La chronique de notre Curé du 1er août 2021

Une nourriture qui demeure

Cinq grammes par semaine  ! A sniffer ? Non à ingérer, soit l’équivalent d’une carte bancaire  ! Cinq grammes de  ? Cinq grammes de plastique. C’est la quantité hebdomadaire que certains d’entre nous peuvent déjà absorber selon leurs modes de vie et leur environnement  ! Tout cela parce que notre activité a un impact inédit sur notre planète. Savez-vous que nos vêtements, constitués en majorité (à 90 %) de fibres plastiques de formes diverses, sont à l’origine d’un rejet annuel de micro-particules estimé par des études universitaires américaines à l’équivalent de 50 milliards de bouteilles en plastique  ! Rejet qui se fait par les eaux usées de nos lessives  ! Eh oui, même notre hygiène a un coût élevé pour la Terre et tous ses habitants  !

Vous penserez peut-être : qu’est-ce qui lui prend de venir avec cela alors qu’il y a bien d’autres priorités à assumer autour de nous ? Parfois, hélas, chez nous ?! Je l’avais déjà évoqué plus avant : si ce mois de juillet avait été normal, il aurait été le mois des soldes, mois rempli d’achats de vêtements pour «  se faire plaisir » le plus souvent. Malheureusement, ce sont les monticules de vêtements de toutes sortes cédés pour aider les sinistrés qui me ramènent à ce thème. Comme tout symbole, ces montagnes jouent dans deux sens. Celui, positif, de notre générosité et compassion spontanées, celui, plus sombre, de notre consumérisme exagéré. C’est surtout cet aspect m’a fait revenir au thème de l’habillement : qui dit hyper consommation dit envie, convoitise. Convoitise qui rime avec insatisfaction, inconscience et manque de reconnaissance. Voilà ce dont il est question en filigrane dans les Écritures de ce dimanche.

Le peuple au désert, selon l’Exode, n’est pas depuis trois jours au désert qu’il récrimine (fait de violentes protestations au sens littéral). Il a faim et soif ! Comme la libération toute récente et chèrement acquise est vite oubliée si pas regrettée. « Ah il aurait mieux valu mourir de la main du Seigneur, au pays d’Égypte, quand nous étions assis près de marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété » (Ex 16. 2-15). Comme le regard vers le passé se fausse d’idéalisme, lorsqu’il est voilé par les larmes de la colère et de la rage ! Oubliés les coups de fouet, les travaux pénibles sous le soleil, la soif et la malnutrition des esclaves !

Le texte de l’Exode est sans doute plus mythique et théologique qu’historique, n’empêche : nous nous retrouvons avec le peuple, la foule au temps de Jésus (Jn 6.24-35). Nous sommes à Capharnaüm au lendemain de la multiplication des pains. Que demandent les gens quand Jésus leur parle de travailler pour « une nourriture qui demeure » ? « Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir (celui que Dieu a envoyé) et te croire ? Quelle œuvre vas-tu faire ? Au désert, nos pères ont mangé la manne… » Oubliée la raison pour laquelle ils sont là ! Oublié le don généreux du pain et du poisson de la veille !? « Amen, amen, je vous le dis : vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés » vient de leur rappeler Jésus il y a un instant, lui qui s’était enfui parce qu’ils voulaient le faire roi !?

La foule, le peuple : ne nous voilons pas la face, c’est nous aussi. Mais peut-être que nous sommes déjà plus ou moins disciples. Comme les apôtres qui ont donné d’eux-mêmes dans la multiplication des pains (cf. la semaine dernière). Comme les disciples qui ont dû faire le saut dans la confiance après être montés dans la barque pour fuir et traverser le lac avec Jésus !? À tous, chacun et chacune, foule, peuple, disciples, le Seigneur en évoquant la nourriture essentielle veut nous interroger sur nos priorités et notre attachement. Au peuple qui récrimine de faim et de soif dans le désert, il répond sans rechigner aux besoins. Mais c’est l’occasion d’une leçon de vie : il va donner une ration quotidienne, in-accumulable, inconservable, de viande et de pain. « Ainsi je vais le mettre à l’épreuve : je verrai s’il marchera ou non selon ma loi… Alors vous saurez que moi, le Seigneur, je suis votre Dieu. » Le peuple libéré est appelé à marcher, librement, dans la confiance sans idoles, sans excès de biens qui produisent l’injustice. Les lois du Seigneur visent à promouvoir un espace de liberté, de respect fraternel et de justice. Cela vaut pour nous aujourd’hui ! Je reviens au cas concret de notre surconsommation de vêtements. Qui se souvient des plus de 1.100 victimes du Rana Plaza, au Bangladesh en 2011 ? Pour la plupart, des femmes et des enfants ? Aujourd’hui, les grandes marques de la mode clament que les conditions de travail ont bien changé depuis. Ah ? Des études anglaises ont été menées sur l’impact de la crise de la Covid sur les travailleurs du textile. Ceux qui n’ont pas perdu leur emploi ont vu leur salaire raboté de 40 à 60 %. Dans les licenciés, plus de 80 % n’ont pas eu d’indemnité. Les chiffres parlent d’eux-mêmes au point que des associations humanitaires intentent un procès en justice à certaines marques en France parce que la loi le permet. Ce devrait être possible à terme en Belgique où notre Parlement planche sur une loi de coresponsabilité sur les conditions de production et de respect de l’environnement. Et nous, allons-nous laisser tout le travail à la Justice et à d’autres ? Le Seigneur nous met en garde : notre convoitise et notre inconscience nous coupent du bonheur d’une vie simple et digne mais aussi sont sources d’injustice fraternelle incalculable…

