4. L’illumination de Nazareth : la révélation de sa vocation
Le 10 janvier 1889, Charles de Foucauld, à cheval, arrive à Nazareth. Voilà quelques semaines qu’il est arrivé (novembre 88) en Terre Sainte, poussé par l’abbé Huvelin afin que le géographe-explorateur, qui vient de terminer son livre sur le Maroc (publié début 88), puisse mettre ses pieds dans les traces de Jésus. Charles de Foucauld n’y tient pas du tout, il ne songe qu’à devenir religieux : « Aussitôt que je crus qu’il y avait un Dieu, je compris que je ne pouvais faire autrement que de ne vivre que pour lui : ma vocation religieuse date de la même heure que ma foi : Dieu est si grand ! il y a une telle différence entre Dieu et tout ce qui n’est pas Lui ! » (Lettre à H. de Castries, 14 août 1901)
Mais l’abbé Huvelin le freine. Il faut qu’il achève son livre sur le Maroc, qu’il poursuive sa formation religieuse et apprenne à connaître le Dieu qu’il a rencontré. « Dans les commencements, la foi eut bien des obstacles à vaincre ; moi qui avais tant douté, je ne crus pas tout en un jour ; tantôt les miracles de l’Evangile me paraissaient incroyables ; tantôt je voulais entremêler des passages du Koran dans mes prières. Mais la grâce divine et les conseils de mon confesseur dissipèrent ces nuages. » (Lettres à H. de Castries) Depuis sa conversion, il s’est plongé dans la lecture de la vie de Jésus et surtout des Evangiles qu’il ne cessera de méditer tout au long de sa vie et qu’il parcourt inlassablement par tous les biais. Il a laissé plus de deux mille pages de méditations sur les Evangiles. On le pousse aussi au mariage, mais lui ne veut pas en entendre parler. Finalement, il se décide à faire le pèlerinage souhaité par l’abbé Huvelin, mais à sa façon, soit en solitaire.
Après avoir visité Jérusalem, Bethléem où il a passé la Noël, il arrive à Nazareth. Et c’est l’illumination. « D’avoir passé bien des moments dans cette demeure de Nazareth… où Jésus demeura trente ans, de m’être vu dans ce lieu où résonna si longtemps sa voix… parcouru ces rues qu’il parcourait chaque jour, pauvre artisan… Tout cela et le reste sont autant de grâces qu’il est impossible d’exprimer et surtout qui laissent une trace ineffaçable. » (Lettre à H. de Castries, 13/11/91) Là, il découvre l’existence humble et obscure du divin ouvrier. C’est un choc déterminant, une sorte d’appel, et surtout une réponse à la question qu’il se pose depuis le jour de sa conversion : « Que faut-il que je fasse ? »
A Nazareth, Charles de Foucauld voit ce Dieu qui a marché au milieu des hommes. Il le rencontre à la fontaine, avec Marie (photo de la dite fontaine de Nazareth, image ancienne); il le voit en regardant les artisans travailler. Mais il le voit à sa manière, avec la mentalité de celui qui veut changer de vie. Ce qu’il doit faire lui est révélé dans les rues de Nazareth : Dieu s’est fait homme et a vécu ainsi au milieu des hommes. Donc, pour marcher à la suite de Jésus, il faut prendre ce chemin-là. Il va se représenter cette vie de Jésus à Nazareth, non pas telle qu’elle a pu être historiquement, mais telle qu’elle puisse lui servir de modèle dans l’immédiat pour changer de vie… S’il veut changer de vie, il ne peut se contenter de mener la vie de tout le monde, cette vie nouvelle doit être à l’extrême opposé de ce qu’a été la sienne. » (Chatelard, p. 42-43) Pour lui, changer de vie, c’est passer à l’autre extrême de ce qui fait sa vie alors. Il vient de recevoir la médaille d’or de la Société de Géographie, son livre est publié, il est reconnu comme un explorateur de premier plan et dont le travail permettra, en partie, l’occupation du Maroc par la France (entre 1906 et 1912, protectorat).
« J’aime Notre-Seigneur Jésus-Christ… et je ne puis supporter de mener une vie autre que la sienne, une vie douce et honorée quand la sienne a été la plus dure et la plus dédaignée qui fût jamais. Je ne veux pas traverser la vie en première classe pendant que celui que j’aime l’a traversée dans la dernière… » (Lettre à H. Duveyrier, 24/04/1890)
« Changer de vie, ce sera vivre non seulement sans célébrité, ni notoriété, mais inconnu, méconnu, dans l’oubli, le mépris… S’il avait vécu dans une famille d’artisans, d’ouvriers ou de paysans, il n’aurait pas considéré la vie de Jésus à Nazareth sous un aspect d’avilissement, de déchéance et d’abjection… Dans la logique de son intuition, Jésus ne peut être que le plus pauvre de Nazareth…méprisé, sans considération aucune. Lui revenait toujours à l’esprit cette phrase retenue d’un sermon de l’abbé Huvelin : « Jésus a tellement pris la dernière place que jamais personne n’a pu la lui ravir. Il faut bien situer tout le mouvement de la conversion de Ch. de Foucauld comme ce passage à l’inverse, à l’opposé de ce qu’il est, de ce qu’il a voulu devenir. Il va donc imaginer Jésus toujours à l’inverse, à l’opposé de ce qu’il est.» (Chatelard, p. 44) La conclusion qu’il tire, c’est qu’il est appelé à mener la vie cachée de Jésus à Nazareth.
Reste à savoir où et comment ?
Abbé Marcel Villers