Un trésor caché
Dans notre bonne vieille Fenêtre de Theux, la semaine dernière, a retenti comme un cri : « Cela repart » ! Cette semaine, nous sommes loin d’être dans le top 20 des communes les plus touchées avec 8 ou 9 cas de Covid détectés contre 50 ou 60 ailleurs. N’empêche, la réalité se rappelle à nous au creux du climat d’insouciance que procurent l’été et les vacances.
« En ce temps-là, nous dit l’Évangile de Matthieu (13, 44-52), Jésus disait à la foule ces paraboles : Le Royaume de Dieu est comparable à un trésor caché dans un champ ; l’homme qui l’a découvert le cache de nouveau. Dans sa joie, il va vendre tout ce qu’il a et il achète ce champ… ». Il y a quelques dimanches que Jésus nous emmène aux champs : celui du semeur, celui du bon grain et de l’ivraie. Mais n’est-ce pas le même ? Pourquoi cette insistance si ce n’est pour nous conduire à un trésor ? Trésor caché et à trouver, par hasard ou par chance (visage masqué de la Providence). Trésor que Jésus compare au Royaume de Dieu. Trésor qui pourrait nous surprendre… Si Jésus a pris la parole en ce temps-là, c’est aujourd’hui qu’il s’adresse à nous. Nous qui sommes plongés dans cette pandémie qui connaît un discret mais certain rebond. Le psycho-analyste et formateur en communication non-violente Vincent Houba constate que, depuis notre naissance, notre société fait tout pour séparer le couple vie-mort. Toutefois, « cette peur qui rôde dans le sillage du virus nous invite à une lumineuse plongée intérieure : où en suis-je avec l’intégration de ma propre mortalité ? Ce début de fin d’un monde que nous vivons à l’échelle planétaire ricoche sur la fin du monde qui ricoche sur la fin de mon monde qui ricoche sur la fin de ma propre vie. Par conséquent, tant que je n’ai pas intégré cette mortalité physique, je ne suis pas pleinement incarné et je ne peux pas pleinement participer à l’accompagnement de la vie dans ce monde en mutation. C’est un profond chemin vers soi qui s’invite à nous avant de faire quoi que ce soit d’adéquat pour le monde ». Cette analyse n’est pour moi qu’une paraphrase de ce que Jésus nous déclare. Tout a une fin. C’est d’ailleurs pourquoi il nous sort la parabole du filet jeté à la mer. Si le monde a une fin, j’en ai une aussi. Ma mortalité me donne un cadre pour accueillir l’essentiel : la vie. Vincent Houba dit : « Dans les lois universelles, c’est le cadre qui permet le surgissement du vivant, c’est le fini qui crée l’infini, c’est la frustration qui crée la liberté. Tout ceci est bien difficile à comprendre pour nos esprits à l’étroit dans une conscience ordinaire mais tellement simple à vivre pour notre élan vital quand il peut rayonner à l’infini dans l’étroitesse de notre incarnation ». Pour nous, disciples du Christ, cela devrait être d’autant plus simple que la vie est Quelqu’un : Jésus lui-même. Il est l’origine et la fin de notre élan. Soit dit en passant, quel merveilleux hasard (?) que le français utilise le même mot « fin » pour désigner à la fois un terminus comme la mort et un objectif, un sens ou une direction. Il utilise aussi la même consonance pour la « faim » qui renvoie à ce qui nous est nécessaire pour vivre…
Bref, Jésus, si nous nous attachons à lui, n’a d’autre fin et faim que de nous faire vivre au creux du champ de notre finitude. « Si nous mourrons avec le Christ, avec lui nous vivrons » affirme Paul. Il dira encore : « Le Christ est mort pour nous afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui qui est mort et ressuscité pour eux ». Dans la vie spirituelle, comme dans la vie psychique évoquée plus haut, le couple mort-vie est indissociable. Notre foi au Christ est bien celle qui s’attache à Jésus mort et ressuscité. En Jésus le Christ, le couple est aussi uni. Paul nous déclare à travers son adresse aux Corinthiens (2Co 5, 1-21) : « Frères, nous le savons, en effet, même si notre corps, cette tente qui est notre demeure sur terre, est détruit, nous avons un édifice construit par Dieu, une demeure éternelle dans les cieux qui n’est pas l’œuvre des hommes. En effet, actuellement, nous gémissons dans l’ardent désir de revêtir notre demeure céleste par-dessus l’autre, … En effet, nous qui sommes dans cette tête, notre corps, nous sommes accablés et nous gémissons car nous ne voudrions pas nous dévêtir mais revêtir un vêtement par-dessus l’autre, pour que notre être mortel soit absorbé par la vie. Celui qui nous a formés pour cela même, c’est Dieu, lui qui nous a donné l’Esprit comme première avance sur ses dons. Ainsi, nous gardons toujours confiance tout en sachant que nous demeurons loin du Seigneur, tant que nous demeurons dans ce corps ; en effet nous cheminons dans la foi et non dans la claire vision. Oui, nous avons confiance et nous voudrions plutôt quitter la demeure de ce corps pour demeurer près du Seigneur. Mais de toute manière, que nous demeurions dans ce corps ou en dehors, notre ambition est de plaire au Seigneur ». Paul qui, « sur son chemin de Damas », a rencontré le Vivant, sans savoir trop bien si c’est en son corps ou hors de lui (2Co, 12), ne met pas l’accent ici sur « l’avenir » de notre corps mortel mais sur ce que nous y vivons dans l’incarnation et sur une confiance absolue à placer en Dieu qui nous a rendu « capables de lui ». Si un auteur comme V. Houba nous invite à comprendre et intégrer le lien mort-vie, l’Apôtre nous appelle à nous en remettre à Quelqu’un que « nous connaissons ». Dieu est inconnaissable mais Jésus qui est venu et vient à nous par l’Esprit, l’est bel et bien.
