La chronique de notre Curé du 14 mars 2021

Les merveilles de Dieu

Ne dit-on pas que le regard est le reflet de l’âme ? Quand nous sommes au mieux, nos yeux brillent et se posent sur la réalité pour la contempler et s’en émerveiller : une personne, une œuvre d’art, un travail accompli, un beau paysage. Que l’épreuve arrive et nous ne savons plus trop où regarder… vers quelqu’un pour avoir de l’aide ou de la consolation ? Vers l’avenir : est-il encore possible ? Vers le sol, sous le poids de la fatigue, du désespoir ? Un regard baissé peut aussi être un signe de honte devant un mal accompli. Rien de pire que le regard faux et fuyant de ceux qui s’obstinent dans leurs erreurs. Ne dit-on pas alors qu’ils sont aveugles ?

Dans la nature, s’il y a bien un animal qui avance à l’aveuglette, c’est le serpent. Doté d’une mauvaise vue, il avance à tâtons. Sa langue hyper sensible est le suppléant de son odorat. Son corps de rampant est fait pour le tout-terrain : il peut traverser des rochers comme des sables brûlants si pas nager quand c’est nécessaire. Cet animal, s’il ne nous est pas spontanément sympathique est un exemple formidable d’adaptation et de résistance. Ce n’est pas un hasard si bien des cultures l’ont pris comme symbole. Le cobra femelle était présent sur la coiffe des pharaons en signe de protection et de force intérieure : il représente le troisième œil qui nous aide devant l’adversité. A Epidaure, sanctuaire grec du dieu guérisseur Asclépios, les serpents abondaient et étaient vecteurs de la puissance du thérapeute… D’où le caducée qui représente encore aujourd’hui médecins et pharmaciens. Dans la Bible, nous connaissons bien la figure du tentateur (Gn 3,1) mais que tirons-nous de la scène de l’Exode où le bâton d’Aaron transformé en serpent engloutit ceux des mages de Pharaon (Ex 7.8-13) ? Avec simplisme, nous voyons un miracle ou un signe de supériorité d’une religion sur une autre et puis après… Nous omettons que l’enjeu est l’accueil d’une force de vie et de libération qui vient de Dieu. De même que le cobra se nourrit d’autres serpents, le Seigneur combat contre le mal pour ses fidèles ! Dans l’Écriture, Pharaon ne se convertit pas : « Cependant, le cœur de Pharaon resta endurci : il n’écouta pas… ». Ce qui est à l’opposé de ce que Moïse a fait plus tôt ! Au chapitre 4 de l’Exode, devant les doutes de Moïse, le Seigneur le pousse à la confiance et à l’action. « Qu’as-tu à la main ? », lui dit le Seigneur. « Un bâton » dit Moïse.« Jette-le à terre !» Il le jeta à terre : le bâton devint un serpent et Moïse s’enfuit devant lui. Le Seigneur dit à Moïse : « Étends la main et prends-le par la queue !» Il étendit la main et le saisit : le serpent redevint alors bâton dans sa main. « C’est afin qu’ils croient que le Seigneur ton dieu s’est fait voir de toi, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac et Dieu de Jacob. » A sa manière, Moïse a fait l’expérience de la résilience dans la foi.

