Homélie pour l’Office du Vendredi Saint à La Reid – 7 avril 2023 (Jn 18, 1-19.42)

Ce soir, je voudrais m’arrêter plus spécialement sur trois acteurs qui interviennent dans le récit de la Passion de Jésus que nous venons d’écouter.

Le premier, c’est Judas. Le traître, dit-on. De fait, son portrait n’est guère reluisant. Mais l’idée négative que nous pouvons en faire est-elle tout-à-fait justifiée ? Bien sûr, il a « vendu » Jésus aux Pharisiens. Cependant, il peut être étonnant que Judas ait suivi Jésus autant de temps pour en arriver à le livrer ? Ne pouvait-il tout simplement se désolidariser des disciples de Jésus et vivre sa vie sans plus s’en inquiéter ?

Rappelons-nous que les semaines et les jours qui précèdent la montée de Jésus vers Jérusalem, celui réalise de nombreux signes, de nombreux « miracles » qui suscitent à chaque fois la même question de la part des Pharisiens : « Par quelle autorité agis-tu ? Pour qui te prends-tu ? Donne-nous un signe éclatant pour que nous n’ayons plus de doute ! ». Jésus n’a jamais répondu à cette sollicitation. Judas n’aurait-il pas voulu provoquer Jésus dans ces circonstances dramatiques, se disant qu’il allait bien devoir se révéler, enfin, au grand jour ? Bien sûr, ceci n’est qu’une hypothèse.

Mais, moi-même, est-ce qu’il ne m’arrive pas de « provoquer » Dieu dans ma prière, en espérant qu’il va se révéler à moi comme je voudrais qu’il soit ?

Le deuxième, c’est Pierre qui renie Jésus, par trois fois. Pierre est confronté à une situation délicate, déstabilisante, voire inattendue : c’est trop fort pour lui. Alors, il dit « Je ne suis pas de ceux-là ; je ne le connais pas ».

Moi-même, confronté à l’affirmation de ma foi, ne m’arrive-t-il pas, comme Pierre, de renier Jésus d’une manière ou d’une autre, par peur ou pour toute autre raison ?

Et enfin le troisième, c’est Pilate. On le sent intrigué par Jésus, on pourrait même penser qu’il a de la sympathie pour lui. Il entretient un dialogue avec Jésus qui le met en question ; le gouverneur tente de le faire échapper à ses bourreaux. Mais, la pression de la foule et l’argument ultime des Juifs : « si tu le reconnais comme roi, tu deviens l’ennemi de l’empereur ! » convainquent Pilate de « se laver les mains de cette affaire » et de livrer Jésus.

Ne pourrait-il m’arriver comme Pilate de privilégier mes intérêts, autorité, pouvoir … et de « livrer Jésus », de l’abandonner moi aussi ?

Et ainsi Jésus finira sur une croix, entre deux malfaiteurs, « devenu ce serviteur si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme, frappé, meurtri, humilié, dépouillé … » (Isaïe 52, 13-53,12).

Sur cette croix , Jésus aura pourtant cette parole : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! »

Quoiqu’il en soit, « Mon serviteur réussira » dit encore Isaïe…  Et en effet, nous savons que Jésus est vainqueur du mal, qu’il est passé par la mort, qu’il est ressuscité et toujours vivant !

Il emmène à sa suite vers le Royaume éternel les pécheurs pardonnés que nous sommes.

Jacques Delcour, dp

 

Clés pour lire Jean : 21. La Passion

Clés pour lire l’évangile de Jean

Dans cette série hebdomadaire, nous voulons fournir des clés pour ouvrir et apprécier le texte de l’évangile de Jean. En ce jour des Rameaux, Jésus entre à Jérusalem pour y souffrir et mourir. Intéressons-nous au récit de la Passion selon saint Jean que nous lisons chaque vendredi saint : Jn 18,1- 19,42.

