Fête de l’Eucharistie
en la Fenêtre de Theux
En cette fête de l’Eucharistie, la communauté chrétienne de la Fenêtre de Theux peut se retrouver pour célébrer son Seigneur. Après le temps des restrictions de sauvegarde sanitaire, nous récupérons petit à petit nos facultés de prière commune ; comme d’autres, nous réinvestissons notre terre de libertés. Nos retrouvailles n’ont cependant pas un air de fête débordante. D’abord en raison de ce que j’ai déjà dit plus avant, la pandémie s’éloigne mais n’est pas finie ce qui implique encore une prudence sérieuse et concrète. Ensuite, comme attendu, le contexte socio-économique est en berne et touche peut-être déjà durement des proches. Il n’y a pas de quoi pavoiser et en même temps, il ne faut pas bouder notre plaisir et notre joie de se revoir.
Aux conséquences prévisibles de la mise en pause de notre société, s’ajoute cette semaine, l’émoi autour de la mort tragique et inique d’un afro-américain (mise en lumière d’un événement hélas pas unique ni nouveau). Il est normal de ne pas taire notre indignation ; toutefois, il y a des manières justes et ajustées et d’autres qui le sont moins. A Theux, il n’y a, que je sache, pas de statues à déboulonner mais comme partout, il y a des idoles à débusquer. La première que je verrai est la tentation de voir les choses en noir et blanc, si j’ose dire. Or, le réel est nécessairement en gris avec toutes ses nuances, gris qui est toujours l’occasion de l’accueil de la lumière. Je mentionne par exemple, pour nourrir modestement le débat sur l’héritage de Léopold II, que je n’ai entendu personne dire que si la Belgique s’est, un temps, hissée au rang de puissance économique mondiale, c’est notamment avec la sueur de ses mineurs, le labeur de ses ouvriers et la peine de ses paysans. Travail dur et pénible sans lequel le génie intellectuel et le pouvoir financier n’auraient pas conduit au développement et à la prospérité… Je laisse cette analyse historique pour revenir aux idoles. La deuxième idole est la tentation de regarder l’avenir avec angoisse et vouloir revenir en arrière. Là, notre expertise de peuple croyant est fondamentale. En effet, aujourd’hui, nous sommes sur le chemin commencé par le peuple de l’Alliance à l’appel de son Dieu qui libère (exode et exil), chemin qui passe, au-delà de la libération de l’humain des esclavages de ce monde, par la libération définitive du péché et de la mort accomplie par le Christ Jésus. Certes, nous, ses disciples et ses frères, nous sommes des porteurs d’aurore qui, comme le dit saint Paul, « font le mal qu’ils ne veulent pas et pas le bien qu’ils voudraient ». C’est le même Paul qui affirme encore que « Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? » Formidable assurance pour nous, les enfants de Dieu. « Vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions : Abba, Père » (Rm 8,15).
Ce dimanche, à la messe, une partie de notre communauté va rendre visible cette action de l’Esprit. Action qui ne laisse de côté personne, surtout pas ceux et celles qui n’ont pas pu venir à l’église, pour une raison ou une autre. La liberté, la vraie, n’exclut personne car elle est don de Dieu. Elle est libération et liberté intérieure. Elle est source pour toutes nos libertés humaines et se doit de le rester dans l’amour du Père et du frère. Sinon, nos libertés modernes risquent de devenir aussi des idoles. La liberté qui se pense absolue, sans racine, sans relation, reconduit à l’esclavage. Celui de l’individualisme, du chacun pour soi même spirituel, celui du consumérisme et du matérialisme !