Dans l’Évangile de Jean, le dialogue entre Jésus et Nicodème tourne court. Malgré sa connaissance de la tradition d’Israël, de l’action salvatrice de Dieu envers son peuple, ce dernier s’enferme dans des raisonnements empreints de matérialisme borné (Jn 3.1 & svts). « Comment un homme pourrait-il naître s’il est vieux ? Pourrait-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mère et naître ? … comment cela peut-il se faire ?» En fait, Nicodème a le « bâton du salut » à portée de main et ne peut le saisir. Jésus : « Tu es maître en Israël et tu n’as pas la connaissance de ces choses ! » Jésus constate que Nicodème est aveuglé : son troisième œil ne fonctionne pas, son sixième sens se tait en cette rencontre. Pourtant Jésus l’invite à porter son regard dans la bonne direction. « De même que Moïse a élevé le serpent au désert, il faut que le Fils de l’Homme soit élevé afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle. Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. » Au livre des Nombres (21, 4-9), la multiplication des serpents qui blessent ou qui tuent symbolisent bien le mal qui existe à profusion. Il y a le mal malheur : celui qui nous tombe dessus. Il y a la violence de celui dont nous sommes auteurs et responsables. Dans cet épisode, Dieu, guérit du mal, par le regard des victimes qui peut se poser sur un serpent de bronze élevé par Moïse. Si du mal peut sortir un bien, à fortiori, si nous choisissons Dieu comme perche de salut, nous sommes en de bonnes mains. Le psaume 136 n’est pas le chant de la nostalgie du pays en terre d’exil ; il est celui de la violence qui se transforme en prière ! Violence des bourreaux : « C’est là que nos vainqueurs nous demandèrent des chansons et nos bourreaux des airs joyeux »Si l’exil à Babylone ne nous dit rien, souvenons-nous des images d’actualité ou des films sur la Shoah où des orchestres symphoniques de déportés jouaient pour leurs compagnons de misère ! Violence des victimes : l’Écriture ne nous prive pas des versets 8 et 9 comme la liturgie ! « Ô Babylone misérable, heureux qui te revaudra les maux que tu nous valus, heureux qui saisira tes enfants pour les briser sur le roc !» Dans la souffrance, l’humanité blessée ne fait pas dans le détail.

Heureusement les disciples du Christ savent que la violence peut se faire prière à cause du Seigneur lui-même. « Frères, Dieu est riche en miséricorde : à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions morts par suite de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ… il a voulu montrer au long des âges futurs, la richesse surabondante de sa grâce, par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus. C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés et par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas des actes : personne ne peut en tirer orgueil. » Les héritiers de Paul nous transmettent aujourd’hui son message, bonne nouvelle comme pour les Éphésiens (Ep 2.4-10). Tant d’autres avant nous ont fait cette expérience du salut par le regard et l’attachement indéfectible au Christ vivant. Dans les situations extrêmes de notre temps, la foi sauve. Ouvrons-nos oreilles et nos yeux aux témoignages. La visite historique du pape en Irak est un exemple parmi d’autres : elle ouvre une espérance d’un avenir possible dans un pays déchiré, meurtri et encore en proie à des défis comme la corruption ou les guerres d’influence. En recevant le pape François, l’ayatollah Sistani a marqué son indépendance par rapport à l’Iran et montré un signe de sagesse ! … Regardons autour de nous, tous ceux et celles qui « tiennent » par la foi. C’est d’ailleurs peut-être notre cas.

Bien plus, rien que par la prière nous pouvons nous associer à la force de guérison et à l’œuvre de salut du Seigneur… « La prière est le sacrifice spirituel qui a supprimé les anciens sacrifices » déclare Tertullien. « En priant dans l’Esprit, c’est par l’Esprit que nous offrons en sacrifice la prière, victime qui revient à Dieu, qui lui plaît, qu’il a recherchée, qu’il s’est destinée. C’est elle, offerte de tout cœur, nourrie de la foi, guérie par la vérité, gardée parfaite par l’innocence, purifiée par la chasteté, couronnée par l’amour, c’est elle, la prière que nous devons conduire jusqu’à l’autel de Dieu… Elle n’écarte aucune souffrance par un bienfait particulier : elle forme par la patience ceux qui pâtissent, ceux qui souffrent et qui s’affligent, elle développe la grâce par son efficacité… La prière seule triomphe de Dieu mais le Christ n’a pas voulu qu’elle produise aucun mal, toute la vertu qu’il lui a conférée est pour le bien. » Ainsi la simple prière nous associe à la volonté et à l’action du Christ. Nous ne serons jamais assez présents dans la prière qu’elle soit adoration, louange, chapelet ou autre. Cependant, laissons-nous conduire par l’Esprit qui nous conduit et nous donne de prendre part à la communion de tous les êtres vivants. Tertullien encore : « Les anges prient, toutes les créatures prient ; les bêtes domestiques et les bêtes sauvages fléchissent les genoux. Et lorsqu’elles sortent de leurs étables ou de leurs repaires, elles regardent vers le ciel, non sans motif, en faisant frémir leur souffle, chacun à sa manière. Quant aux oiseaux, lorsqu’ils se lèvent, ils se dirigent vers le ciel et ils étendent leurs ailes, comme nous étendons les mains, en forme de croix, et ils font entendre ce qui apparaît comme une prière ».

