Il y a quatre-vingts ans, la fenêtre de Theux…
Il y a quatre-vingts ans aujourd’hui que la Fenêtre de Theux était envahie par les hordes nazies. Il y a eu septante-cinq ce vendredi qu’était consacrée la défaite de celles-ci ! Un bon anniversaire dont il est juste de se souvenir. Un bon anniversaire pour une liberté retrouvée. Liberté qui allait à l’époque rimer, malgré ou grâce aux dégâts du conflit, avec solidarité. Les crises alimentaire et financière de l’époque n’ont pas empêché l’émergence de la sécurité sociale. Bientôt les femmes allaient accéder au suffrage universel pour les législatives. Les germes de la décolonisation étaient semés…
Aujourd’hui, nous sommes à la phase 1B du confinement. Nous allons retrouver plus de liberté pour faire des courses, après avoir eu peut-être l’occasion de revoir certains proches. Avec prudence.
Oui, petit à petit, nos libertés concrètes reviennent grâce aux efforts consentis même si tout danger n’est pas écarté, loin s’en faut. Alors le temps est venu de passer au crible ce qui peut être retenu de la période d’arrêt qui s’est imposée.
« Le temps est venu… » : c’est la base de l’anaphore utilisée par Nelson Mandela lors de son investiture. « Le temps est venu » est repris de la même façon par Nicolas Hulot qui fait « Cent propositions pour un monde nouveau ». Dans le même temps, si j’ose dire, Isabelle Adjani et une pléthore d’autres artistes signent une pétition « Non pour un retour à la normale ».
Les chrétiens sont souvent vus comme des conservateurs. Cette perception est fausse. Dans un monde en proie aux aléas de toutes sortes, ils se laissent guider par une lumière. Celle de l’Esprit qui jaillit comme un feu nouveau après l’échec apparent de la mission de Jésus ! En fidélité, les chrétiens regardent donc vers l’avenir sans faire fi du passé. Leur manière d’accueillir le présent est dynamique comme l’est celle de tout homme de bonne volonté. Pour oser l’avenir, nous faisons sans cesse appel à notre mémoire. Cela est inscrit jusque dans le fonctionnement de notre cerveau. Le docteur en psychologie D’Argembeau (Ulg) développe bien cela dans une interview donnée au magazine La Vie (n°3892, p. 30). S’il prône la méditation et la « pleine conscience » pour affronter la crise actuelle qui n’est pas dans nos scénarios culturels, il insiste : « notre capacité à tenter de prévoir et de planifier l’avenir ne doit pas être mise en pause tout à fait, car elle est extrêmement utile pour faire face aux défis que nous rencontrons ».
Et si, comme disciples du Christ, nous avions des ressources inespérées à partager à notre mesure ? D’abord, il y a l’incontournable lien avec Jésus, je vais y revenir, et puis l’Église porte bien des trésors dans des vases d’argile. Malgré ses défaillances, malgré ses œuvres de péché (affaire Jean Vanier hier et d’autres aujourd’hui), comme le premier cercle des Apôtres, elle reçoit et partage un don qui vient d’ailleurs. Je suis frappé combien l’encyclique Laudato si’ a été lue par des chercheurs et penseurs de toutes convictions et comme elle s’impose comme un texte de référence. L’écologie globale n’est pas une affaire morale mais une question de vie juste et bonne pour tous et toutes, création comprise.
Je viens d’évoquer l’effet bénéfique du retrait et du retour sur soi s’il est bien mené, s’il laisse place à un inattendu. N’est-ce pas l’expérience d’Augustin qui en est bouleversé au point que pour lui, rien ne sera jamais plus comme avant ! « Beauté intérieure, je t’ai aimée tard ! Mais voilà : tu étais au- dedans de moi quand j’étais au dehors et c’est dehors que je te cherchais » (Confessions).
La réflexion que je partageais il y a une semaine sur le bon et le beau revient ici en filigrane. Écoutons le témoignage d’un artiste, Augustin (tiens!?) Frison-Roche : « La beauté dans le monde est semblable au cheval ailé qui soutient l’homme avide de voir le ciel d’un peu plus près. (…) Par ma peinture, religieuse ou profane, je tente d’ouvrir « ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible » (Gérard de Nerval) qui nous empêchent de voir le monde tel qu’il est déjà et tel qu’il sera un jour en plénitude, à savoir habité de la présence divine ». Témoignage d’un jeune père qui œuvre à son niveau pour le Royaume. Témoignage d’un jeune homme qui a perdu son frère militaire, mort au Mali, dans un accident d’hélicoptère. « Face au vide, je prends conscience aujourd’hui à quel point la foi est une grâce, car elle donne cette espérance folle que mon frère n’a pas disparu totalement… » confie l’artiste qui, apprenant la nouvelle, est allé graver le nom de son frère sur sa future tombe. Prière concrète, foi passée au creuset comme l’or… (La Vie, 3893, pp. 32-33).
