La chronique de notre Curé du 13 juin 2021

Qu’il est bon de rendre grâce

En ce début juin, le clin d’œil de l’histoire nous a placé sous le signe de la libération. Il y a eu, bien sûr, la commémoration du 6 Juin 1944, où les forces alliées entamaient une reconquête radicale de l’Europe face au joug nazi. En notre année particulière, le mercredi 9 a vu le début de la fin du confinement sanitaire avec allègement des mesures et accessibilité retrouvée à des lieux fermés parfois depuis plus d’un an. Et pourtant ?! Voilà que la bête noire, la peste brune que l’on croyait anéantie revient en politique sous diverses formes, ce n’est d’ailleurs pas le seul extrémisme que nous pouvons hélas débusquer… Voilà que nous sommes à l’abord du « monde d’après » : il faut reconnaître qu’il est bien difficile, lui, à repérer ! Les grands problèmes « d’avant » sont toujours bien là avec des solutions rarement bien définies. A cela s’ajoutent les séquelles de la crise : les deuils, le personnel soignant essoufflé, les soins postposés, les pertes d’emploi, les faillites… D’aucuns pointent aussi une impression de violence accrue tous azimuts. Là, heureusement, les études montrent que cette impression est fausse. Notre société est globalement moins violente que celle d’il y a quelques décennies. Toutefois, les médias amplifient certaines choses ce qui sape le moral de certains. Et ce qui est indéniable, c’est que la violence a investi avec grande ampleur les relations humaines via les réseaux sociaux. Là se révèlent beaucoup de petits führers et autres sbires de la perversité et de l’agressivité !

Et dans nos bulles paroissiales ? L’air se fait plus respirable, l’attente et la joie des retrouvailles est bien là. Cependant, après un an et demi, on voit que le temps a passé, il a marqué certains plus que d’autres. Un doute, aussi, subsiste : tout le monde reviendra-t-il ?

«En ce temps- là, parlant à la foule, Jésus disait… » (Mc 4.26-34). Lorsque notre prophète prend la parole, il a de quoi désespérer. Comme l’Évangile nous le montre, la mission est loin d’être un succès. Et que d’incompréhensions demeurent sur le Royaume de Dieu ! Même chez les disciples, les plus proches. Alors Jésus se met à parler en histoires simples, en paraboles à connotation agricole compréhensibles par tous. Il assimile la croissance du Royaume au travail de la terre qui va des semailles à la moisson. Dans une courte parabole originale – seul Marc en a gardé trace – Jésus évoque rapidement tout un processus de travail pour montrer que tout ne dépend pas de lui ! Ceci rappelle la parabole du semeur (Mc 4. 3- 8) où les obstacles désespérants sont détaillés. Mais ce qui compte, c’est que la fécondité est là, la force de la vie est une victoire sur l’adversité. La parabole du grain de moutarde insiste sur cette réalité fondamentale. Au passage, Jésus définit le règne de Dieu qui est là donné : c’est simplement la vie avec Dieu. Vie qu’il donne, vie qu’il fait fructifier ! Aujourd’hui, encore, nous ne pouvons évaluer l’impact complet de nos actions, de nos échecs. Heureusement, cela nous conduit à l’humilité qui nous préserve de la désespérance ! Tout ne dépend pas de nous mais essentiellement du Seigneur !

« Jésus leur annonçait la Parole dans la mesure où ils étaient capables de l’entendre mais il expliquait tout à ses disciples en particulier. » Quand Jésus s’adresse à la foule, il s’adresse à tous, au commun. Cette foule, nous y avons toujours part malgré nos efforts pour nous en extraire. Un exemple : les défauts de nos contemporains que nous pointons si facilement dans nos discussions de café du commerce… nous pouvons le plus souvent nous les attribuer également. Il est bon de prendre conscience de cette « régression ». Pourquoi ? Parce que cela nous protège du pharisaïsme. Parce que cela nous empêche d’avancer masqués dans tous les sens du terme, masqués d’une aura de perfection et de vérité… qui n’est qu’un vernis. « Sépulcres blanchis » dira un jour, Jésus (Mt 21.27) dans une juste colère. Personnellement, cette semaine, j’ai enchaîné un conseil pastoral mercredi soir avec un service social jeudi matin. Cela m’a frappé combien les problèmes de communication étaient similaires. Difficulté de parler en « Je », généralisations et jugements qui dissimulent mal des rancunes, quasi impossibilité de faire droit à ses besoins et à ceux des autres… Nous sommes tous en chemin, avec des handicaps similaires. Handicaps qui sont le terreau propice à la violence quotidienne. Si nous sommes conscients « d’être de la foule », notre attachement au Christ nous pousse aussi à être disciples. Quelle grâce ! Quel cadeau !