Nous sommes comme dans le champ au trésor. Laissons-nous creuser et habiter par la joie de connaître Jésus. Osons lui remettre tous nos biens même les plus chers c’est-à-dire nous-même. Saint Grégoire le Grand commentant la fin de l’évangile de Jean évoque Marie-Madeleine, la disciple du Seigneur. « Mais Marie restait là dehors, à pleurer » (NDLR : dans le jardin/ champ après le départ des autres disciples)… À ce sujet, il faut mesurer avec quelle force l’amour avait embrasé l’âme de cette femme… Elle recherchait celui qu’elle ne trouvait pas, elle pleurait en le cherchant, et embrasée par le feu de son amour, elle brûlait du désir de celui qu’elle croyait enlevé. C’est pour cela qu’elle a été la seule à le voir, elle qui était restée à le chercher, car l’efficacité d’une œuvre bonne tient à la persévérance… Ce qui s’est produit, c’est que ses désirs ont grandi à cause de son attente et, en grandissant, ils ont pu saisir ce qu’ils avaient trouvé car l’attente fait grandir les saints désirs. Si l’attente les fait tomber, ce n’était pas de vrais désirs. C’est d’un tel amour qu’ont brûlé tous ceux qui ont pu atteindre la Vérité ».
Tiens, Jésus la Vie est dit la Vérité. Sans nul doute, c’est parce qu’il est aussi le Chemin. Croire que la découverte du trésor dans le champ, son enfouissement et la liquidation des biens pour l’acquérir conduit à une paix royale est une grande illusion. Marie-Madeleine a connu la joie de la présence physique du Seigneur et se retrouve auprès d’un tombeau vide. Après avoir rencontré Jésus et connu des lumières d’amitié avec lui, nous ne pouvons l’enterrer dans notre champ ou l’enfermer dans un coffre-fort et puis basta. De même que le Saint-Sacrement n’est pas fait pour rester ad vitam dans le tabernacle, qui pourrait mettre la main sur Jésus ? C’est très vite ce que nous éprouvons sur le chemin de la vie avec lui. Il a l’air absent. C’est la nuit. Les aubes, fussent-elles au Jardin, sont fugaces, la nuit met du temps à se faire jour. Par le commentaire de Grégoire, nous avons une piste sûre pour intégrer cette obscurité : faits pour l’amour et son désir, il est bon que celui-ci se creuse en vue de celui-là ! Déjà Isaïe s’exclamait : « Vraiment tu es un Dieu qui se cache, Dieu d’Israël sauveur ! » (Is 45,15-25). Jésus est le digne fils de son Père !
Au final, nous en revenons à l’humilité et à l’attachement à Jésus évoqués plus avant. Écoutons ce que nous en dit Fabrice Hadjadj lorsqu’il la lie à la charité : « Si la foi a quelque proportion avec notre étoffe temporelle, puisqu’elle est pour le temps, la charité (…) est pour la vie éternelle. Plus large que nous-même, bien qu’en nous-même, elle échappe à notre saisie. C’est ce qui fait son lien avec l’humilité : nul n’est certain d’être humble et celui qui se le croit assez ne l’est déjà plus. Or cette incertitude quant à l’humilité comme à l’amour est ce qui fait échapper aux contorsions introspectives et fonde l’insouciante liberté des enfants de Dieu. Le fidèle n’est pas comme qui se tâte le pouls, prend sa température, sent qu’il croit beaucoup ce matin, un peu moins cet après-midi, arrive mécréant au soir, à moins qu’après les comptes de la journée, il ne palpe d’un coup cette foi énorme que son chiffre d’affaire mesure ». Retenons qu’en plus de garder vivante et croissante notre attache au Seigneur Jésus, la nuit dans la foi nous garde, par l’humilité, d’un mauvais compagnonnage avec nous-même et qui sait avec d’autres, pas très bien intentionnés…
Je vous souhaite donc cette semaine, à partir de votre champ où repose le trésor du Seigneur, de pouvoir contempler, la nuit, le ciel étoilé. Source de paix. Source d’émerveillement. Si jamais cette lecture vous a conduit vers des choses insaisissables pour l’instant, pourquoi, avec humour, ne pas écouter La Truite de Schubert avec un bon verre à la main en vous disant que l’important est de se laisser ramener dans le filet de Dieu et non de le capturer, lui qui est la Vie à profusion ?!
Jean-Marc,
votre curé