La chronique de notre Curé du 11 avril 2021

Le BON JARDINIER

La mémoire de la Pâques de Jésus nous a fait passer du bois sanglant de la croix à la terre froide et sombre du tombeau. Terre ? Non, pierre… « Joseph le déposa dans une tombe qui était creusée dans le rocher… » (Mc 15.16b). Jean l’Évangéliste précise : « A l’endroit où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin et dans ce jardin, un tombeau dans lequel personne n’avait été déposé » (Jn 19.41). Le décor pour l’inattendu a ainsi été planté. 

Ce qui me frappe cette année à l’écoute des Écritures, est la concordance sur la solitude du cadavre de Jésus. Mathieu parle de la tombe comme celle destinée à l’origine pour Joseph d’Arimathie : « Il le déposa dans un tombeau neuf qu’il s’était fait creuser dans le rocher » (Mt 27. 60). Luc confirme à la suite des autres : « … et le déposa dans une tombe taillée dans le roc où personne n’avait été mis » (Lc 23.53c). Si vous parcourez encore aujourd’hui les routes d’Israël, on vous montrera quelques exemplaires de ces tombeaux d’époque. En fait, ce sont des caveaux destinés à plusieurs personnes. En général, ils présentent deux parties, une antichambre pour le dépôt provisoire et une chambre pour les gisants. Alors que peut nous apporter ce détail historique de Jésus mis seul au tombeau ? Pas grand-chose sinon la certitude de ce que tout le monde sait. Jésus est mort et enterré. Comme nous tous, un jour. Toute histoire humaine a une fin inéluctable. 

Un rocher, un jardin, celui de la mort ; et pourtant ? « Dieu nous jardine, exprime l’auteur Didier Decoin, … la créature humaine suit le cycle de la plante et celui qui ordonne cela, c’est le Christ ! De même qu’il est aussi la plante de son Père. Ce que Dieu le Père fait de Dieu le Fils, c’est ce qu’un jardinier fait d’une plante, avec la même sévérité – presque la même cruauté – mais aussi le même « laisser-devenir« . La vertu première du jardinier, c’est l’humilité, celle qui consiste à se reconnaître impuissant face au cycle de la nature. » 

Oui, mais… Dans le creux de la roche, quelque chose semble s’être passé. Quelque chose qui n’appartient peut-être pas à l’histoire car ce qui s’est passé n’est pas scientifiquement démontrable ?! Cette énigme va demeurer une question pour la raison et l’esprit. A défaut d’indices sérieux, l’affaire deviendra une « cold case ». Cold, froide aussi froide que la pierre où le mystère a surgi. Le tombeau a été trouvé vide ! Sans effraction apparente ! 

Le jardinier lui sait que « si le grain ne tombe en terre, il demeure seul. Mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits ! » Il fallait que Jésus meure pour qu’advienne le Christ ! Seul le cœur animé par la foi peut appréhender cette réalité. Peut-être est-ce pour cela que les premiers témoins de la résurrection sont des femmes. Les mêmes qui avaient accompagné le corps du Nazaréen jusqu’au tombeau. « Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques et José » nous dit saint Marc (Mc 16.1). En fait, il cite trois fois ces noms sur quelques versets comme s’il avait peur qu’on les oublie. Il n’avait pas tout à fait tort. Seule Marie Madeleine émerge souvent de la mémoire collective chrétienne ! Pour elles, l’expérience n’est pas limpide. Après la rencontre du jeune homme vêtu de blanc, « elles s’enfuirent loin du tombeau car elles étaient tout tremblantes et bouleversées : et elles ne dirent rien à personne car elles avaient peur » (Mc 16.8). C’est sur cette peur que se termine une des versions originales de cet Évangile ! Nous sommes loin d’une lumière, d’une clarté évidente ! 

Chez saint Jean (ch 20), le parcours de la seule Marie de Magdala est plus détaillé : que de rebondissements ! Découverte de la pierre roulée (elle n’entre pas), recours à Pierre et Jean, solitude malheureuse après leur départ. « Marie était restée dehors, près du tombeau et elle pleurait. » Le départ du corps de Jésus ne fait pas d’abord espérer mais désespérer. Toutefois, enfin Marie se penche et regarde l’intérieur du tombeau dont le vide autour des linges la renvoie déjà à une autre présence… pas évidente. Elle cherche toujours le corps de son bien-aimé. Quelqu’un vient et elle le prend pour un jardinier alors qu’il est Le Jardinier ! Ce n’est que lorsque le Christ prononce son nom « Marie » qu’elle le reconnaît … comme son ancien guide ! « Rabbouni ! » « Maître ! » Le paradoxe est qu’elle a appelé ses interlocuteurs précédents « Seigneur » ! Appréhender que Jésus soit vivant ne donne pas accès immédiat au Christ Seigneur. 