Quand je disais que nous n’étions pas démunis ? Oui, nous avons un fantastique « scénario culturel » pour rebondir. Heureusement, « nous sommes dans le monde sans être du monde » selon saint Jean ! Petit à petit, l’esprit du monde reprend ses droits en usant de la liberté qui revient. Mais avec ce qui s’est passé et se passe encore, il n’en sortira pas indemne. Vive est la réaction des soignants et d’autres à la malencontreuse décision politique de les réquisitionner en cas de seconde vague de la pandémie tout en ouvrant les actes de leur profession à du personnel moins qualifié. Oui, les vieux démons ne sont pas morts, ils étaient déjà là dans les années 1980 quand j’exerçais à domicile. Mais aujourd’hui, nous ne pouvons pas avoir applaudi (ou fait sonner les cloches) pour des professions que l’on va vite oublier ! Par ailleurs, je voudrais avoir le fin mot sur une « économie réelle » où depuis des jours, les rayons de chips et de lait sont dégarnis alors que les agriculteurs donnent des surplus de pommes de terre et que les éleveurs voient leur revenu honteusement raboté par « déficit » de consommation. Simple rupture de chaîne de production ? Spéculation larvée ?
J’entends aussi que la grande distribution a vu son chiffre d’affaires augmenter dans de fortes proportions. Cela améliore la situation délicate de certaines enseignes et en consolide d’autres. Ne peut-on se poser la question : que faire des dividendes sans doute augmentés à terme ? Les laisser aux seuls actionnaires ? Pousser à une prime pour les personnels de terrain qui ont assumé ? Aller jusqu’à en capter une partie pour faire un geste de reconnaissance envers le monde des soignants de première ligne ou de solidarité envers ceux qui voient disparaître leur emploi ou capoter leur entreprise ? Il y a au moins des questions à se poser…
Il est temps de vous laisser. Le couple Federer s’est montré plus que généreux envers les démunis de Suisse et les victimes de la pandémie. À mon niveau, je pense user de ma liberté pour promouvoir « mes valeurs » revues et confirmées lors de ce confinement, entre autres, la justice, la joie, la qualité de relation. Elles font partie de mon « scénario culturel », elles donnent sens à mon choix de vie, elles me permettent de rejoindre le Christ, en son incarnation, elles sont une dynamique, un projet jamais abouti… « Prenez soin de vous, prenez soin des autres » demeure le leitmotiv de ce temps et de l’avenir proche. Le confinement est temps de révélation et de confirmation sur nous-même et sur nos relations aux autres, depuis Dieu et la création en passant par le prochain. Je le pense, je le crois et surtout je le vis. Mais, il y a l’immédiat…
À l’heure où les tarins « de chez la voisine » ont vu leur aire de jeu investie par quelques motards en mal de sensations, tandis qu’au loin certains font des barbecues « comme avant » en toute inconscience, je vais user de ma liberté pour organiser le confinement autour la mangeoire du jardin pour les mésanges qui sont aussi frappées par une pandémie et pour les moineaux qui se raréfient et ont besoin de soutien… « Petit à petit, l’oiseau fait son nid ». Petit à petit, l’Homme grandit. Non parce qu’il est beau et fort mais parce qu’il est fragile et bon au plus profond.
« Pour dire simplement ce qu’on apprend au milieu des fléaux, (…) il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser » écrivait Albert Camus dans La Peste.
« N’ayez pas peur de la lumière qui est en vous », clamait Nelson Mandela.
Bonne et lumineuse semaine guidée par « le dispensateur des dons », l’Esprit qui renouvelle.
Jean-Marc,
votre curé
C’est bien vrai que la foi et le « bonheur » se cachent dans les moments de vie simples comme de retrouver mes petits-fils pour une paire d’heures après ce tte trop longue séparation, d’embellir mon jardin avec ces merveilleuses plantes que notre Créateur a mises sur notre chemin, d’écouter au lever du jour le chant des oiseaux du ciel et le petit coq de mon voisin. Pour moi, il n’est pas nécessaire de réciter des dizaines de chapelets pour prier et remercier Dieu de nous aider à supporter les moments difficiles. Il suffit de regarder autour de soi pour se rendre compte que la vie que Dieu met devant nos pas peut être belle même si elle nous semble parfois âpre et malaisée à supporter. Regardons autour de nous et nous verrons que nous ne sommes pas si mal lotis. Pour tout cela, je remercie Celui qui tient ma main dans la sienne et qui me remet sur le droit chemin lorsque je me laisse aller à faire un faux pas. Et surtout, il faut sans cesse penser aux autres et tenter de faire au mieux pour les aider, les soulager de leurs problèmes tant matériels que moraux.