Face à l’escalier qui mène à l’église de Theux, se trouve le monument en hommage aux morts -ceux des deux guerres mondiales, mais aussi ceux de l’expédition des 600 Franchimontois vers Liège, en 1468.
C’est là qu’une assistance fournie s’est retrouvée, à l’issue de la messe du 11 novembre 2022, pour une cérémonie patriotique à laquelle participaient de très nombreux enfants des écoles de la Commune.
La longue litanie des noms des personnes décédées a été récitée par quelques-uns de ces enfants. À la fin de chaque évocation, un retentissant « Morts pour la Patrie » a été proclamé… L’émotion était palpable.
M. Jean-Pierre Eisenhuth, président du Cercle des Combattants franchimontois, a prononcé le discours qui suit ; il a été précédé par la lecture de lettres écrites par des combattants, d’hier et d’aujourd’hui.
Le monde ne retient pas les leçons du passé !
Hier, jeudi 10 novembre, nous avons rendu hommage au monument de Polleur en présence de tous les élèves de l’école. L’institutrice de sixième nous a partagé une lettre écrite par un soldat. Je l’en remercie. Nous ne nous sommes pas mis d’accord et pourtant moi aussi j’avais prévu de vous lire des lettres aujourd’hui. Deux lettres séparées par plus d’une centaine d’années !
Mais avant de vous lire ceux deux lettres, je vais céder la parole à une demoiselle qui m’a demandé de pouvoir lire la sienne lui venant de son arrière-arrière-grand-père.
Extrait de la correspondance entre mon arrière-arrière-grand-père, Jacques Bertrand, et son fils Charles, mort pour la Patrie en 1918 à l’âge de 21 ans.
Theux, le 16 décembre 1914
Charles,
Nous avons bien reçu ta lettre et nous sommes heureux pour toi de savoir que tout va bien là-bas. Je ne puis que renouveler mes recommandations et nous pensons à toi.
Surveille ta conduite, ne t’illusionne pas sur les conséquences futures. Sois homme et chrétien surtout.
J’aime à croire que tu feras ton devoir. Trois mots suffisent pour m’exprimer : courage, force et persévérance. Tel est le résumé et toute l’explication que doivent donner un père et une mère à un fils qui reconnait et aime son drapeau.
Marche droit, avec honneur et que Dieu te protège, en suivant nos meilleurs vœux.
Ton Père.
La Panne, le 17 février 1915
Chers Parents,
Je suis heureux de vous savoir en bonne santé. J’ai rencontré ici Laurent Closset, il m’a appris que bien d’autres Theutois avaient quitté leur logis pour venir ici. J’en suis heureux, nous pourrons à peu près remplacer les 600 Franchimontois. Il est souhaitable que nous ayons un peu de leur sang dans les veines et que nous soyons aussi courageux qu’eux et qu’on soit dignes de ce nom.
Je reste votre dévoué fils, Charles.
Le 15 décembre 1919
Au caporal Closset,
En réponse à votre lettre, j’ai le regret de devoir vous annoncer que la compagnie ne possède aucun renseignement concernant l’hôpital où se trouve en traitement le soldat Bertrand Charles.
D’autre part, il n’est pas à ma connaissance que l’un de ses camarades ait reçu des nouvelles depuis le jour où il a été blessé.
Le sergent major
Ma chérie,
Je t’écris pour te dire que je ne reviendrai pas de la guerre.
S’il te plaît, ne pleure pas, sois forte.
Le dernier assaut m’a coûté mon pied gauche et ma blessure s’est infectée.
Les médecins disent qu’il ne me reste que quelques jours à vivre.
Quand cette lettre te parviendra, je serai peut-être déjà mort.
Je vais te raconter comment j’ai été blessé.
Il y a trois jours, nos généraux nous ont ordonné d’attaquer.
Ce fut une boucherie absolument inutile.
Au début, nous étions vingt mille.
Après avoir passé les barbelés, nous n’étions plus que quinze mille environ.
C’est à ce moment-là que je fus touché.
Un obus tomba, pas très loin, de moi et un morceau m’arracha le pied gauche.
Je perdis connaissance et je ne me réveillai qu’un jour plus tard, dans une tente d’infirmerie.
Plus tard, j’appris que parmi les vingt mille soldats qui étaient partis à l’assaut,
seuls cinq mille avaient pu survivre grâce à un repli demandé par le Général Pétain.
Dans ta dernière lettre, tu m’as dit que tu étais enceinte
depuis ma permission d’il y a deux mois.
Quand notre enfant naîtra, tu lui diras que son père est mort en héros pour la Patrie.
Je t’aime, j’espère qu’on se reverra dans un autre monde,
je te remercie pour tous les merveilleux moments que tu m’as fait passer,
je t’aimerai toujours.
Et une lettre contemporaine…
Maman,
Tu me demandes où je me trouve et si tu peux m’envoyer un colis. Quel genre de colis veux-tu m’envoyer maman ? Je ne suis plus à l’entrainement et nous avons quitté la Crimée.
Maman, je suis en Ukraine.
Il y a une vraie guerre ici. J’ai peur.
Nous bombardons toutes les villes en même temps. Même des civils sont pris pour cible. On nous avait dit qu’ils nous accueilleraient mais ils se jettent sous les roues de nos véhicules pour nous empêcher de passer. Ils nous traitent de monstres.
Maman, c’est si difficile.
J’ai si peur !
Difficile, en effet, de commémorer le souvenir du sacrifice et de la souffrance sans évoquer ceux qui vivent dans leur chair cette réalité quotidiennement. Que cela soit sur le front de la guerre en Ukraine, dans les rues de Téhéran, ou en Asie, dans des régions dont on ne parle pas ou peu. Combien de ces lettres tragiques devront encore porter les derniers mots des hommes ?
« Le monde ne retient pas les leçons du passé ! »
C’est toujours ce que nous entendons lorsque les catastrophes humaines surviennent.
Pourtant, nous savons comment cela va se passer et comment cela va se terminer. Les enjeux diplomatiques placent systématiquement l’homme, les petits êtres humains que nous sommes, en dessous de priorités financières et économiques… C’est à tout un chacun de faire exister la volonté de nous unir, de construire ensemble, d’accepter la différence, de se montrer solidaire et cela à chaque difficulté.
En ce jour de mémoire, … veillons à ce que la nôtre ne soit pas trop courte et que nos forces s’unissent à nouveau, chaque jour, pour relever les défis de notre actualité.
Chantez fort les enfants, pour que vos voix couvrent les discours haineux et simplistes.
Construire la Paix et la vivre ensemble est le vrai défi de l’humanité.
Chantez fort car déjà certains vous ont entendus !
Vive le Roi !
Vive la Belgique !
Jean-Pierre Eisenhuth
Président
À la suite de ce discours, les enfants ont chanté avec cœur et conviction, entraînés par Niels Vincent, du Centre culturel. Le bourgmestre, Pierre Lemarchand, a également pris la parole. Le cortège s’est ensuite reformé jusqu’à la Place du Perron, où les enfants ont vigoureusement chanté le Valeureux Liégeois, installés sur les marches du Perron.
Merci à tous les organisateurs de ce moment de souvenir : il est bon de rappeler l’héroïsme, le sens du don de soi et de l’honneur à nos cœurs parfois endormis…