CLÉS POUR JEAN : 31. Sa chair à manger

Clés pour lire l’évangile de Jean

Dans cette série hebdomadaire, nous voulons fournir des clés pour ouvrir et apprécier le texte de l’évangile du dimanche. Aujourd’hui, Jésus s’offre en nourriture : Jn 6, 51-58.

31. COMMUNIER

« Comment celui-là peut -il nous donner sa chair à manger ? » (Jn 6,52)

« Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » (6, 51) est la réponse à l’interrogation : comment cela est-il possible ? Cette question est comme un signal de l’évangéliste. Pour comprendre, il faut changer de registre, passer à un autre plan, quitter celui du réalisme pour entrer dans l’ordre de la foi et des réalités ultimes.

« Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. » (6, 56) Voilà qui dit ce dont il est question dans la communion. Communier, c’est habiter le Christ et le laisser nous habiter, corps et âme. De sorte que nous formons tous le grand Corps du Christ. Le pain que nous mangeons est le Corps du Christ, comme dit le prêtre en donnant la communion. L’assemblée que nous formons, tous unis par notre communion avec Lui, est le Corps du Christ, l’Église. Ce Corps du Christ, Teilhard de Chardin le voyait comme l’achèvement du phénomène humain. Cette communion universelle des humains est fondée sur le don, ce corps livré et ce sang versé par Jésus.

 La chair du Fils de l’homme
Les Juifs s’avèrent incapables de comprendre le propos de Jésus car ils donnent un sens matériel à « chair » (sarx en grec) qui désigne l’être humain dans sa fragilité, son caractère mortel. Appliqué à Jésus, ce terme manifeste la vérité, le réalisme de l’incarnation : « le Verbe s’est fait chair ». Ainsi, la « chair » que Jésus donne à manger, le sang qu’il faut boire pour avoir la vie sont inséparables de tout l’être concret de Jésus, ses actes, ses paroles. Réalisme du don de la vie de Jésus, mais il s’agit de « la chair du Fils de l’homme et de son sang ». Or ce Fils de l’homme vient d’ailleurs et ne peut être le lieu d’une interprétation naturelle. La manducation de la chair et du sang permet une communion, une interpénétration avec Jésus qui est dans l’ordre de la foi. Bref, l’acte liturgique de la communion eucharistique est l’expression concrète et significative de l’acte de foi en Jésus, don du Père de vie.

Abbé Marcel Villers

SEMAINE SAINTE : Jeudi-Saint

Jeudi-Saint 

Avant le 4e siècle, il n’y a pas de messe le jeudi saint, l’unique eucharistie pascale est celle de la nuit de Pâques. C’est en Afrique du Nord qu’on commence à célébrer une eucharistie au soir du jeudi saint. A Rome, le jeudi qui précède Pâques est le jour de la réconciliation des pénitents qui les restaure dans leur dignité baptismale et leur ouvre à nouveau l’accès à la table eucharistique de Pâques (A. Nocent, Contempler sa gloire. Semaine sainte, Paris, 1965, p.110.). C’est là que s’origine le sens de l’obligation étendue à tous les fidèles, en 1215 par le Concile de Latran IV, de la confession et communion annuelles, d’où l’expression « faire ses Pâques ».

Pour les baptêmes et confirmations de la nuit de Pâques, il faut consacrer les saintes Huiles et le Chrême nécessaires. Cela se fait pendant la vigile pascale, juste avant les baptêmes, jusqu’au 5e s. où cette consécration par l’évêque, entouré de ses prêtres, est avancée au jeudi matin au cours d’une messe qu’on appellera chrismale.

C’est seulement au 7e siècle, qu’à Rome, apparaît une commémoration de la Cène le soir du jeudi saint. « Il semble qu’il y avait, à partir de cette époque, trois messes à Rome, une le matin avec la réconciliation des pénitents dans chaque paroisse, une à midi célébrée par le pape, durant laquelle on consacrait les saintes Huiles, et une le soir » (Ibidem, p.91). La messe du soir est présentée comme le mémorial de la Cène et s’accompagne du rite du lavement des pieds.

Ce rite apparaît au milieu du 5e s. à Jérusalem, sur les lieux mêmes de l’évènement. Saint Augustin (354-430) connaît le lavement des pieds pratiqué le jeudi saint en imitation du Christ. A Rome, au 7e s., le pape lave les pieds de ses chambellans. Le rite va se répandre de plus en plus à l’époque carolingienne et souligne le caractère sacrificiel de la messe. « On le voit pratiqué dans les cathédrales où on distingue le rite des clercs et celui des pauvres, tout comme dans les monastères. A partir de la fin du Moyen Age, on ne pratique plus que le lavement de pieds des clercs ou des moines. (Ibidem, p.137) » Le rite s’effectue alors hors de l’église et après la messe. Limité durant des siècles aux cathédrales et aux milieux monastiques, il est introduit dans la liturgie des assemblées paroissiales lors de la réforme de la semaine sainte par Pie XII en 1955 ; désormais, le lavement des pieds peut s’effectuer à l’intérieur de la messe, après l’homélie, pour douze hommes.

