CLÉS POUR LIRE MATTHIEU : 45. QUESTION DE NOMBRE

Clés pour lire l’évangile de Matthieu

Dans cette série hebdomadaire, nous voulons fournir des clés pour ouvrir et apprécier l’évangile de Matthieu dont nous suivons la lecture liturgique. Aujourd’hui : Mt 18, 21-35 du 24e dimanche ordinaire.

Une question de nombre
« Combien de fois dois-je pardonner à mon frère ? » (Mt 18, 21)

 Au roi, on amène un serviteur qui lui doit 60 millions de pièces d’argent. Autant dire que sa dette n’a pas de prix. Il est tout simplement insolvable.
N’est-ce pas ainsi que nous nous situons vis-à-vis de Dieu : nous lui devons tout, la vie, l’être, tout ce que nous avons et tout ce que nous sommes. Notre dette à l’égard de Dieu n’est pas une dette fautive ou de coupable. Il ne s’agit pas ici de faute ou de péché. Nous avons à son égard une dette d’existence. Nous ne nous sommes pas créés tout seuls, tout nous est donné.

Qui peut payer une telle dette ? Par rapport à Dieu, l’être humain est insolvable : nous ne pourrons jamais lui rendre tout ce que nous lui devons. Et pourtant, annonce Jésus, le serviteur peut s’en aller, libre de toute dette. Il ne doit plus rien. Telle est la bonne nouvelle. Nous avons tout reçu de Dieu, mais nous ne lui devons rien. C’est gratuit. « Je t’ai tout donné, nous dit Dieu, c’est de tout cœur. Et tu ne me dois rien. » Quelle libération !

70 fois 7 fois
La question de Pierre est fondamentale : y a-t-il une limite au pardon ? Les rabbins, au temps de Jésus, recommandaient de pardonner jusqu’à 4 fois. Et chez les chrétiens ? Il leur fallait se situer par rapport aux Juifs, avoir des règles claires pour régir la vie en communauté, ce qui est un des principaux soucis de Matthieu pour son Église.
Pierre propose de pardonner jusqu’à 7 fois. D’un premier abord, Jésus semble s’inscrire dans le même ordre d’idée : donner une limite au pardon : « Je ne te dis pas jusqu’à 7 fois, mais jusqu’à 70 fois 7 fois. » (Mt 18, 22) Voilà qui fait allusion aux chiffres évoqués pour la vengeance. « Caïn est vengé 7 fois. Lamech le sera 77 fois ». (Gn 4, 24) Par une multiplication qui joue sur le nombre 7 (nombre parfait), ces expressions signifient en réalité sans limite.

Abbé Marcel Villers

Homélie pour l’Office du Vendredi Saint à La Reid – 7 avril 2023 (Jn 18, 1-19.42)

Ce soir, je voudrais m’arrêter plus spécialement sur trois acteurs qui interviennent dans le récit de la Passion de Jésus que nous venons d’écouter.

Le premier, c’est Judas. Le traître, dit-on. De fait, son portrait n’est guère reluisant. Mais l’idée négative que nous pouvons en faire est-elle tout-à-fait justifiée ? Bien sûr, il a « vendu » Jésus aux Pharisiens. Cependant, il peut être étonnant que Judas ait suivi Jésus autant de temps pour en arriver à le livrer ? Ne pouvait-il tout simplement se désolidariser des disciples de Jésus et vivre sa vie sans plus s’en inquiéter ?

Rappelons-nous que les semaines et les jours qui précèdent la montée de Jésus vers Jérusalem, celui réalise de nombreux signes, de nombreux « miracles » qui suscitent à chaque fois la même question de la part des Pharisiens : « Par quelle autorité agis-tu ? Pour qui te prends-tu ? Donne-nous un signe éclatant pour que nous n’ayons plus de doute ! ». Jésus n’a jamais répondu à cette sollicitation. Judas n’aurait-il pas voulu provoquer Jésus dans ces circonstances dramatiques, se disant qu’il allait bien devoir se révéler, enfin, au grand jour ? Bien sûr, ceci n’est qu’une hypothèse.