Jean nous fait quitter le jardin ce dimanche pour nous conduire au cénacle (ch 20.19-31). La plupart des déserteurs du vendredi sont là. Devant la crainte, ensemble, on est plus fort. A moins que les récits de Pierre et de l’autre disciple, celui que Jésus aimait, celui qui a vu et a cru d’emblée, n’aient déjà éclairé leur tristesse et leurs doutes profonds. Toutefois, manque Thomas, le jumeau, notre jumeau. Où est-il ce soir-là ? Caché seul dans son coin ? Occupé à essayer de se fondre dans la foule des anonymes ? Réalité d’un creux de foi plutôt que le mystère d’une quête historique. Cependant, une semaine après, il est là et, devant les témoignages des autres, il fait part de ses réticences. « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans son côté, non, je ne croirai pas ! » Notons dans son expression qu’il est déjà prêt à croire à quelque chose et qu’il veut surtout être certain qu’il a affaire au Crucifié. Comme Marie Madeleine, il reste attaché au corps de son ami, de son guide. Jésus le Christ arrive et l’invite à passer aux actes -si j’ose dire. Et là, stupéfaction, Thomas pose un acte de foi. « Mon Seigneur et mon Dieu. » Plus besoin de voir et de toucher pour croire. Il a entendu et a été entendu. Lui qui avait l’air d’avoir pris un certain retard fait un bond en avant. Un peu comme une plante qui épanouit ses bourgeons sous un soleil matinal ! 

Retour au jardin avec Marie Madeleine. C’est quand elle a rencontré le Christ dans sa transcendance qu’elle peut témoigner, enfin ! « Ne me retiens pas (ne me touche pas) car je ne suis pas encore monté vers mon Père qui est votre père, vers mon Dieu qui est votre Dieu. » Marie rapporte aux disciples ou plutôt témoigne : « J’ai vu le Seigneur et voilà ce qu’il m’a dit. » Elle ne fait pas écho d’une rencontre comme d’un fait divers mais d’une expérience de foi. Elle nomme Jésus « Seigneur » (Kyrios = Dieu) et fait sans doute part de ce que Jésus ressuscité lui a révélé sur lui et nous. Nous sommes enfants du même Père ! 

Cette année, nous avons vécu « Pâques au tison ». Le temps, les météores comme la pluie ou la neige accompagnent souvent nos états d’âme. Mieux, ils les décrivent en image, avec poésie. Peut-être que nous vivons ce temps pascal avec morosité. A cause de l’ambiance extérieure. A cause, aussi, d’un coup de froid sur notre jardin intérieur. Les Écritures nous rappellent que notre parcours humain, notre chemin de disciples, notre éveil comme enfant de Dieu ne diffèrent pas de ceux des proches de Jésus. Pour grandir et être fécond, il faut consentir. Consentir à notre finitude, consentir au manque. Passer par l’absence d’évidences et entrer dans un laisser faire. L’attitude du jardinier ne peut que nous inspirer : il ne peut forcer une plante à pousser. Mais il peut l’aider. Le Bon Jardinier sait s’y prendre avec les différentes variétés de végétaux. Regardons les histoires de Marie de Magdala, des autres femmes, de Thomas… regardons la nôtre. Tous, chacun et chacune, avons un jardin secret. Et dans ce jardin, le Seigneur, comme en Genèse*, vient se promener « au souffle du jour » (Gn 3.8). Par le Christ, nous n’avons plus à avoir peur et à nous cacher. Les récits de résurrection sont parcourus d’hommes vêtus de blanc. Notre baptême nous a fait revêtir le Christ, nous sommes à lui ; nous sommes de lui… 

Alors au jardin, près de l’arbre de vie, laissons-nous entraîner par la joie de la création qui est celle du Jardinier ! « Vous, toutes pluies et rosées, bénissez le Seigneur… et vous, la fraîcheur et le froid, bénissez le Seigneur ! Et vous, le givre et la rosée, bénissez le Seigneur, et vous, le gel et la froidure, bénissez le Seigneur et vous, la glace et la neige, bénissez le Seigneur ! … Et vous, les plantes de la terre, bénissez le Seigneur ! … Et vous, les enfants des hommes, bénissez le Seigneur, les saints et les humbles de cœur, bénissez le Seigneur ! Le Christ est vivant pour toujours ! Alléluia ! Alléluia ! 

Bon dimanche du Quasi Modo et belle semaine. 

Jean-Marc,

votre curé 

Ps : *En illustration, le tableau « La terre ou le paradis terrestre » de Jan Bruegel. Paris. Le Louvre. Détail où, en fond, l’homme et la femme dialoguent avec Dieu(Source Commons Wikipedia). 

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