 Il y a peut-être du lyrisme si pas un peu de naïveté chez notre père de l’Église mais assurément pas de la sécheresse de rites sans âme ou de ritournelles pieuses. Ce qui nous interpelle : notre prière a-t-elle du souffle, de la couleur ? Participe-t-elle à réenchanter le monde ?  Comme le regard limpide d’un animal ou le chant d’un oiseau ?

Un autre père de l’Église, Basile de Césarée, nous invite, comme Paul, à nous en remettre entièrement à Dieu par le Christ et son don sur la Croix : « voilà quelle est la noblesse de l’homme, voilà quelle est sa gloire et sa grandeur : connaître vraiment ce qui est grand et s’y unir, et rechercher sa gloire dans la gloire de Dieu…Alors, toute la prétention de l’orgueil s’écroule. Il ne te reste plus rien, pauvre homme, dont tu puisses te vanter, où tu puisses mettre ta fierté et ton espérance. Il ne te reste… qu’à chercher le Christ dans ta vie future. Nous l’avons par avance, nous y sommes déjà, puisque nous vivons entièrement par la grâce que Dieu nous donne. Et certes, c’est l’action de Dieu qui produit en nous la volonté et l’action parce qu’il veut notre bien… c’est Dieu qui nous donne la force dans nos labeurs… Dieu nous a délivrés de tout danger au-delà de toute espérance. »

Le long de nos routes, au coin d’un bois, au milieu d’une prairie, bien des croix se dressent. Elles rappellent souvent des drames. Mais qui s’y arrête encore ? Oui parfois, pour s’informer mais pour prier et espérer ?! Ces croix comme la Croix font mémoire, elles marquent l’espérance de celles et ceux qui se sont confiés au Seigneur au creux de leur détresse. Dans l’obscurité de tragédies humaines, dans la buée des larmes, elles sont le signe qu’un avenir était possible. D’autres croix sont à des carrefours comme simples indicateurs de chemin. La charge émotionnelle y est moins grande mais l’énergie spirituelle n’est pas moins forte.

« Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » dit Jésus. « Allez par le monde entier proclamez l’Évangile à toutes les créatures. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé… Voici les signes qui accompagneront ceux qui ont cru en mon nom : ils chasseront les démons, ils parleront en langues nouvelles. Ils prendront dans leurs mains des serpents… » (Mc 16. 15-18a).  Regarder vers le Christ et s’attacher à lui envers et contre tout, enlève au mal et à la mort leur aiguillon. La souffrance demeure possible mais nous ne serons jamais seuls à la porter. Comme le serpent d’airain guérissait, la Croix du Vivant est notre force. Par elle, se réalise déjà la prophétie d’Isaïe, celle de la paix et l’harmonie : « le loup habitera avec l’agneau, …, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira, …, le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra, …, Il ne se fera ni mal, ni destruction sur toute ma montagne sainte » (Is 11 6-9a). Seuls ceux qui ont un cœur d’enfant, seuls ceux qui font le saut dans la confiance avec le Christ voient les merveilles de Dieu.

Bon laetare sans masque, ni confetti ; heureuse pause dans le carême dans la joie du Seigneur !

Jean-Marc,

votre curé.

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