HISTOIRE DES MISSIONS : 22. Inculturation

22. Inculturation, naissance d’un concept

Dès la fin du XIXe s., les anthropologues utilisent le terme d’acculturation pour désigner les interactions entre cultures. Dans les années 1930, ils lient « acculturation » et « inculturation » qui met l’accent sur l’aspect d’intégration par un individu de la culture de son groupe. En missiologie, puis dans les textes officiels, les deux termes sont utilisés, mais finalement, « inculturation » s’impose, en référence à incarnation, pour souligner que la rencontre entre Évangile et cultures veut faire de la Bonne Nouvelle un ferment de transformation et d’enrichissement de la culture. En 1962, le jésuite belge J. Masson forge l’expression « catholicisme inculturé » qui devient fréquente dans les productions jésuites sous la forme « inculturation ».

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Histoire des missions : 12 La querelle des rites

12. La crise de l’approche culturelle ou la querelle des rites chinois (XVIIe-XVIIIe s.) 

Les missionnaires jésuites s’illustrèrent par la volonté de faire naître un christianisme adapté aux situations locales. Ainsi, en Chine, Matteo Ricci (1552-1610) élabora une méthode d’adaptation culturelle du langage chrétien en s’inspirant de l’humanisme de Confucius. Deux questions principales guidaient cette démarche : comment traduire Dieu en chinois ; les rites qui honoraient Confucius et les ancêtres étaient-ils d’ordre purement civil et donc non religieux ? Ces deux problématiques, le langage et les rites, constituent l’enjeu essentiel de la démarche missionnaire. Comment traduire dans le langage et les rites d’une autre culture le juste sens de la foi chrétienne exprimé dans les mots et les gestes de la culture européenne ?

Les jésuites firent choix de noms divins empruntés aux classiques chinois et autorisèrent les chrétiens à participer à certains rites considérés comme familiaux et sociaux. Les autres missionnaires considérèrent que cette position revenait à tolérer l’idolâtrie et portèrent la querelle, dite des rites, en Europe où elle suscita, pendant plus d’un siècle, un vaste débat philosophique tout autant que théologique sur nature et grâce, humanisme et salut. En 1742, Benoît XIV condamna les rites chinois. Ce n’est qu’en 1939 que Pie XII leva l’interdiction.

Cette célèbre querelle « représente un cas typique de la tension propre à tout essai d’inculturation : si l’annonce de l’Évangile ne peut se faire entendre qu’en devenant un fait de culture, en-deçà de quelles limites l’incarnation culturelle doit-elle se tenir pour ne point compromettre l’intégrité du message chrétien. » (Étienne DUCORNET)

Abbé Marcel Villers

HISTOIRE DES MISSIONS 8. La cité chrétienne

8. La mission :
créer la cité chrétienne idéale (XVII°-XVIII° s.)

Les réductions, organisées surtout par les Jésuites, mais aussi par les Franciscains, sont d’abord l’expression de la volonté de protéger les indigènes contre les colons, mais aussi une tentative de créer une civilisation chrétienne indigène. C’est un objectif que défendait toute une tradition pour laquelle une rupture avec le monde, considéré comme hostile, était nécessaire pour pouvoir vivre pleinement l’Évangile. L’ambition était de créer un autre monde, une contre-culture, une société à côté de l’autre. Cette perspective anima le mouvement missionnaire. Imaginant arriver sur une terre vierge de toute influence de l’Occident, les missionnaires avaient le projet de construire une société chrétienne, un monde nouveau où l’Évangile serait la référence unique. On est dans le registre de l’utopie.

La réalisation la plus emblématique fut la république des Guaranis organisée par les Jésuites au Paraguay. Ils obtinrent du roi d’Espagne le droit de regrouper les Indiens et de les isoler complètement de la société coloniale dans une sorte de « réduit ». Les Jésuites fondèrent ainsi un État guarani où ils avaient l’occasion de créer de toute pièce la société chrétienne idéale. « Ce fut un système politique théocratique qui survécut grâce à une économie agraire communautaire et à une politique sociale totalitaire, paternaliste. Cette forme de colonisation jésuite était également un processus de civilisation, passage d’une société « naturelle » à la société politique. » (G. Imbruglia)

La première réduction fut mise sur pied en 1609. Il y en eu 40 regroupant 150000 indigènes. L’effondrement suivit l’interdiction de la Compagnie de Jésus par les puissances coloniales catholiques entre 1759 et 1767.

                                  Extrait du film « Mission » (1986)                   

Abbé Marcel Villers

Sur tout ceci, voir Ludovico MURATORI, Relation des missions du Paraguay, 1983.

HISTOIRE DES MISSIONS. 7. Adaptation aux cultures (XVIIe s.)

7. La mission, rencontre des cultures (XVIIe s.)

La deuxième stratégie des missionnaires fut celle de l’adaptation. La rencontre et les échanges entre groupes sociaux et cultures différentes entraînent inévitablement métissage et changements culturels : on s’adapte à l’autre. Cela vaut dans les deux sens : le missionnaire, issu du monde latin et européen, va adapter son discours et son action au contexte social comme à la langue des populations. L’accommodation à la religion et à la culture de ces peuples va conduire à certaines formes de cohabitation ou de « baptême » des rites, fêtes et croyances locales au risque du syncrétisme. On adopte dans la liturgie certains gestes et rites significatifs de la culture locale. Et surtout, on apprend et utilise les langues indigènes. On traduit la Bible et le catéchisme. Parmi les premiers missionnaires du Mexique, Pierre de Gand, (Idegem 1480-Mexico 1572), frère franciscain flamand, étudie la langue des Aztèques et compose un catéchisme illustré sous forme de dessins coloriés.

Les Jésuites furent les plus audacieux dans la mise en œuvre de cette stratégie de l’adaptation. N. Standaert a mis en évidence quatre lignes de force de l’action missionnaire menée par les Jésuites au XVIIe siècle : « la politique d’accommodation ou d’adaptation, l’évangélisation à partir d’en haut, la propagation des sciences et techniques occidentales, l’ouverture et la tolérance à l’égard des autres cultures. » (Le Face-à-face des Dieux, Piconrue, 2007, p. 111)

François Xavier inaugura cette nouvelle forme d’action missionnaire par son approche sympathique et admirative de la culture du Japon où il passa trois ans (1549-1551). Roberto de Nobili (1577-1656), jésuite italien, vécut en Inde en adoptant l’habit et les coutumes des moines hindous. Matteo Ricci (1552-1610), jésuite italien, est le représentant le plus connu de cette méthode de l’adaptation qu’il pratiqua en Chine. Adoptant l’habit des lettrés, maîtrisant la langue et la littérature classique chinoises, il présente le christianisme dans les catégories mentales chinoises. Il est présent à la cour de l’empereur où il se distingue par sa science et sa maîtrise des techniques de l’horlogerie, de la cartographie et de l’astronomie. Le plus remarquable, c’est son argumentation rationnelle et non dogmatique, pour persuader les Chinois de la vérité du christianisme. Il approcha ainsi la forme ultime de la rencontre des cultures : le dialogue.

Abbé Marcel Villers