-à-dire des êtres humains confiants et reconnaissants, guéris et donc guérissants, apaisés et donc apaisants.
Jean-Marc,
votre Curé