« Travaillez pour la nourriture qui demeure » dit Jésus à ses interlocuteurs. Interlocuteurs qu’il tente de faire passer de foule informe à peuple. L’organisation par groupes du pic-nic sur la montagne (ou dans le désert) en est le signe. Tout en prenant en compte tous leurs besoins de plus basiques (la faim, la soif) jusqu’aux plus profonds, conscients ou non (le spirituel, le sens de la vie) « la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle ». En passant par le relationnel (constituer un corps social, le travail). « Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » Dieu seul, en Jésus, peut combler tous nos besoins essentiels. Seulement, il faut « s’habituer » à cette nourriture. Les disciples que Jésus a pris à part sont loin d’avoir tout saisi du projet de Dieu ; cependant ils ont été mis en route lors du signe des pains, lors du signe de la tempête apaisée. Et si,  comme eux, nous avancions, pas à pas, au quotidien ? En passant par le concret qu’il nous est donné de vivre ? Notre vie est bien un chemin comme celui de l’Exode ou de la montée de Galilée à Jérusalem…

Au moment où Jésus nous invite à faire corps avec lui, à nous nourrir de sa présence, je vous cite ce passage assez connu d’un père de l’Église, Jean Chrysostome. « Veux-tu honorer le Corps du Christ ? Ne commence pas par le mépriser quand il est nu. Ne l’honore pas ici avec des étoffes de soie, pour le négliger dehors où il souffre du froid et de la nudité. Car celui qui a dit : Ceci est mon corps est le même qui a dit : vous m’avez vu affamé et vous ne m’avez pas nourri. Quelle utilité à ce que la table du Christ soit chargée de coupes d’or, quand il meurt de faim ? Rassasie d’abord l’affamé et orne ensuite sa table… Qui pratique l’aumône exerce une fonction sacerdotale. Tu veux voir ton autel ? Cet autel est constitué par les propres membres du Christ. Et le Corps du Seigneur devient pour toi un autel. Vénère-le. Il est plus auguste que l’autel de pierre où tu célèbres le saint sacrifice… Et toi, tu honores l’autel qui reçoit le Corps du Christ et tu méprises celui qui est le Corps du Christ. Cet autel-là, partout il t’est possible de le contempler, dans les rues et les places ; et à toute heure tu peux célébrer ta liturgie. » Je crois que cette méditation est nécessaire en ces heures où Jésus se présente comme le pain de vie. Il est bien le pain de la route, le pain du peuple de Dieu en marche. À l’eucharistie, nous venons bien nous nourrir de la parole et du pain du ciel… pour avancer ensemble. Alors nous sommes envoyés pour partager la marche de nos frères et sœurs en humanité : à leurs pas et aussi à notre pas ! «  Ce que chacun de vous a reçu comme don de la grâce, mettez-le au service des autres, comme de bons gérants de la grâce de Dieu sous toutes ses formes… » nous rappelle saint Pierre (1 P 4.10).

Pour terminer, je nous propose, en bonus, un retour sur les vertus cardinales. Vertus énoncées par Platon, reprises par Aristote et revisitées par Thomas d’Aquin. Ces quatre vertus visent à nous faire entrer dans une vie bonne et évangélique : la prudence, la tempérance, le courage et la justice. Suite aux exemples donnés plus haut, il ne faut pas chercher bien loin pour commencer et continuer un changement de cap radical dans notre manière de faire société. En vue d’une société plus paisible et pérenne ! À tous, il nous faut le courage d’opter pour la tempérance : maîtriser nos envies et discerner la satisfaction de nos besoins. À tous, il nous faut le courage de la prudence qui est une vertu active et non un attentisme : face à des problèmes complexes, il y a toujours un petit quelque chose à faire. À tous, il nous faut le courage d’oser la justice : faire le choix de comportements durables et s’engager dans des combats de fraternité à notre mesure… Et surtout ne jamais oublier que nous ne sommes pas seuls en chemin : le Christ nous nourrit et nous accompagne !

Jean-Marc,
votre curé

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