La chronique de notre Curé du 9 août 2020

Seigneur, sauve-moi !

Ce mardi 4 août au matin, sur le rebord de notre Fenêtre, à Oneux, la messe était célébrée en la mémoire du Curé d’Ars. Le soir même, une formidable explosion ravageait le port et la ville de Beyrouth au Liban… Cela m’a fait repenser à une coïncidence historique très marquante. Le premier novembre 1755, Lisbonne était détruite par un formidable tremblement de terre : les fidèles écrasés en masse dans les églises, des familles entières broyées dans leur maison ou noyées par la mer. Les secousses, les crevasses, le tsunami, un incendie de 5 jours : terrible… Bilan : plus de 60.000 morts. À l’époque, nul n’était habitué à assister aux catastrophes en direct ; pourtant cet événement eut un impact jusque dans la pensée des Lumières. Voltaire, entre autres, dézingua les théodicées positives, les philosophies incluant l’existence de Dieu. Fini Leibniz et « son meilleur des mondes possibles ». Dans un premier temps, il se tourna encore vers la possibilité de la Révélation avant de finir par délaisser la foi au salut. Est-ce que son pessimisme ne vibre pas encore dans nos réflexions actuelles sur le mal ? Le lit de l’athéisme ou de l’agnosticisme d’aujourd’hui ne s’ouvre-t-il pas encore pour border des croyants fragiles ou indécis ?

« Après l’ouragan, il y eut un tremblement de terre mais Dieu n’était pas dans le tremblement de terre ; et après ce tremblement de terre, un feu mais Dieu n’était pas dans le feu, et après le feu, la voix d’un fin silence » (1 R 19.9-13). Pour le peuple de l’Alliance, il y a pourtant longtemps que Dieu a quitté ses oripeaux à la Jupiter pour se révéler vraiment autre que ce que l’on peut penser ou croire. La semaine dernière, encore, j’évoquais ici la nuit de la foi. Nuit qui gardera, jusqu’à l’aube de notre Pâques, une part de mystère. La liturgie de ce dimanche dans ses découpages met l’accent sur la théophanie, la manifestation de Dieu. Avant d’en venir à Jésus, attardons-nous auprès d’Élie. Dans la nuit de la grotte, peut-être à la fine pointe de l’aube, Dieu, enfin la Parole de Dieu, lui demande, par deux fois : « Élie, pourquoi es-tu ici ? » Je note le pourquoi qui dépasse la narration pour faire sens au-delà du comment (Comment se fait-il ?). Élie répond : « Je suis rempli de zèle pour le Seigneur, Dieu de l’univers. Les fils d’Israël ont abandonné ton alliance, ils ont démoli tes autels, et tué tes prophètes par l’épée. Je suis resté seul, moi seul et l’on cherche à m’enlever la vie. » Dans son zèle, Élie avait fait de grandes choses pour Dieu, souvenons de l’affaire du Mont Carmel avec les prophètes de Baal et son opposition à la reine Jézabel. En fait, Élie s’est opposé à une idole, un dieu terrible avec des moyens du même ordre. Dieu, après son passage à l’Horeb, va le confirmer dans ce combat mais va modifier sa mission. Élie sera le porte-étendard du Seigneur (onction d’Élisée) et déléguera la force de l’épée à deux rois. Mais le Seigneur garde son objectif : le salut d’Israël ! « Je laisserai en Israël sept mille hommes, tous ceux dont le genou ne s’est pas plié devant le Baal et dont la bouche ne lui a pas donné de baisers. »

Dans la nuit obscure de la foi, particulièrement dans les épreuves de cette vie, l’enjeu demeure de ne pas sombrer. «  La barque était déjà à une bonne distance de la terre. Elle était battue par les vagues car le vent était contraire. » À la différence d’Élie, les disciples ne sont pas seuls, ils sont ensemble mais c’est aussi sur la volonté du Seigneur qu’ils sont embarqués dans cette galère. « Jésus obligea les disciples à monter dans la barque (celle-là même qui l’a conduit au désert de solitude) et à le précéder sur l’autre rive pendant qu’il renverrait les foules» (Mt 14.22-33). Jésus a parlé à la foule, il l’a vue et a eu pitié d’elle, il l’a nourrie. Il a poussé les disciples à agir « en donnant d’eux-même ». C’était la semaine passée. Aujourd’hui, il conduit ses proches dans une autre expérience qui a un sens : aller sur l’autre rive. Mais la traversée va compter beaucoup pour les disciples, comme le retrait d’Élie à l’Horeb. Ici, c’est Jésus qui se met en retrait, il prie seul, sur le bord du lac, sur la montagne. Autant dire qu’il est loin, enfin l’est-il vraiment ? Comment (pourquoi) ne serait-il pas de cœur et en pensée avec ses amis qu’il a mis dans la barque ? « Vers la fin de la nuit, Jésus vient vers eux en marchant sur la mer. » Qu’y a-t-il de plus saisissant de le voir arriver ainsi, le voir sorti du tombeau ou voir sa présence encore aujourd’hui dans les signes du pain et du vin, dans les sacrements et encore dans la Parole ? Les disciples ont été embarqués, bouleversés, nous dit l’Évangile. Pourquoi pas nous s’il compte vraiment pour nous, si nous sommes un peuple en germe, et non plus une foule ?

