La chronique de notre Curé – 2 août 2020

En ce début août, en la Fenêtre de Theux, nous nous retrouvons sans aucun cas de covid déclaré sur la quinzaine. C’est très bien ! Nos efforts paient et il s’agit de s’en féliciter. Comme tous les Belges, nous avons été contraints de restreindre notre bulle sociale pour le mois qui s’offre à nous. Je dis bien qui « s’offre » comme un cadeau. Cadeau parce qu’il y aura, sans doute, un tas de choses belles et bonnes à accueillir. Cadeau parce que la prévention sanitaire, elle-même, nous offre l’occasion, pas seulement nous impose, de prendre soin des autres et de soi. Ainsi se laver consciencieusement les mains au départ et au retour de la messe (ou des courses) nous conduit à une action citoyenne nécessaire mais aussi à un acte d’authentique charité. Se laver les mains une minute est suffisamment long pour penser à ceux que je vais ou que j’ai rencontrés. Se laver les mains ne vaut-il pas, alors, un temps de prière et d’oraison ? Se laver les mains, en les circonstances actuelles, dans l’Esprit, nous invite au respect du premier commandement : celui de l’amour. « Celui qui dit « Je le connais » et qui ne garde pas ses commandements, n’a pas la vérité en lui » (1Jn 2,3). Venir à l’église sans y porter son masque ou se désinfecter les mains à l’entrée, par négligence ou par choix éhonté, est non seulement incivique mais un péché… Comment puis-je clamer que j’aime Dieu et mes frères, si au travers d’un simple geste, par action ou par omission, je mets en danger la santé des autres ?

La semaine dernière, j’évoquais la nuit de la foi et l’humilité. Quoi de plus humble que se laver les mains en période d’épidémie ? Un minuscule et invisible ennemi nous conduit à un dépouillement et nous fait mettre en œuvre non seulement « le lavement des pieds » mais quelque chose de la Passion. Le dépouillement n’est pas choisi mais consenti. « Père, à toi, tout est possible: emporte cette coupe loin de moi. Mais non pas ce que je veux mais ce que toi, tu veux » (Mc 14, 36). Dans son orgueil ou son inconscience, l’homme se croit toujours capable de repousser sans fin les limites. Le XXème siècle s’ouvrait sur un immense champ de possibles dus à la science et à l’économie : il y a eu l’événement parabole du naufrage du Titanic, prémice de catastrophes de belle ampleur. Le XXIème s’est ouvert sur une soif de libéralisation à tout va : dès 2001, il y a eu les attentats du 11 septembre. Aujourd’hui, nous envoyons des sondes vers Mars mais des pans entiers de notre activité sont paralysés par un virus qui n’a rien de virtuel. N’y a-t-il pas là un formidable appel à la pleine conscience dans le concret ? Lorsque le physique, le corps, est touché, c’est tout l’être qui l’est. Si Jésus multiplie les pains (Mt 14,13-21), ce n’est pas seulement pour nourrir les ventres affamés mais pour rassasier l’humanité dans toutes ses dimensions. La foule qui s’assied devient un peuple. Elle s’était, en hors-d’œuvre, nourrie de la Parole du Maître : elle ne comprendra pas tout de suite comment Jésus veut la conduire vers une vie plus libre, plus authentique. L’Évangile de Jean nous montrera Jésus se cacher car « on » veut le faire roi !

Dans notre actualité pandémique, certains disent qu’il y a comme une nécessité d’inverser la pyramide de Maslow. Vous savez ce schéma qui classifie nos besoins fondamentaux : en bas, les besoins physiques, au plus haut, les besoins relationnels et spirituels. Justement, n’est-ce pas ce que nous faisons en nous lavant les mains ou en portant un masque ? Par un geste physique des plus élémentaires, nous prenons soin des autres ! Et Jésus, regardons-le encore ! Au lieu d’organiser une intendance à grande échelle, il part du dépouillement des disciples qui sont dépassés. « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Parole irrationnelle, folle d’autant qu’elle bouscule à une certaine écoute : « Donnez-leur de vous-mêmes à manger ». De ce désarroi, Jésus les conduit à l’humilité : « Nous n’avons là que cinq pains et deux poissons ». C’est de ce peu que Jésus va accomplir le signe du plus superlatif. Du peu dans le réel (les pains et les poissons), du peu dans la volonté des disciples qui s’en remettent au Seigneur… Naguère, quelqu’un avait été aussi bouleversé ou plutôt bouleversée. Odunômenos écrit Luc en grec : angoissé, tourmenté, torturé. Il utilisera le même terme pour décrire l’expérience du riche aux enfers (Lc 16,24) … La personne en question, vous l’aurez compris, c’est Marie associée à Joseph lors de l’épisode du Temple. « Enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois ! Ton père et moi te cherchions dans l’angoisse » (Lc 2,48). La vie avec Dieu conduit au dépouillement et nécessite un acquiescement humble. La vie avec Dieu se trouve illustrée dans la relation parents/enfants comme dans celle des maître/disciples. « Aimer c’est souffrir » dira le commun. Oui mais d’une souffrance qui ne vient pas du mal. Elle vient de l’écart entre des êtres vivants et différents. Fabrice Hadjadj commente : « La foi de Marie est sans faute; elle n’est cependant pas sans faille : elle souffre ici-bas quelque chose qui peut se comparer aux peines de l’enfer, et qui est l’épée de cet amour ouvrant dans son cœur une faille assez grande pour qu’elle y recueille la plénitude déchirante du mystère divin… Marie ne comprend pas les dires de son fils (Lc 2,50). Qu’est ce qui la distingue donc de ceux dont le Fils dira, citant Isaïe, qu’ils entendent sans comprendre (Lc 8,10) ? Simplement ceci : Sa mère gardait toutes ses paroles dans son cœur (Lc 2, 50-51). La Parole est un glaive, son cœur en est le fourreau. Là où d’autres le ferment, le sien reste ouvert pour que l’incompréhensible y demeure avec tout son tranchant (p 283, dans La foi des démons…).

