Que sont les neiges du Kilimandjaro devenues ? Quand j’étais enfant, elles étaient en arrière-fond d’une série télé qui me passionnait : Vivre libre. C’était l’histoire d’Elsa la lionne et des Adamson, dans la réserve de Méru au Kenya. Cette histoire nourrissait mes rêves et mes projets d’avenir, notamment comme vétérinaire. Depuis, la vie s’est chargée de m’ouvrir d’autres horizons.
En un sens, je pourrai dire que pour moi, les neiges du Kilimandjaro ont fondu –comme elles l’ont fait en réalité de nos jours !
Pour nous tous, un jour où l’autre, il faut bien constater que les neiges éternelles de nos rêves d’enfants ou d’adultes ont fondu à cause de choix effectués ou d’opportunités inattendues à saisir.
Hélas parfois aussi à cause des choses qui se sont imposées dans notre parcours. L’Écriture de ce dimanche (19ème du Temps ordinaire, année B) nous parle de cette situation au travers de l’histoire du prophète Elie (1R 19.4-8). Nous retrouvons notre homme au plus bas, où il doit assumer les conséquences de ses actes et qu’il n’en a pas la force.
Petit retour en arrière : pour Elie, le début de sa mission est fulgurant et couronné de succès : Dieu est avec lui ?! Il annonce une sécheresse au peuple et lorsqu’elle survient, il est secouru par Dieu au torrent du Kerit ou accueilli par une veuve à Sarepta. Plein de feu, il ramène à la vie le fils de celle-ci. À la fin de la sécheresse, il met au défi les prophètes d’autres dieux que le sien : il les extermine.
La pluie annoncée arrive et il est reconnu comme un grand prophète par le peuple et le roi Akhab.
Seulement, la reine Jézabel, adepte du dieu Baal, va le poursuivre de sa haine. Elie fuit pour sauver sa vie. Il se retrouve seul au désert ; il y est dans une situation paradoxale. Voulant sauver son existence, il appelle la mort car il est à bout de force ! « Maintenant, Seigneur, c’est est trop. Reprends ma vie… » Pour lui, ce ne sont pas les neiges du Kilimandjaro qui ont fondu mais celle de l’Hermon !!!
Et si cette fonte de neige existentielle était une occasion de salut et de conversion. L’homme à qui tout a réussi jusqu’à présent fait acte d’humilité. Il ne se reconnaît plus supérieur : « je ne vaux pas mieux que mes pères ». Surtout , dans l’épreuve, il demeure tourné vers Dieu. Son cri de détresse et son appel de la mort témoignent de son lien pérenne à Dieu.
Cette juste attitude se trouve tant de fois dans les psaumes lorsque le peuple ou le croyant est en proie à la déréliction. Au-delà du cri, il y a la durée de la peine… Grâce à Dieu, Elie en perçoit le terme (espérance) et surtout un temps pour cheminer et grandir en humanité (foi) : « Lève-toi et mange car il est long le chemin qui te reste », lui dit l’Ange du Seigneur en le touchant. Elie se leva, mangea et but. Puis fortifié par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu. » Le délai de 40 jours et nuits, nous le savons, est un temps long donné pour la maturation : la génération symbolique qu’il représente est une clé biblique qui évoque la croissance…
Je quitte Elie pour l’imiter et me tourner vers Dieu. Sans avoir l’air d’y toucher, le Dieu terrible qui commande à la nature (l’épisode de la sécheresse), qui détient les sources de la vie (relèvement du jeune homme), ce Dieu jaloux (les prophètes de Baal décimés), ce Dieu va se révéler autre.
Il montre qu’il a entendu et écouté la détresse d’Elie : en réponse à son cri, il envoie son ange. Il s’adapte à son rythme : la nourriture et la boisson sont disponibles en fonction des veilles de l’homme que la dépression pousse à dormir. « Près de sa tête » peut s’entendre comme « à son chevet ». Rien n’est dit sur le long chemin : temps de silence, temps d’absence apparente ? Et si la seule force qui permet à Elie d’avancer était le signe de sa présence ? Souvenons-nous ici de la manne et du pain de vie évoqués la semaine dernière.