La Passion du Roi

Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé.
(Jn 19,37)

Exalté et glorifié, tel est Jésus mourant sur la croix. Saint Jean opère ainsi une anticipation remarquable : l’exaltation de Jésus, son intronisation royale à la droite de Dieu, a directement lieu à la croix.
L’élévation du Christ en croix est considérée dans une perspective à la fois royale et de salut : du haut de la croix, Jésus attire à lui tous les hommes pour leur donner le salut ; il devient ainsi le roi de tous ceux qui croient en lui.
La croix représente une véritable substitution de pouvoir : le prince de ce monde est jeté dehors et remplacé par le pouvoir royal de Jésus. Même si « Ma royauté n’est pas de ce monde » (18, 36), la croix est pour Jean un trône où Jésus est installé comme Roi-Messie et Seigneur. « Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. » (12, 31-32)

La structure du récit de la Passion selon saint Jean
Le récit de la passion est construit comme une pièce en trois actes avec chaque fois unité de lieu, de temps et d’action.
Le premier acte (18,1-27) : mainmise des Juifs sur Jésus, a lieu dans l’espace juif, de la nuit au chant du coq avec les grands prêtres comme acteurs, directs ou indirects.
Le deuxième acte (18,28-19,15) : le procès devant Pilate, a lieu au palais de Pilate, du point du jour à midi avec comme acteur Pilate, intermédiaire entre les Juifs et Jésus.
Le troisième acte (19,16-42) : la crucifixion, a lieu sur le Golgotha, de l’après-midi au soir avec comme acteurs la communauté, l’Église (Marie, des femmes, le disciple, Joseph, Nicodème).
Chaque acte se déroule en 7 tableaux (3+1+3) qui se correspondent l’un l’autre (1-7 ; 2-6 ; 3-5) avec le 4e comme tableau central, celui qui donne une clé pour saisir le sens de la passion, 18,12-14 : mort pour tous ; 19,1-3, le cœur de l’ensemble : couronnement de Jésus comme roi ; 19,28-30 : Jésus donne l’Esprit et fait naître l’Église.

Abbé Marcel Villers

Clés pour lire l’évangile de Matthieu. 22. Fausse nouvelle

Dans cette série hebdomadaire (parution le mercredi matin), nous voulons fournir, cette année, des clés pour ouvrir et apprécier l’évangile de Matthieu. Comme la liturgie s’éloigne de la lecture de Matthieu jusqu’à la mi-juin, nous reprenons cette semaine la finale de l’évangile de Matthieu : Mt 28, 11-15.

22. La fausse nouvelle

Ses disciples sont venus voler le corps, la nuit. (Mt 28, 13)

Matthieu est le seul à relater cet épisode. On est dans l’apologétique chrétienne face au monde juif qui refuse de croire à la résurrection de Jésus. Ils avancent comme argument que si le tombeau était vide, c’est que les disciples de Jésus avaient volé son corps.

Les chrétiens, avec Matthieu, leur répondent que les autorités juives avaient demandé à Pilate de faire garder le tombeau pour justement empêcher le vol du corps (27, 64), et de plus la pierre fut scellée (27, 66). Si les disciples n’ont pu voler le corps, alors comment expliquer que le tombeau soit vide ? C’est que Jésus est ressuscité comme le proclament les apôtres.

Mais alors, se demandent les chrétiens, pourquoi les gardes qui ont été témoins de l’ange roulant la pierre (28,4), n’ont-ils pas témoigné comme les apôtres ? C’est qu’ils ont été soudoyés, payés par « les grands prêtres réunis avec les anciens » (28, 11-12), pour propager une autre version : « ses disciples sont venus voler le corps, la nuit pendant que nous dormions » (28,13). Drôle d’argument pour des soldats chargés justement de ne pas dormir.

L’apologétique

« Cette explication [le vol du corps] s’est propagée chez les Juifs jusqu’à aujourd’hui », écrit Matthieu (28,15). Dans les années 80, époque où Matthieu rédige son évangile, les communautés chrétiennes sont en butte à la propagande juive qui combat la prétendue résurrection de Jésus. Leur thèse est celle d’un coup monté par les disciples pour donner raison à l’annonce faite par leur Maître de ressusciter le troisième jour (27, 63). On trouve aussi trace de cette thèse du vol ou enlèvement du corps dans la bouche de Marie-Madeleine (Jn 20, 2). Matthieu répond à cette propagande en accusant les autorités juives de manipulation et corruption de témoins. Il n’empêche que deux thèses s’affrontent : le procès de la foi en la résurrection de Jésus reste d’actualité.

Abbé Marcel Villers