Pour nous, cela fait plusieurs dimanches que le Seigneur, au travers du discours en paraboles et de son accueil, nous invite à ne pas être de « ceux qui entendent sans comprendre ». Aujourd’hui, en partageant l’expérience des disciples, le dépouillement, la confiance en Jésus dans l’exercice de la charité, ils nous mettent ou nous maintiennent en chemin. Sur ce chemin, Marie a une longueur d’avance et la gardera toujours jusqu’à la fin, grâce à Dieu. Heureusement. La foule qui devient peuple a aussi les disciples devant elles. Eux qui, malgré le compagnonnage avec Jésus, lui demanderont bien après la multiplication des pains : « Est-ce maintenant que tu vas rétablir la royauté en Israël ? » Eux qui, à l’heure du dépouillement suprême de Jésus sur la croix, auront fui ! Eux qui, avec Marie, lorsqu’ils seront revenus, lanceront la grande aventure de l’Église à laquelle nous participons aujourd’hui. « Le Christ s’est livré pour l’Église, il la voulait sainte et irréprochable » (Ep 5, 25. 27). Si l’Église porte un trésor, si elle est belle, ce n’est jamais par nos actions et nos prières : elle est le lieu où les disciples se laissent guider et éclairer par Jésus ; elle est l’épouse qu’il s’est choisie pour se l’attacher avec des liens d’amour et de tendresse. Elle est la première bénéficiaire comme Marie de ce que Jésus a déjà accompli.

Une enluminure médiévale du XIVème représente un pèlerin au teint blafard, vêtu d’une couple noire, une grande main gauche vide tendue vers une herbe généreuse et abondante ; l’homme paraît épuisé alors que s’approche un être spirituel frêle et ténu qui lui ressemble. L’historienne de l’art Paule Ambart commente : de la nuée, Grâce de Dieu surgissait, petite silhouette tenant dans ses mains le grand bâton du pèlerin. Elle lui reprochait son manque de vigilance et le danger de perdre la mémoire de ce qu’il était : un voyageur allant vers sa lumière. « Je suis petite, disait-elle, parce que tu m’as faite ainsi. Mon apparence est accordée à la place que tu me donnes. Ton cœur s’est refroidi, prie pour le réchauffer ». Nul doute que, lorsque nous prions Marie, « comblée de grâce », nous sommes près de la bonne source. Un Ave, un chapelet, n’est-ce pas, dans notre tradition, la prière des humbles par excellence ? C’est sûrement celle de bien des malades; c’est aussi celle des disciples qui connaissent les tourments dans la nuit de la foi. Par le recours à Marie, il ouvre leur cœur à la Parole sans comprendre tout, mais ils méditent. Alors, l’obscurité de la nuit intérieure, les rafales d’un vent qui tourbillonnent en des cris « Tire ma vie de ce désastre…, Seigneur, sors de ton silence…; réveille-toi, lève-toi ! » (Ps 34) sera un lieu de conversion, de retournement, de paix. Si nos mains sont vides ou quasi, comme les disciples au jour de la multiplication, si nous demeurons prêts à aimer, alors soyons certains que Dieu est là. Souvent, je me remémore cette parole du prophète : « Tu m’as séduit et je me suis laissé séduire… ». Aux jours de famine, je pense et lui dis : « Oui, tu m’as eu. Je me suis fait avoir ». Je le regrette, mais je me présente comme je suis, là où j’en suis… Toujours, la réponse ne tarde pas d’une manière ou d’une autre : « Ma grâce te suffit car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse ». Alors je médite cette parole de Paul qu’il délivre lors de son témoignage de sa rencontre avec le Seigneur ; ce n’est pas un hasard, c’est un enseignement pour la vie avec Dieu. Ce texte de 2 Co 11. 30-33; 12. 1-13 est justement repris en l’office de la mémoire de sainte Marthe, hôtesse (tiens !) du Seigneur.

Ce mot commençait par l’évocation du lavage des mains, j’y reviens. Je nous souhaite de vivre cette semaine la parole du psaume 118 : « Je me lave les mains Seigneur,…, pour dire à pleine voix l’action de grâce et rappeler toutes tes merveilles ».

Jean-Marc,
votre curé

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