Mais, moi-même, est-ce qu’il ne m’arrive pas de « provoquer » Dieu dans ma prière, en espérant qu’il va se révéler à moi comme je voudrais qu’il soit ?

Le deuxième, c’est Pierre qui renie Jésus, par trois fois. Pierre est confronté à une situation délicate, déstabilisante, voire inattendue : c’est trop fort pour lui. Alors, il dit « Je ne suis pas de ceux-là ; je ne le connais pas ».

Moi-même, confronté à l’affirmation de ma foi, ne m’arrive-t-il pas, comme Pierre, de renier Jésus d’une manière ou d’une autre, par peur ou pour toute autre raison ?

Et enfin le troisième, c’est Pilate. On le sent intrigué par Jésus, on pourrait même penser qu’il a de la sympathie pour lui. Il entretient un dialogue avec Jésus qui le met en question ; le gouverneur tente de le faire échapper à ses bourreaux. Mais, la pression de la foule et l’argument ultime des Juifs : « si tu le reconnais comme roi, tu deviens l’ennemi de l’empereur ! » convainquent Pilate de « se laver les mains de cette affaire » et de livrer Jésus.

Ne pourrait-il m’arriver comme Pilate de privilégier mes intérêts, autorité, pouvoir … et de « livrer Jésus », de l’abandonner moi aussi ?

Et ainsi Jésus finira sur une croix, entre deux malfaiteurs, « devenu ce serviteur si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme, frappé, meurtri, humilié, dépouillé … » (Isaïe 52, 13-53,12).

Sur cette croix , Jésus aura pourtant cette parole : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! »

Quoiqu’il en soit, « Mon serviteur réussira » dit encore Isaïe…  Et en effet, nous savons que Jésus est vainqueur du mal, qu’il est passé par la mort, qu’il est ressuscité et toujours vivant !

Il emmène à sa suite vers le Royaume éternel les pécheurs pardonnés que nous sommes.

Jacques Delcour, dp

 

Clés pour lire l’évangile de Jean : 21. Crucifié dans un jardin

Dans cette série hebdomadaire, nous voulons fournir des clés pour ouvrir et apprécier le texte de l’évangile de Jean. En ce vendredi-saint, nous lisons la Passion de Jésus selon saint Jean :  Jn 18,1-19,42.

21. Crucifié dans un jardin

Au lieu où il avait été crucifié se trouvait un jardin, et dans le jardin un tombeau neuf. (Jn 19,41)

« Tout est accompli » (19,30). Telle est la dernière parole de Jésus. Ce n’est pas un cri de douleur ou de déréliction, mais un cri de victoire : Jésus a réussi. Il a achevé son œuvre. Pour l’évangile de Jean, la croix n’est pas un fait divers, mais un sommet, celui de la révélation de Dieu. Elle en est l’étape ultime, cette « heure » vers laquelle marchait Jésus. Elle est l’élévation du Fils et non sa défaite. La croix n’est pas l’échec de Jésus, mais bien le couronnement de sa mission. En Jésus, le Dieu invisible s’est rendu visible. La croix en est l’accomplissement : c’est elle qui dit le mieux qui est notre Dieu. « Nous avons vu sa gloire » (1,14), écrit St Jean.

Pour son Fils qui est sa gloire, c’est-à-dire, la manifestation de son être, Dieu choisit l’humilité, la pauvreté, la croix. La gloire de Dieu passe par la croix. Ou plutôt, elle prend la forme de la croix. Car sa gloire n’est pas autre chose que son amour. On comprend pourquoi la croix est l’emblème par excellence de la foi chrétienne, elle est révélation de l’amour fou de Dieu pour l’homme.

