CLÉS POUR LIRE MATTHIEU : 43. LA FOI ET LA CROIX

Clés pour lire l’évangile de Matthieu

Dans cette série hebdomadaire, nous voulons fournir des clés pour ouvrir et apprécier l’évangile de Matthieu dont nous suivons la lecture liturgique. Aujourd’hui : Mt 16, 21-27 du 22e dimanche ordinaire.

La croix, épreuve de la foi
« Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » (Mt 16, 23)

Il y a un lien étroit entre la foi et la mort de Jésus, entre la foi et la croix. Mais ce lien, Pierre ne peut l’accepter : « Dieu t’en garde, Seigneur ! » (16, 22) La croix est en contradiction avec un Messie sauveur, elle est la contestation radicale de toute définition de Dieu en termes de puissance. Un Dieu crucifié contredit tout ce que les hommes se représentent, désirent et attendent de Dieu et de la religion. Car que peut-on espérer d’un Dieu qui meurt en croix ?

La croix est bien l’épreuve de la foi. C’est devant la croix que tout se joue, que naît la foi chrétienne. Le Dieu crucifié ne répond à aucun des besoins religieux de protection et d’intervention en notre faveur que nous attendons d’un Dieu efficace. Un Dieu crucifié, aucun homme religieux ne peut l’avoir inventé. On ne peut qu’y croire. Seule la foi donne accès à un tel Dieu.

Prendre sa croix
Suivre le Christ, mettre sa foi en lui, signifie renoncer à soi-même et prendre sa croix sur soi. Cela va, selon St Paul, jusqu’à « offrir sa personne et sa vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu. » (Ro 12,1). Cette croix, propre à chacun, n’est pas faite des malheurs et souffrances inévitables que tout homme rencontre. Il ne s’agit pas non plus des sacrifices volontaires que le disciple s’impose pour imiter Jésus. Il s’agit de la croix que suscite la vie et la mission de disciple du Christ. L’existence du chrétien est, comme celle de son Maître, un signe et un objet de contradiction. La persécution des chrétiens en est la dramatique illustration. Prendre sa croix, c’est en définitive accepter de faire sienne la destinée du Christ, mis à mort sur la croix.

Abbé Marcel Villers

Le sacrifice qui plaît à Dieu

Homélie de  l’abbé Marcel Villers pour le dimanche du Saint-Sacrement (Année B) – Theux le 3 juin 2018

Ce soir-là, à l’étage, dans une grande salle, Jésus rassemble ses disciples pour la dernière fois. En ce moment ultime, Jésus accomplit des gestes et prononce des paroles essentielles, des gestes et des paroles qui le définissent tout entier, des gestes et des paroles qui disent sa mission et expriment qui il est.

Il prit du pain, le rompit et le leur donna, en disant : Prenez, ceci est mon corps. Jésus se définit lui-même quand il fait ainsi du pain rompu le signe de son corps brisé, de sa vie donnée, de toute sa personne livrée par amour pour nous. De même, Jésus se définit quand il partage la coupe de vin en affirmant que son sang est versé et répandu pour la multitude. Ceci est mon sang, le sang de l’alliance.

Oui, vraiment, tout est clair. Jésus se définit en se donnant : comme le pain rompu et le sang versé. Jésus est don de soi et, par ce don, nourriture, source de vie pour la multitude. Ces gestes et ces paroles n’annoncent pas seulement le sacrifice que Jésus fait de lui-même sur la croix. Ils résument toute son existence : une vie livrée pour autrui. Pour nous, le Christ a été livré et s’est livré.

Sacrifice de la croix, sacrifice de la messe. Le sacrifice change de sens. Le sacrifice chrétien n’est plus dans l’immolation du corps, mais dans l’oblation du cœur ; il n’est plus dans le sang répandu, mais dans le don de soi. La croix du Christ a encore réuni les deux : le sacrifice sanglant et l’offrande du cœur. C’est un exemple que je vous ai donné, nous dit le Christ lors de la dernière Cène, afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. 

Et saint Paul d’expliciter : Vivez dans l’amour comme le Christ nous a aimés et s’est livré pour nous en offrant à Dieu le sacrifice qui pouvait lui plaire. Le sacrifice qui plaît à Dieu : vivre dans l’amour comme le Christ. Et Jésus précisera : il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime (Jn 15,13).

Le sens du sacrifice est hissé à sa plus pure expression. Nous ne sacrifions plus rien à Dieu, nous ne détruisons plus rien, taureaux ou agneaux. Il n’y a plus de sang répandu et aspergé, comme au temps de Moïse. Et le Christ, nous dit la lettre aux Hébreux, n’a pas répandu le sang des animaux, mais son propre sang. Il s’agit d’aller au bout de l’amour, de se soucier d’autrui jusqu’à y laisser sa vie, de consentir à mourir à la place d’autrui.

Sacrifice du Christ, sacrifice de la croix, sacrifice de la messe.
L’eucharistie, à travers le temps et l’espace, est la mémoire vivante et active de l’amour qui a poussé Jésus à proclamer la Bonne Nouvelle du Royaume, à se donner tout entier aux petits et aux malades, à livrer sa vie jusqu’au bout. Dans l’eucharistie, nous reconnaissons l’expression suprême de l’amour de Dieu pour les hommes : Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique.

Sous les espèces du pain et du vin, c’est ce Fils unique qui nous est livré, offert. Dans le pain et le vin eucharistiques, c’est Jésus lui-même qui nous est donné, c’est à lui que nous sommes invités à communier. En célébrant la messe, l’Église se reconnaît comme née d’une vie livrée. En communiant, le chrétien manifeste que sa vie dépend du don que le Christ lui fait de la sienne.

De la célébration de l’eucharistie surgit un impératif : si le Fils de Dieu s’est livré pour nous, alors nous sommes entraînés à faire du don de soi notre réponse au Seigneur.
Tel est le sens profond du : Faites ceci en mémoire de moi.
Communier, c’est communier aux mêmes sentiments que ceux du Christ, lui qui ne s’est jamais retenu, mais toujours livré, donné. Communier, c’est donc un engagement, celui de vivre comme Jésus a vécu. Alors toute l’existence chrétienne devient mémoire du Christ et de son agir, corps livré et sang versé pour la multitude.
Tel est le sens chrétien de l’existence humaine : le don de soi.

Abbé Marcel Villers