A partir de 780, Charlemagne impose le sacramentaire romain du pape Hadrien (772-795) qui ne comporte qu’une messe (celle du pape) pour le jeudi saint. Précédée de la réconciliation des pénitents publics, c’est au cours de cette messe que l’évêque procède à la consécration des Huiles. Cette messe devient celle du missel romain et son heure varie entre le matin et le soir jusqu’en 1566 où le pape Pie V (1566-1572) interdit toute messe après-midi (4). La seule messe du jeudi saint a alors lieu le matin jusqu’à la réforme de 1955 qui rétablit une messe chrismale distincte et reporte en soirée la messe in cena Domini. Vatican II et le missel de Paul VI (1970) confirment ces dispositions.

Les deux dernières modifications apportées à la liturgie du jeudi saint. En 1970, Paul VI décide de faire de la messe chrismale la fête du sacerdoce avec la rénovation des promesses sacerdotales. En 2016, à la demande du pape François, le rite du lavement des pieds, réservé jusqu’ici aux seuls hommes, implique désormais de « choisir un petit groupe de personnes qui représente tout le Peuple de Dieu et non pas une seule catégorie ou condition.» Il s’agit ainsi de mettre l’accent sur l’exemplarité et la portée universelle de ce geste d’amour demandé par le Christ. Voilà qui rappelle la richesse symbolique de la messe de la Cène du Seigneur, le jeudi saint. Elle commémore l’institution de l’Eucharistie et du sacerdoce, ainsi que le commandement du Seigneur sur la charité fraternelle.

Abbé Marcel Villers

Illustrations : Lavement des pieds, église de Theux ; Repas eucharistique de S. Köder

La chronique de notre Curé du 6 juin 2021

Une table ouverte à tous

Ce dimanche, nous serons peut-être un peu surpris d’être plongé par l’Évangile (Mc 14.12-26) dans la Dernière Scène, à l’entrée dans la Passion ! Nous qui venons de sortir du temps pascal ! Cependant, cette année, la fête du Corps et du Sang du Christ arrive à point nommé. Le déconfinement s’amorce et nous y avons sans doute pris des habitudes. Habitudes qui enlèvent de fait beaucoup de force symbolique au mystère que nous célébrons dans l’eucharistie. Par exemple, certains ayant fait valoir la constitution concernant la liberté de culte, nous nous sommes trouvés depuis octobre à pouvoir nous retrouver à 15 personnes. Limitation souvent garantie par des inscriptions. Or l’eucharistie n’est-elle pas par nature une table ouverte à tous ? Je ne m’étendrais pas ici sur les mesures sanitaires qui risquent de nous accompagner encore un temps néanmoins rien qu’avec le port du masque et les distances imposées, ne transforment-elles pas nos assemblées en groupe informe alors que nous sommes là pour être peuple de Dieu rassemblé par son Seigneur ?

« En ces jours-là, Moïse vint rapporter au peuple toutes les paroles du Seigneur et toutes ses ordonnances. Tout le peuple répondit d’une seule voix : toutes ces paroles que le Seigneur a dites, nous les mettrons en pratique… » (Ex 24.3-8). Moïse prend ici, selon les Écritures, le rôle du scribe qui vient transmettre les ordonnances de Dieu, souverain dans l’initiative de faire alliance. Dieu souverain qui s’est déjà manifesté comme le Dieu des Vivants, le Dieu qui sauve et qui libère. Lire la suite « La chronique de notre Curé du 6 juin 2021 »

Clés pour lire l’évangile de Matthieu : 37. Les pains

Dans cette série hebdomadaire, nous voulons fournir des clés pour ouvrir et apprécier l’évangile de Matthieu dont nous suivons la lecture liturgique. Aujourd’hui : Mt 14, 13-21 du 18e dimanche ordinaire.

37. Les pains rompus

Donnez-leur vous-mêmes à manger. (Mt 14, 16)

Le soir venu, devant une foule immense, rassemblée dans un lieu désert, les disciples ne voient qu’une solution : « Renvoie-les, qu’ils aillent s’acheter de la nourriture ! » (14, 15) Que faire d’autre pour combler la faim de tant de gens ? Mais Jésus refuse : « Ils n’ont pas besoin de s’en aller. » (14, 16)
Alors, Jésus offre une nourriture qui rassasie toute cette foule et qui surpasse ses besoins : « On ramassa les morceaux qui restaient : cela faisait douze paniers pleins. » (14, 20)
Et qui distribue cette nourriture exceptionnelle ? Les disciples réalisant ainsi l’ordre de Jésus : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » (14, 16)
Quelle est cette nourriture qu’on ne peut acheter, qui rassasie au-delà de toutes les attentes, qui comble la faim des hommes ? Nous la reconnaissons aux gestes de Jésus. « Il prit les pains, et levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction, rompit les pains et les donna aux disciples. » (14, 19)
L’eucharistie est cette nourriture que l’Église est chargée de donner aux foules humaines.  

La portée sociale de l’eucharistie

En nourrissant l’immense foule des hommes, Jésus nous révèle la puissance de l’eucharistie et sa finalité : la communion, réaliser une humanité conviviale. La multiplication des pains met en lumière la portée sociale et universelle de l’eucharistie, le projet de société et de civilisation qu’elle effectue comme en miniature. Le repas eucharistique est l’anticipation de l’objectif ultime de Jésus et de sa Joyeuse Nouvelle : réaliser le banquet du Royaume de Dieu, réunir toute l’humanité autour d’une même table. Comme le dit une prière eucharistique : « Toi qui nous rassembles autour de la table de ton Christ, daigne rassembler un jour les hommes de tout pays et de toute langue, de toute race et de toute culture, au banquet de ton Royaume ; alors nous pourrons célébrer l’unité enfin accomplie. »

Abbé Marcel Villers