Le disciple que Jésus aimait

Dans six passages de l’évangile de Jean citant « le disciple que Jésus aimait », tous situés dans la dernière partie (chapitres 13 à 21), ce disciple est mis en parallèle avec Simon-Pierre, qu’il précède toujours et même lui sert d’intermédiaire : il le fait entrer dans le palais du grand prêtre, court plus vite que lui au tombeau, reconnaît Jésus le premier au bord du lac et le dit à Pierre. La première scène où apparaît le disciple que Jésus aimait (13,21), il est « couché sur la poitrine de Jésus » : cette proximité physique signifie plus qu’une présence matérielle, une communion profonde avec le maître. Témoin fidèle jusqu’au bout (19,26 ; 21,24), il sera, par son évangile écrit, la figure exemplaire de celui qui a compris le maître. Cela ne nous permet pas de l’identifier avec certitude. Il ne peut être Lazare, le seul homme connu qu’on nomme « aimé de Jésus » (11,5). Il est illusoire de le réduire à une figure symbolique du croyant parfait. Ce symbolisme existe mais il s’appuie sûrement sur une réalité historique. L’évangile de Jean a été reçu dans l’Église parce qu’à son origine, il y a une figure historique de premier plan, qui avait accompagné Jésus depuis le commencement de sa mission. (D’après Alain MARCHADOUR, L’Évangile de Jean, 1992)

Abbé Marcel Villers

Clés pour lire l’évangile de Jean : 9. Suivre Jésus

Dans cette série hebdomadaire, nous voulons cette année fournir des clés pour ouvrir et apprécier le texte de l’évangile de Jean. Il n’y a pas d’année liturgique centrée sur Jean, comme c’est le cas pour Matthieu, Marc et Luc. Nous ferons donc une lecture continue de Jean en tâchant de faire des liens avec l’année liturgique. Aujourd’hui : Jn 1, 35-42.     

9. Ils suivirent Jésus

Que cherchez-vous ? Où demeures-tu ? (Jn 1,38)

« Que cherchez-vous ? » C’est la première parole que prononce Jésus dans l’évangile de Jean. Elle est adressée aux disciples, ceux de la première heure comme à chacun de nous aujourd’hui. Et eux de répondre : « Où demeures-tu ? » Ils cherchent à savoir qui il est, d’où il vient et quel est son lieu. Mais Jésus ne donne aucune adresse. Il les invite à « Venez et voyez. » (1,39) Pour trouver Jésus, il faut se mettre en marche et y aller voir. C’est une histoire de rencontre et d’amour que la vie du disciple.

« Ils l’accompagnèrent, ils virent où il demeurait, et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. » (1,39) Telle est la dynamique de l’être chrétien : devenir compagnon de Jésus, partager sa vie, entrer dans le mystère de sa personne. C’est de Jean-Baptiste que tout est parti : Jean désigne Jésus à André, André à Simon, etc. Une longue chaîne commence.

Disciples d’un rabbi
Deux disciples de Jean-Baptiste le quittent pour Jésus. L’un est nommé (1,40), c’est André, frère de Simon. L’autre a pu être identifié avec Jean, fils de Zébédée. « D’autres noms seront donnés plus loin dans le texte, mais nulle part l’évangéliste n’a éprouvé le besoin d’établir une liste des Douze, comme l’ont fait les synoptiques. Il suppose ces personnages connus de ses lecteurs. Comme tous les maîtres spirituels d’Israël, Jean l’Immergeur avait des adeptes, ses talmidîm, mot que l’on peut traduire par « appreneurs ». Le talmid recevait l’enseignement de son rabbi et le transmettait à son tour. Les disciples de Jean-Baptiste pratiquaient l’immersion, le jeûne (Mc 2,18) ; ils récitaient des prières que leur maître leur avait apprises (Lc 11,1). » (André CHOURAQUI, Dictionnaire encyclopédique de la Bible, 1985)

Abbé Marcel Villers