Se mettre en présence de Celui qui nous parle
La liturgie de ce dimanche nous propose deux textes dont le lien n’est pas évident à première vue.
Le Livre des Proverbes nous parle de la femme « parfaite » (Pv 31. 10- 31) tandis que la parabole de l’Évangile de Matthieu (25. 14- 30) évoque un maître dur et ses serviteurs… Avant de filer dans l’action pour faire la volonté de Dieu comme homme ou femme, ne vaut-il pas mieux s’arrêter ? S’arrêter un moment pour entrer dans l’intelligence de ce Dieu qui nous parle à travers les Écritures, de ce Dieu qui s’adresse à nous par sa Parole vivante : le Christ. Entendons Paul qui nous dit : « Frères (Sœurs), comme vous n’êtes pas dans les ténèbres, ce jour (celui de Dieu) ne vous surprendra pas comme un voleur. En effet, vous êtes tous fils (filles) de la lumière, des fils (des filles) du jour » (1Th 5. 1-6).
Une lecture littérale présente toujours le danger de faire un absolu avec des choses qui ne le sont pas. La femme au foyer était sûrement d’une grande nécessité au temps des cavernes et encore sa vie ne limitait pas à cela selon les paléontologues. Ce n’est pas parce que des siècles de sociétés patriarcales ont pris le relais qu’il y a là un rôle immuable pour les femmes à tenir aux côtés des hommes. D’ailleurs, l’auteur de la Genèse, dans sa sagesse, parle d’un déséquilibre, d’une conséquence de la faute lorsque l’homme domine sur la femme ! Discrètement, celui des Proverbes ne la désigne-t-il pas comme une lumière ? « Seule la femme qui craint le Seigneur mérite la louange ». Voilà que c’est dans sa relation à Dieu que la femme (l’homme) se définit, se trouve la mieux ! Aïe, toutefois, le mot crainte qui surgit et renvoie au « j’ai eu peur » du troisième serviteur de la parabole des talents. Je note que si cet homme apeuré a caché son talent (remis en propre d’ailleurs par le maître, ici la littéralité compte), il répète la même attitude qu’Adam et Eve qui se cachent à l’approche de Dieu au jardin premier…
Ne dit-on pas que « la peur est mauvaise conseillère » ? Assurément, la peur réflexe a pour but de nous protéger physiquement par la fuite depuis les temps les plus ancestraux. Mais lorsqu’elle prend le pas sur la raison, la ou les catastrophes ne sont jamais loin. « Ce bon à rien, jetez-le dans les ténèbres dehors, là où il y aura des pleurs et des grincements des dents ».
A quoi conduit la peur devant Dieu ? La punition, l’exclusion,… ? Dieu est-il ce maître dur et intransigeant ?
Plus d’une fois, j’ai croisé des écrits d’Adrien Candiard, dominicain, spécialiste de l’Islam. Dans un article partagé suite à de récents attentats islamistes (La Vie 3921), il commente la théologie d’un imam du IXe siècle. Le Coran dit « Rien n‘est semblable à Lui » (42, 11) parlant de Dieu s’entend. Dieu est tellement transcendant qu’il est inconnaissable : il révèle juste sa volonté ! Voilà la piste théologique prise par ce courant de l’islam qui n’est d’ailleurs qu’un parmi d’autres. Cependant, cette théologie infiltre, dit Adrien Candiard, l’Islam d’aujourd’hui : « théologie du refus de la théologie, cette théologie pense l’inutilité de la théologie. Cette théologie dont Dieu est absent sauf sous forme de commandements ». Le hanbalisme (de Ibn Hanbal) présente un Dieu inaccessible à la raison et à la relation. Rien de grave en soi jusqu’au jour de la rencontre de l’absolutisation des commandements ! De l’absolu des pratiques alimentaires et vestimentaires à l’absolu d’avis juridiques (fatwa du XIVe : la condamnation à mort pour le musulman qui a contact avec des Chrétiens à Pâques) et à la vérité absolue qui conduit à l’assassinat de ceux qui ne croient pas ou croient autrement, il y a bien une trame qui se tisse.
Important à retenir, le curieux paradoxe que notre dominicain relève : dans le fanatisme religieux, quelle que soit la religion, Dieu est inaccessible, mais pour lui plaire il faut appliquer sa loi !
Quand j’évoquais au départ, la nécessité de s’asseoir et de se mettre en présence de Celui qui nous parle ! Le Dieu de Jésus nous parle, il se donne à connaître. Si nous ne pouvons tout dire de lui, nous pouvons en dire, il est une personne. Ses commandements n’en font pas le grand législateur ni commandeur. D’ailleurs, souvenons-nous que dernièrement encore, Jésus réduisait toute la loi à deux commandements : ceux de l’amour. Qui mieux que l’amour anime toute relation authentique et essentielle ? Dieu juge-t-il ? Oui, mais pas comme le maître de la parabole. Il juge pour pouvoir user de sa miséricorde et de sa justice. Dieu nous crée avec une raison, pourquoi sinon nous donner un outil ? Un outil pratique mais pas absolu…
Quand j’étais enfant, dit Paul, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant ; lorsque je suis devenu homme, j’ai fait disparaître ce qui était de l’enfant (1 Co 13.11). Homme raisonnable et convaincu par l’amour de Dieu lorsqu’il écrit aux Romains : « ne rendez à personne le mal pour le mal ; car il est écrit : A moi, la vengeance, c’est moi qui rétribuerai, dit le Seigneur. Mais si ton ennemi a faim, donne-lui à manger, s’il a soif, donne-lui à boire. Ne te laisse pas vaincre mais sois vainqueur du mal par le bien » (Rm 12. 17-21). De suite, ses propos comme ceux de Jésus, flashent comme une lumière, ils pointent un idéal, un au-devant qui balise le chemin. Ses propos nous paraissent justes et raisonnables parce que quelqu’un nous parle. Une personne que nous connaissons assez pour lui faire confiance !
A terme, je ne résiste pas à la joie de reprendre ce beau texte du livre de la Sagesse délivré la semaine dernière : « La sagesse est resplendissante, elle ne se flétrit pas. Elle se laisse aisément contempler par ceux qui l’aiment, elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent. Elle devance leurs désirs en se faisant connaître la première. Celui qui la cherche dès l’aurore ne se fatiguera pas : il la trouvera assise à sa porte. Penser à elle est la perfection du discernement et celui qui veille à cause d’elle sera bientôt délivré du souci. Elle va et vient à la recherche de ceux qui sont dignes d’elle ; au détour des sentiers, elle leur apparaît avec un visage souriant, dans chacune de leurs pensées, elle vient à leur rencontre (Sg 6. 12-16).
Cette semaine, chaque matin, ouvrons notre porte pour accueillir Celui qui se tient sur le pas. Que nous soyons dans nos quatre murs, dans notre jardin ou sur notre terrasse, au travail ou en télétravail, souvenons-nous qu’il n’y a pas que sur les sentiers forestiers que nous pouvons discerner un sourire. Celui qui nous aime saura bien nous rejoindre et se faire reconnaître.
Jean-Marc,
votre curé