Lorsqu’Elie est arrivé à destination, Dieu joue au psy ; il fait raconter sa vie à Elie : « Pourquoi es-tu ici, Elie ? » Ce récit est doublé, avant et après la manifestation dans la brise légère, « une voix de fin silence » (19. 9-18). C’est dans la relecture de son parcours de vie qu’Elie se trouve mis en présence du Seigneur de manière inattendue. Ensuite Dieu va le conforter dans sa mission : « Va, reprends ton chemin » tout en changeant fondamentalement la mise en œuvre. Finies les actions personnelles et peut être trop éclatantes pour l’orgueil et surtout trop lourdes à porter ; désormais, il faudra passer par les médiations humaines (onctions royale et prophétique, le petit reste fidèle du peuple). Et déjà se profile le terme de la vie d’Elie : c’est Élisée qui prendra la relève (v 19 et svts).
La semaine dernière, je me suis attaché à zoomer sur nos réactions à travers celle du peuple. Cette fois, la figure d’Elie a pris le relais dans une situation dramatique plus ou moins choisie, plus ou moins imposée. Peu importe : c’est l’occasion pour le Seigneur de se révéler comme le pourvoyeur de la nourriture authentique. Nourriture qu’il est lui-même, don qu’il fait passer par des médiations bien concrètes. La vie de l’esprit est indissociable du corps et de la nature… Car, ne nous y trompons pas, Elie (Le Seigneur est Dieu) conduit à travers son expérience de salut à annoncer celui qui vient : Jésus de Nazareth. Lui va donner un visage unique, lumineux et bienveillant au Seigneur « que l’on ne peut voir que de dos » dans le souffle d’une brise légère.
Dans l’évangile de ce dimanche d’août, Jésus appelle les Juifs à ne pas récriminer. Ces Juifs, selon Jean, ne représentent pas ici le peuple dans son ensemble mais les autorités religieuses, ceux qui ont du pouvoir. En plus, ces personnes s’accrochent à une pseudo-connaissance qui enferme leur jugement. Pour qui Jésus se prend-il, lui le fils de Joseph le charpentier, lui dont les père et mère sont bien connus ? « Comment peut-il descendre du ciel ? » Ceci nous invite à la grande prudence et à avoir le courage de changer de regard si nous croyons tout savoir de Dieu et si nous nous fixons sur nos idées !?
Dans notre quotidien, « bien des neiges peuvent fondre », il y a de grandes et de petites épreuves. Ne nous demandons pas ce que le Seigneur peut faire pour nous, quand Jésus invite à manger sa chair. L’eucharistie n’est pas une potion magique mais le signe d’une présence indéfectible. Une présence qui renforce et adoucit.
Ce qu’il nous faut, le Seigneur le sait déjà, mais n’hésitons pas à lui partager nos cris, nos fatigues, nos désespoirs. Comme pour Elie, c’est une bonne manière de déposer ses paquets. Ensuite laissons-nous visiter par l’ange du Seigneur qui viendra nous toucher au mieux. Il passe et repasse. Peut-être qu’un petit regard en arrière peut nous ne convaincre ?
La vie éternelle, la vie avec Dieu ce n’est pas pour après… c’est ici et maintenant. « Un pauvre crie, le Seigneur entend, il le sauve de toutes ses angoisses. L’ange du Seigneur campe alentour pour libérer ceux qui le craignent. Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur. Heureux (en marche) qui trouve en lui son refuge ! »
Grâce à Dieu, les sommets de nos vies peuvent resplendir de blancheur plus sûrement que les neiges ne peuvent revenir sur le Kilimandjaro !
Jean-Marc,
votre curé
Illustrations :
- Entête : les neiges du Kiliman(d)jaro – CC0 – Wikipedia
- Au haut de l’article : Fête-Dieu à Theux, 14 juin 2020 – © AEN