22. Inculturation, naissance d’un concept
Dès la fin du XIXe s., les anthropologues utilisent le terme d’acculturation pour désigner les interactions entre cultures. Dans les années 1930, ils lient « acculturation » et « inculturation » qui met l’accent sur l’aspect d’intégration par un individu de la culture de son groupe. En missiologie, puis dans les textes officiels, les deux termes sont utilisés, mais finalement, « inculturation » s’impose, en référence à incarnation, pour souligner que la rencontre entre Évangile et cultures veut faire de la Bonne Nouvelle un ferment de transformation et d’enrichissement de la culture. En 1962, le jésuite belge J. Masson forge l’expression « catholicisme inculturé » qui devient fréquente dans les productions jésuites sous la forme « inculturation ».
Lors du Concile Vatican II, le décret Ad Gentes (07/12/1965) sur l’activité missionnaire de l’Église, s’il utilise le vocabulaire de l’adaptation, le transforme dans la perspective de l’inculturation : « A l’instar de l’économie de l’Incarnation, les jeunes Églises assument pour un merveilleux échange toutes les richesses des nations. Elles empruntent aux coutumes et aux traditions de leurs peuples, à leur sagesse, à leur science, à leurs arts, à leurs disciplines, tout ce qui peut contribuer à confesser la gloire du Créateur, mettre en lumière la grâce du Sauveur, et ordonner comme il le faut la vie chrétienne… Ainsi, la vie chrétienne sera ajustée au génie et au caractère de chaque culture » (Ad gentes, n°22).
Dans l’Exhortation apostolique sur l’évangélisation (08/12/1975), Paul VI met en lumière, sans recourir au terme « inculturation », l’obligation pour les Églises particulières « d’assimiler l’essentiel du message évangélique, de le transposer, sans la moindre trahison de sa vérité essentielle, dans le langage que ces hommes comprennent, puis de l’annoncer dans ce langage. » Et le texte insiste : « La transposition est à faire… dans le domaine des expressions liturgiques, de la catéchèse, de la formulation théologique, des structures ecclésiales secondaires, des ministères. Et langage doit s’entendre ici moins sur le plan sémantique ou littéraire que sur celui qu’on peut appeler anthropologique et culturel » (Evangelii nuntiandi, n°63).
Lors de leur Congrégation générale (1974-1975), les Jésuites examinent l’expression « inculturation » sur le plan théologique, ce qui permet au Père Pedro Arrupe (photo ci-dessus, missionnaire au Japon) de l’introduire lors du synode des évêques de 1977 sur la catéchèse. Le terme figure dans le document final de ce synode (Ad populum Dei nuntius, art. 5). En 1978, le Père Arrupe, général des Jésuites, rédige une Lettre sur l’inculturation qu’il définit comme « l’incarnation de la vie et du message chrétiens dans une aire culturelle concrète, en sorte que non seulement cette expérience s’exprime avec les éléments propres de la culture en question (ce ne serait alors qu’une adaptation superficielle), mais encore que cette même expérience se transforme en un principe d’inspiration, à la fois norme et force d’unification, qui transforme et recrée cette culture, étant ainsi à l’origine d’une nouvelle création » (Pedro ARRUPE, Écrits pour évangéliser, Paris, 1985, p.168-169).
Abbé Marcel Villers