Vous souvenez-vous, il y a quinze jours, qu’évoquant la période du Deutéromiste, je pointais avec Joseph Moingt, le moment-clé de l’histoire sainte. Les obstacles, les désillusions amènent le peuple à faire droit à la révélation du Seigneur. Dans la première lecture de ce dimanche, nous retrouvons le peuple lorsque la catastrophe est arrivée. Après deux invasions associées à des déportations à Babylone, c’est l’exil pour la plupart. Ézéchiel (17.22-24) prend la parole pour signifier que Dieu n’abandonne et n’abandonnera pas son peuple. Bien avant Jésus, lui aussi s’exprime en parabole : celle de la greffe d’un cèdre ! Au travers du rameau qui prend racine sur le rocher (cf Exode), le prophète annonce une royauté plus humble parce que sortie de l’épreuve, elle s’en remet au Seigneur et retrouve sa vocation première d’être au service de la protection et de la sauvegarde du peuple ! La prospérité véritable ne vient que de Dieu comme l’arbre magnifique qu’est le cèdre qui abrite les oiseaux dans leur multitude. La parole d’Ézéchiel inclut un oracle du Seigneur qui est une promesse. « Tous les arbres des champs sauront que je suis le Seigneur : je renverse l’arbre élevé et relève l’arbre renversé, je fais sécher l’arbre vert et reverdir l’arbre sec. Je suis le Seigneur, j’ai parlé et je le ferai. » L’impuissance éprouvée par le peuple va de pair avec un risque de profonde désespérance qui est en quelque sorte une violence retournée contre soi-même. Une violence mortelle masque le péché originel, me semble-t-il. Dans toute crise, le nœud tourne toujours autour de la confiance et de la désespérance. Quand je parlais du service social de jeudi, un conflit entre bénévoles était difficile à gérer du fait d’une perte de confiance entre partenaires ; dans notre unité pastorale, beaucoup de tensions viennent de blessures du passé et de confiance rompue…

 Dieu par ses prophètes, Ézéchiel, Jésus, nous adresse un appel à lui faire confiance plus qu’à nous-même. Il est fiable. « Le Seigneur est mon roc, ma forteresse et mon libérateur. Il est mon Dieu, mon rocher où je me réfugie, mon bouclier, l’arme de ma victoire, ma citadelle » (PS 18.3). Le psalmiste évoque des images de l’exode et utilise un vocabulaire militaire pour traduire son expérience de confiance. Et nous ? Quelles sont nos images ? Notre vocabulaire ? Moi, je dirai que le Seigneur est comme un serveur auquel j’ai parfois difficile de me connecter mais lorsque que j’y arrive, j’en retire beaucoup de fruits. Ou bien le Seigneur est comme internet, disponible partout et à toute heure. J’actualise mais je demeure attaché aux images de la nature. Aussi le psaume de ce dimanche me parle. « Le juste est comme un palmier. Il poussera comme un cèdre du Liban, planté dans les parvis du Seigneur, il grandira dans la maison de notre Dieu. Vieillissant, il fructifie encore. Il garde sa sève et sa verdeur pour annoncer : « le Seigneur est droit. Pas de ruse en Dieu, mon rocher. » (Ps 91)Même si je n’aime pas trop les dattes pour leur sucrosité et que je préfère un bananier à un palmier, sans parler d’un chêne ou d’un beau hêtre, cette image me parle. Je sais et je dois souvent y revenir. Comme un arbre se reçoit de la terre et du soleil, j’ai à plonger mes racines dans le Seigneur. En ce temps où je vis difficilement, pour diverses raisons, l’entrée dans le « monde d’après » avec l’Église d’aujourd’hui, cette parole me réconforte, me tourne vers l’avenir et me ramène aussi à une priorité : témoigner de qui est le Seigneur pour moi !

Malgré mes doutes et mes questions, avec mes infidélités et mes limites, je perçois que je dois encore laisser Dieu se révéler à moi, à travers moi, j’espère… Malgré le bémol de Paul que je ratifie, je perçois que l’enjeu pour demain est le saut dans la confiance aujourd’hui.

« Frères, gardons toujours confiance, tout en sachant que nous demeurons loin du Seigneur, tant que nous demeurons dans ce corps… » (2 Co 5.6-10)Saut de la confiance avec ce que je suis. Dieu est Dieu, je suis un homme. D’où une radicale différence qui est, je n’en doute pas, une formidable condition de possibilité de rencontre. Je n’ai pas à vouloir être un ange, chacun sa place comme un charme ne peut être un baobab. Consentir sans cesse à ce que l’on est là où l’on est planté …  « de toute manière, …, notre ambition est de plaire au Seigneur » écrit Paul. Avec lui, je reviens au « nous » inclusif explicite. Si j’ai parlé en « je » c’est n’est pas pour écarter qui que ce soit mais justement pour vous appeler à vous exprimer au Seigneur en « je ». «Dans la nature, aucune créature vivante, mammifère ou plante, ne s’inquiète de savoir si elle fait de l’ombre à sa voisine… Il n’y a pas de limite à soi-même. Autrement dit : ne vous limitez pas ! D’autres s’en chargeront pour vous ! » (Jean Sommer, in La Voix cet outil de pouvoir, Lattès). Mal comprise cette citation peut conduire à un égocentrisme exacerbé. Cependant j’y vois une paraphrase du texte qui a inspiré Nelson Mandela : ne pas avoir peur de sa propre lumière. Parce que nous sommes tous enfants de Dieu, nous lui devons la vie et c’est une merveille ! Nous sommes tous appelés à en témoigner, chacun à notre façon, chacun à notre place. « Qu’il est bon de rendre grâce au Seigneur, de chanter pour ton nom, Dieu très Haut, d’annoncer dès le matin ton amour, ta fidélité au long des nuits. »

Jean-Marc,

votre Curé

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