C’est pourquoi, en ce jour de la fête du Saint Sacrement de l’Eucharistie, c’est un fameux cadeau de se retrouver pour faire Corps avec le Christ, nous sommes bien ses membres et il est la tête. Faire Corps avec lui pour entrer dans la gratuité de l’amour et du don. « Mon Dieu, je tiendrai ma promesse, je t’offrirai des sacrifices d’action de grâce ; car tu m’as délivré de la mort et tu préserves mes pieds de la chute pour que je marche à la face de Dieu dans la lumière des vivants » (Ps 55). « En entrant dans le monde, le Christ dit : sacrifice et offrande, tu n’en as pas voulu mais tu m’as façonné un corps » (He 10,5). L’auteur sacré dévoile bien l’intention et le choix de Jésus qui accomplit ainsi par toute sa vie et son don l’Écriture. « Holocauste, expiation, tu n’en demandes pas ; tu m’as creusé les oreilles alors j’ai dit : Voici je viens » (Ps 40, 7-8).
Mais si le Christ nous rassemble, il se rend présent à tous car il est le Seigneur et Sauveur. L’Église est un peu comme un iceberg : elle a une partie visible et une invisible. Aujourd’hui particulièrement, le Christ rejoint toutes les Églises domestiques comme les Églises célébrantes. Son Corps partagé nous exprime avec force son désir de communion et de libération. Rendons grâce et louange au Père pour lui dans l’Esprit !
A l’heure de rejoindre notre quotidien, nourris de la Parole et du Pain de Vie, réconfortés par l’Esprit, de facto et/ou de cœur, demeurons des contemplatifs et des adorateurs en vérité de Celui qui poursuivra ses merveilles. De la Rencontre, passons aux rencontres.
« Recherchons donc ce qui contribue à la paix et ce qui nous associe les uns aux autres en vue de la même contribution » (Rm 14,19). Voilà une piste qui est toute indiquée si nous voulons poursuivre notre compagnonnage avec le Christ. Usons dans notre liberté intérieure pour activer la libération autour de nous notamment en débusquant les idoles. « Vous avez été appelés à la liberté, écrit l’Apôtre Paul (Ga 5,13-14), mais que cette liberté ne soit pas prétexte pour satisfaire votre égoïsme ; au contraire, mettez-vous, par amour, au service les uns des autres ».
En terminant je reviens à l’actualité. Celle qui ne fait pas la une et pourtant… Selon des ONG environnementales et des droits humains, on estime depuis 2002, entre 1324 et 1558 homicides connus de défenseurs de la nature de par le monde ! Chiffres sous-évalués et en augmentation sur les dernières années. Alors ? La crise sanitaire n’a pas fait disparaître les grands problèmes de notre époque. D’ailleurs le cas George Floyd s’inscrit aussi dans le cadre de sociétés violentes et très inégalitaires. Que faire ? Sûrement pas faire comme si de rien n’était ! Vous connaissez sans doute cette petite histoire. « Un jour, le diable décide de raccrocher et se rend une brocante pour liquider ses outils : la jalousie, la haine, … il les affiche tous au même prix sauf un. Un qui paraît vieux et usé… sans prix. Un chaland approche, voit l’objet et demande à quoi il sert ainsi que son prix. Le diable de répondre : « Ah celui-là, il faut mettre dix fois le prix affiché. Il n’a l’air de rien mais il m’a été de la plus grande aide. Il est d’une efficacité redoutable. Il s’appelle l’indifférence. »
Si nous communions au Christ, nous sommes dans une dynamique d’unité et nécessairement engagés dans une solidarité active (Cum munus = porter ensemble la charge).
Vivre avec Jésus signifie à la fois partager sa force de vie et de joie et encore entrer dans son combat… Combat où nous ne sommes pas seuls.
« Marchez (marchons) selon l’Esprit et vous n’accomplirez pas les désirs de la chair. Car la chair a des désirs contraires à ceux de l’Esprit et l’Esprit en a de contraires à ceux de la chair » (Ga, 5). Peuple mis à l’épreuve, peuple éprouvé et tenté. Oui, mais Peuple de Dieu qui libère, Peuple du Christ lumière, Peuple animé par l’Esprit, nous sommes le sacrement de l’Église offert au monde.
Bonne et joyeuse fête à tous, où que vous soyez.
Jean-Marc,
Votre curé
Merci pour cette belle réflexion