En fait, grâce à Dieu, notre vie ne sombrera pas si nous sommes attachés à Jésus. « Seigneur, sauve-moi ! » s’écrie Pierre. Il est pris de panique, de peur, alors que Jésus lui offrait de marcher sur les eaux. Remarquons que celles-ci ne se calmeront qu’une fois Jésus et Pierre revenus à bord de la barque. Dans la tempête, Jésus est notre force et notre secours. Pourquoi nous croire abandonnés de lui lorsque nous sommes ensemble dans la même barque ? Pourquoi nous enfoncer même en sa présence plus distincte au point du jour ? Par peur, par doute aussi. Notre chair est bien faillible oui, mais notre secours est bien dans le nom du Seigneur, de sa personne unique.

Passer sur l’autre rive nous implique corps et âme. Pendant que notre peau ramasse les embruns de l’existence, que nos muscles frissonnent dans le froid de la nuit, notre esprit est aussi atteint, notre cœur ébranlé… Et pourtant avec une foi grosse comme un grain de sénevé… « Homme de peu de foi » dit Jésus à Pierre sans lui reprocher d’avoir voulu marcher avec lui sur les eaux. Jésus connaît le zèle de Pierre pour lui : il vaut bien celui d’Élie. Jésus connaît aussi ses failles et ses limites : cela ne l’empêche pas de le voir avec lui sur l’autre rive, celle du bord du lac, un matin après la résurrection. Jésus pose le même regard d’amour et d’espérance sur nous. Mais il nous revient comme à Pierre et aux disciples de bannir la peur, le doute, de résister et de combattre les idoles, de lutter sous l’étendard de Dieu. J’évoque ici le commentaire de Fabrice Hadjadj sur l’enjeu qu’il voit à travers des catastrophes comme celle de Lisbonne, de Beyrouth et pourquoi pas celle du Covid ou du climat déréglé ? « Le démon est derrière le cataclysme. Mais il était aussi derrière la théodicée. Et il sera encore derrière la négation de cette dernière. C’est lui qui suggère une justification rationaliste de Dieu telle qu’elle ne demande plus qu’une résignation intellectuelle et ne s’ouvre plus sur l’abîme de la Croix. C’est encore lui qui coordonne la fureur des éléments et les petites négligences humaines pour aboutir au désastre dit naturel, lequel vient contredire la justification précédente. C’est lui, enfin, qui poussant à congédier toute foi en une providence, engage l’homme à se charger entièrement de son salut. Optimisme de la théodicée, pessimisme de l’anti-théodicée, progressisme athée (ou encore rationalisme déiste, fidéisme irrationnel, rationalisme incroyant), le choc de l’horreur et de l’erreur lui permet de jouer sur tous ces tableaux. (La foi des démons, p 148). Cette citation ne vise pas à montrer que le diable est partout ni à stigmatiser quelque opinion que ce soit. Je rejoins ce philosophe chrétien parce que, je vous le confesse, j’ai rencontré toutes ces « lumières » lors de ma traversée. Je me suis spontanément détourné de certaines, j’ai utilisé certaines par honnêteté intellectuelle et recherche de cohérence… Au risque, au risque de délaisser la primauté et la qualité non pas d’une idée mais de quelqu’un : Jésus le Christ ! L’Écriture utilise le nom de Pierre pour dire : « Humiliez-vous sous la main puissante de Dieu afin qu’il vous élève au moment fixé : déchargez-vous sur lui de tous vos soucis car il prend soin de vous. Soyez sobres, veillez ! Car votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant rôde, cherchant qui dévorer. Résistez-lui, fermes dans la foi, sachant que les mêmes souffrances sont réservées à vos frères dans le monde » (1 P 5. 6-9). Je le constate : beaucoup de choses s’arrangent ou se portent mieux en présence du Seigneur. Comme d’ailleurs avec des frères et sœurs embarqués dans la même traversée. Dans les tempêtes, j’essaie de maintenir le cap de l’autre rive, avec une présence sensible ou non de Dieu. Je le reconnais : je n’ai pas l’audace spontanée de Pierre mais il m’arrive de me jeter à l’eau… Dans le contexte actuel, partager le tangage et le roulis de la barque Église ne m’est pas une croisière. Mais je peux rire et faire de l’humour sous les rafales. Je me sais aussi capable sur un coup de tête d’enfiler une bouée et de quitter le navire. Comme Pierre… Pourtant, Celui qui m’a dit, un jour: « Quoique tu choisisses (comme chemin), je serai toujours avec toi », Celui qui, de la Croix, m’a partagé : « Je suis là pour toi », Celui-là est bien l’objet de mon zèle, le souffle de ma vie, la voix de fin silence que j’essaie d’écouter dans le creuset de mon humble humanité. S’il y a un lion qui rôde, je sais que je peux toujours compter sur le Lion de Juda, le Christ !

En conclusion, en ces jours, quoiqu’il arrive, à vous et à moi, faisons nôtre cette Parole du Seigneur qui nous prépare à aborder l’autre rive : « Le Seigneur t’a porté (te porte) comme un homme porte son fils, tout au long de la route (traversée) que tu as parcourue (tu parcours) » (Dt 1,31).

Jean-Marc,
votre curé

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